Rien de tel que de s’as­seoir sur la place du vil­lage pour se repo­ser un peu et se mar­rer un bon coup avec les copains. N’est-il point ?

Mar­di 01.04

Richard SennettJe suis allé hier soir au café des Arts et Métiers, lieu que je fré­quente beau­coup en ce moment, comme si je n’é­tais atti­ré que par cet immense aimant au cœur de Paris. Dans quoi me suis-je lan­cé encore ? Je ne m’é­tais pas vrai­ment ren­du compte du tra­vail que cela allait me pro­cu­rer et encore pen­dant un an, du temps qu’il va fal­loir que je dégage pour mener cette recherche à bien, lire suf­fi­sam­ment pour avoir les apports théo­riques per­ti­nents et com­men­cer à mener les entre­tiens qui vont me per­mettre d’a­li­men­ter ce pro­jet de recherche. J’en trans­pire déjà à l’i­dée de ce qui m’attend.

Pre­mière étape, le livre de Richard Sen­nett, Ensemble, pour une éthique de la coopé­ra­tion, et ensuite l’im­mense biblio­gra­phie que la lec­ture de ce livre risque de générer.

Mer­cre­di 02.04

Audi­tion de gui­tare hier soir. La cha­leur de la salle, la corde de sol qui se détend, Andante de Carul­li ; dom­mage, on joue prin­ci­pa­le­ment la corde de sol dans la par­tie majeure. Dès les pre­mières notes, je joue faux à cause de cette sata­née corde qui s’est désac­cor­dée toute seule ; le son est désa­gréable et je peste inté­rieu­re­ment que le son de mon Esteve puisse être à ce point dis­so­nant. Même moi qui n’ait pas spé­cia­le­ment l’o­reille musi­cale, je suis gêné. Bref, je me décon­centre, je stresse, la jambe tremble toute seule, j’ai la main gauche cris­pée autour du manche, tel­le­ment que j’en ai mal et je me plante quatre ou cinq fois mais à chaque fois je reprends au début de la mesure, sans désar­mer, je le joue­rai en entier ce fichu mor­ceau que je n’ar­rive pas à me sor­tir du crâne. Je vois un rideau d’ombres devant mes yeux. C’est donc cela le trac. Fias­co. Un peu à l’i­mage de cette jour­née. Pour­tant, quand je sors de l’é­cole de musique, je me sens étran­ge­ment bien. Peut-être le fait d’a­voir lais­sé ça der­rière moi. Peut-être autre chose, peut-être le chan­ge­ment de temps annon­cé. Demain sera une aube nouvelle.

Dimanche 06.04

Les jours deviennent pénibles. Le temps d’a­bord, gri­sailleux, vent frais, détes­table. L’at­tente, insou­te­nable, les mur­mures, les regards, tout me crispe, tout me met à fleur de peau.
Et puis je rentre en résis­tance. J’ai l’im­pres­sion d’une trom­pe­rie qui se met en place. La direc­tion que prennent mes recherches se trouve quelque peu orien­tée par l’é­gé­rie des lieux. Je déteste qu’on me torde le bras pour m’o­bli­ger à par­tir dans une direc­tion. L’homme libre que je suis a du mal à se lais­ser impressionner.
Mal­ta Hani­na ter­mi­né. Daniel Ron­deau n’a plus comme secret pour moi que ce qu’il ne m’a pas encore susur­ré à l’oreille.

Avec un temps pareil, je pour­rais très bien déci­der sur un coup de tête de par­tir à Istan­bul. Biş­ra de Göreme ne m’a pas écrit ; je me rends compte qu’elle ne m’a pas lais­sé son adresse mail, je pense que c’est elle qui devait avoir la mienne, mais je n’ai jamais rien reçu d’elle. C’est à se deman­der si ces ren­contres ne doivent pas res­ter là où elles se produisent.
Biş­ra, avec ses grands yeux verts et ronds et son air curieux, sa jupe longue tour­noyant entre les tables du petit res­tau­rant que tient son père, lui un air de brute, mais un cœur gros comme ça. C’est qu’il y a une bou­tique à faire tourner.

Place du village - Mustafapaşa, Cappadoce, Turquie - mai 2013

Place du vil­lage — Mus­ta­fa­paşa, Cap­pa­doce, Tur­quie — mai 2013

J’ai des envies de ter­roir, de par­tir sur les routes de France encore fraîches à cette sai­son. Des envies d’Au­vergne, de Murol, de Saint-Nec­taire et de cette fameuse église que je n’ai jamais vue ouverte, d’Is­soire, redes­cendre sur Le Puy-en-Velay pour revoir sa vierge de fonte et ses len­tilles, des sou­ve­nirs de coups de sabre pas­sés sur le cuir des murs… Cer­tai­ne­ment que tout ceci a déjà dis­pa­ru depuis long­temps, comme les char­mantes per­sonnes qui tenaient cet hôtel. Je me demande juste quel grand groupe finan­cier a rache­té la bâtisse, ses meubles, son per­son­nel et son his­toire et pour en faire quoi ? A chaque géné­ra­tion, on assiste fina­le­ment à la fin d’un monde, et à la nais­sance d’un autre.

Com­men­cé Venises de Paul Morand. Très belle écri­ture, très domp­tée, ronde et soyeuse.

Tous les jours, je me demande ce qui va se pas­ser. Tout est deve­nu beau­coup trop com­pli­qué pour moi.