Au souvenir des mots de Simon Leys citant, à peu de choses près, E.M. Forster, comme quoi « la mémoire ne retient vraiment que ce que l’on a saisi de biais », je ne pouvais passer à côté de cette déclaration de Stephen Greenblatt dans son livre Quattrocento :
Le poème de Lucrèce était sans doute voué à disparaître définitivement avec les œuvres qui l’avaient inspiré. Le fait qu’il n’ait pas disparu, qu’il ait refait surface au bout de nombreux siècles, diffusant à nouveau ses thèses éminemment subversives, relève presque du miracle. Mais l’auteur du poème en question ne croyait pas aux miracles. A ses yeux, rien ne pouvait enfreindre les lois de la nature. Lucrèce postulait l’existence de ce qu’il appelait une « déviation » — il emploie le mot latin clinamen —, un mouvement inattendu et imprévisible de la matière. La réapparition de ce poème fut elle-même une déviation, un écart imprévu dans la trajectoire directe que semblaient suivre ce poème et sa philosophie — qui aurait dû les mener vers l’oubli.
Et cette phrase, extraite du poème-même de Lucrèce, de natura rerum, (I, v. 1031–1305)
Ainsi les fleuves comblent à grands flots la mer avide,
la terre mûrit au soleil de nouveaux fruits,
ainsi s’épanouissent les races animales
et vivent les feux mobiles de l’éther.
Stephen Greenblatt, Quattrocento
Flammarion, 2013
Plus que tout, je crois aux écrits…
Tags de cet article: philosophie, poésie