Où l’on apprend qu’un film turc n’est pas un film amé­ri­cain, qu’il est bon de faire des éti­re­ments après avoir cou­ru (on le savait déjà, mais bon…) et que déci­dé­ment, je suis inca­pable d’être méchant, et pire que tout, rancunier…

Same­di 08.02

Le vent a encore souf­flé toute la nuit, me vitri­fiant l’hu­meur qui devient fort méchante. Le vent ou la fatigue, je ne sais plus bien mais voi­là, je me sens irri­table, mais c’est aus­si parce que je sais que je ne fais pas grand-chose en ce moment, je me laisse un peu por­ter et ça, c’est insupportable.
Nous sommes allés cou­rir hier, à cinq, en fai­sant le tour de la base de loi­sirs de Cer­gy, jus­qu’à ce qu’une méchante dou­leur se réveille dans l’aine et der­rière le genou, j’ai conti­nué, j’é­tais épui­sé, alors j’ai fini par m’en­dor­mir sur le cana­pé après m’être dou­ché, sans deman­der mon reste. Ce matin, je les sens bien les kilo­mètres, mais c’est moins pire que ce que j’a­vais imaginé.

Fetih 1453J’ai regar­dé le très long film de Faruk Aksoy sur la prise de Constan­ti­nople (Fetih, 1453) et je suis loin d’a­voir été séduit par cette super­pro­duc­tion turque. Le rythme est un peu lent et je me rends compte pour connaître un peu l’his­toire de ces évé­ne­ments que la vision du réa­li­sa­teur fait lar­ge­ment pen­cher la balance du côté qu’il sou­haite. En plein vague d’an­ti-kéma­lisme et d’Ot­to­man revi­val, le film appa­raît sou­dain comme un ode natio­na­liste, fai­sant pas­ser le bon Sul­tan Meh­met II pour le gen­til (ce qu’il n’a jamais été) et l’af­freux empe­reur byzan­tin Constan­tin XI Paléo­logue pour le méchant (ce qu’il était assu­ré­ment), en pre­nant au pas­sage de belles liber­tés avec la réa­li­té his­to­rique. Il ne me lais­se­ra pas de sou­ve­nir impé­ris­sable, ain­si que le jeu des acteurs.

Vers 17h30, le ciel devient jaune et la pluie tombe drue ; je reviens de faire quelques courses et j’ai l’im­pres­sion de ne plus bien savoir quelle heure il est.

Lun­di 10.02

Le réveil me sur­prend ; il est encore tôt et il fait froid. J’ai l’im­pres­sion d’être un petit vieux quand je saute du lit au cana­pé en me recou­vrant du plaid rouge. Une pen­sée me sai­sit au rebond ; je ne suis pas né dans la pourpre mais tous les matins je m’en enrobe pour renaître. Quel sym­bo­lisme curieux y voir ?

Sylvain Tesson - Dans les forêts de SibérieJ’ai com­men­cé à lire Dans les forêts de Sibé­rie de Syl­vain Tes­son. Je me suis dit qu”il fal­lait abso­lu­ment que je lise ce livre, je ne sais même plus pour quelle rai­son, car je l’ai déjà dit, tout chez ce type m’est anti­pa­thique, mais je suis encore capable de faire le dis­tin­guo entre une œuvre et son auteur. Mal­heu­reu­se­ment, je n’ar­rive pas à y trou­ver de quoi creu­ser cet écart et j’en­tends encore sa voix gouailleuse et son accent pari­sien me cra­cher à la figure, même s’il me parle de soli­tude, de glace qui craque, de vod­ka qu’on boit tan­dis qu’il fait ‑35°C dehors ; je n’y arrive pas, mais ce n’est pas grave. A côté, je lis un autre livre : Onze lettres à Péné­lope de Loren­zo Pes­tel­li. C’est un tout petit livre qui fait figure de bijou, un de ces livres qu’il faut prendre le temps de lire comme on décor­tique des pis­taches, avec le soin et la gour­man­dise qu’il mérite. Pes­tel­li, une décou­verte grâce à Nico­las Bouvier.

Départ dans neuf jours, je n’ai encore rien pré­pa­ré, et l’an­goisse de cha­cune de mes excur­sions me sai­sit à nou­veau, para­ly­sant mes nerfs, me ren­dant inca­pable de prendre des déci­sions. Je déteste cet état qui me rend léthar­gique. Je m’in­ter­roge sans cesse sur ce que je dois emme­ner comme vête­ment, crains d’a­voir froid dans l’a­vion, d’a­voir trop chaud une fois sur place, et entre la mai­son et l’aé­ro­port, com­ment je m’ha­bille ; en bref, tout ceci sont des pré­oc­cu­pa­tions bien futiles à côté de tout le reste.

Mar­di 11.02

Tous les matins, je ne déroge pas à la règle que je me suis fixée ; une heure de lec­ture au mini­mum. Je ne m’ac­corde une pause que le week-end, pro­fi­tant quand-même de ce moment de repos indis­pen­sable. Lire est un via­tique pour l’en­fer ; cela per­met de s’ex­traire du monde, tout en pre­nant la réa­li­té de ceux qui ont écrit en plein visage. Point de salut là-dedans, comme il n’y en a pas non plus dans la reli­gion ; on donne l’im­pres­sion d’être libre mais la liber­té se mesure à la lon­gueur de la chaîne.

Lorenzo Pestelli - Onze lettres à PénélopeJ’ai ter­mi­né hier soir le petit livre de Loren­zo Pes­tel­li, Onze lettres à Péné­lope, livre d’une rare beau­té. Ayant eu un peu de mal à entrer dans cette poé­sie sau­vage, je me suis quand-même lais­sé ber­cer par le doux rythme des mots et au final, je l’ai relu d’une traite, gar­dant près de moi cer­tains de ses mots qui me font encore vibrer.

Je pré­fère écrire sur le sable, aus­si long­temps que le consent la racine épui­sée du jour. Une grande lettre, espa­cée comme une rive, que tu liras après ma mort dans le pay­sage de ta tris­tesse. Sur une côte incon­nue, sur la feuille du silence, un seul signe, signa­ture, si tu veux : mon corps rai­di comme une gui­tare oubliée. Un doigt révé­lé par la lumière de la lune sur le mur vapo­reux de ton visage !
Tu n’au­ras que tes che­veux pour ense­ve­lir ton secret.

J’au­rais pas­sé hier une heure et demi avec la petite nou­velle pour son entre­tien. A la fin du temps impar­ti, je boucle l’en­tre­vue mais elle se révolte et me dit avec une petite moue « oh non, j’aime bien dis­cu­ter avec vous ». Il aura fal­lu, pour une fois que je me montre ferme. Je ne sais pas vrai­ment dire non, mais il fau­dra que j’ap­prenne. Pen­ser c’est dire non. Il paraît.

Peut-être que la seule ville qui pour­rait me voir habi­ter en dehors de mon habi­tus, serait Tokyo, ville-monde dans laquelle on pour­rait faci­le­ment tout perdre…
Départ dans huit jours.

Mer­cre­di 12.02

Magne Skåden - Un jour la montagne s'est déplacée  Récits du silenceJ’ai com­men­cé hier soir un livre étrange. L’au­teur en est un Nor­vé­gien d’o­ri­gine samie, Magne Skå­den. Hélène Her­vieu, qui l’a tra­duit et pré­fa­cé, dit sa sur­prise le jour de sa ren­contre avec le jeune homme qui vit d’or­di­naire sous le 68ème paral­lèle, au-delà du cercle polaire. Elle ne sait rien de lui et n’a été atti­rée vers lui que par son texte, une écri­ture “concen­trique” et dès la lec­ture de sa pre­mière nou­velle, on y res­sent immé­dia­te­ment cette vision des choses, on y sent la froi­deur du métal et l’in­con­sis­tante rigi­di­té des peuples nor­diques. Ce qu’elle ne sait pas tout de suite, c’est que Magne Skå­den ne parle pas, non pas parce qu’il n’en a pas envie ou qu’il est muet, mais parce qu’il a subi des lésions céré­brales qui lui enlèvent cette capa­ci­té à pro­duire un lan­gage par­lé. Un jour, en 2005, il finit par se mettre à écrire et déjà, il a publié plu­sieurs livres en Nor­vège, livres qui finissent par nous arriver.
Un jour la mon­tagne s’est dépla­cée : Récits du silence, tel est le titre de ce livre qui arrive dans la sphère des livres météo­riques et dont je vous dirai des nou­velles. M’est avis qu’on ne peut res­sor­tir de là indemne.

Tous les matins, je me réveille avec dans la tête le chant du muez­zin dont je connais à pré­sent cha­cune des notes. Tous les matins j’en­tends ce petit homme qui court pour se rendre dans la tour sud de la Yeni Camii, la mos­quée nou­velle de la Sul­tane Valide sur le par­vis d’Emi­nonü, face à la Corne d’Or. J’en connais les moindres varia­tions de voix tel­le­ment je l’ai enten­du et tel­le­ment je l’ai écou­té encore et encore. C’est à ce point qu’on mesure l’a­mour qu’on peut avoir pour une ville qui fait défaut à l’in­té­rieur, dont on n’ar­rive pas à se repaître sous peine de la faire mou­rir et d’en­traî­ner l’âme qui la fait vivre avec elle. Je crois que cette vision des choses est fon­da­men­ta­le­ment com­pli­quée à partager.

Départ dans sept jours. Je n’ai rien pré­pa­ré, je n’ai même pas encore de billet d’a­vion pour les vols internes. On ver­ra bien non ?

Pho­to d’en-tête © Alexis Gra­vel