⚓ Mu Ko Ang Thong : un enfer vert et bleu ⚓

⚓ Mu Ko Ang Thong : un enfer vert et bleu ⚓

Mu Ko Ang Thong (อ่างทอง, bol d’or) est un parc natio­nal marin, accro­ché à un cha­pe­let d’îles pour la plu­part inha­bi­tées. Situées à mi-che­min entre Ko Phan­gan et le conti­nent, c’est un petit para­dis dans lequel on ne peut se rendre que sur des bateaux de for­tune dont le tirant d’eau ne per­met même pas de s’ap­pro­cher suf­fi­sam­ment pour accos­ter. 42 îles sur une super­fi­cie de 102 km2, dont seule­ment 18 sont des terres. Le reste ce ne sont que rochers affleu­rant. Seule­ment 20 habi­tants. C’est tout ce qu’on peut dire de cet émiettement.

5 - Carnet de Thaïlande - 03 - Mu Ko Ang Thong National Park

5 - Carnet de Thaïlande - 04 - Mu Ko Ang Thong National Park

5 - Carnet de Thaïlande - 05 - Mu Ko Ang Thong National Park

Le taxi qui m’emmène à Thong Sala n’est en réa­li­té qu’un pick-up sans bâche où l’on doit se tenir à des barres de métal pour évi­ter de se retrou­ver pro­je­té sur la route. Avant d’ar­ri­ver au port, il ramasse une amé­ri­caine d’une cin­quan­taine d’an­nées, sim­ple­ment vêtue d’un short de boxe thaï et d’un tee-shirt fluo sur lequel éclatent les mots full moon par­ty. Ça donne tout de suite le ton. Elle a la peau des joues grê­lée, une voix nasillarde avec une hor­rible accent amé­ri­cain et le teint frais de la fêtarde qui ne sait pas s’ar­rê­ter. En arri­vant au port, le taxi avance jus­qu’au bout de la jetée. Il a à peine la place de pas­ser, mais il insiste et repart en marche arrière comme si de rien n’é­tait. Le bateau qui attend là est une coquille de noix constel­lée d’é­toiles blanches peintes à la main, baché de sacs à patates en guise de pare-soleil. On nous sert  un café déshy­dra­té trop fort avec des tranches d’a­na­nas et de pas­tèque et des donuts bai­gnant dans leur huile de fri­ture, de quoi se vider avant le départ en mer. Ne sachant pas réel­le­ment ce qui m’at­ten­dait ce jour-là, j’es­pé­rais sim­ple­ment que le che­min ne serait pas trop long, car mon­ter sur ce genre de rafiot tient plus du sui­cide que de la belle excur­sion en mer.

5 - Carnet de Thaïlande - 11 - Mu Ko Ang Thong National Park

5 - Carnet de Thaïlande - 14 - Mu Ko Ang Thong National Park

5 - Carnet de Thaïlande - 16 - Mu Ko Ang Thong National Park

5 - Carnet de Thaïlande - 24 - Mu Ko Ang Thong National Park

5 - Carnet de Thaïlande - 28 - Mu Ko Ang Thong National Park

Il met les gaz et me voi­là par­ti pour une heure et demie de navi­ga­tion sur une mer un peu agi­tée, sous un soleil de plomb se réver­bé­rant sur une eau d’un beau bleu uni, me mor­dant la peau dès les pre­miers rayons. Le bateau fait un arrêt devant les rochers d’une des îles les plus au nord, Ko Wao Yai, un bout de rocher sans rien autour. Il paraît qu’i­ci c’est un des plus beaux spots de plon­gée du coin. J’en­tends la chaîne cou­ler sur la fonte de l’é­cu­bier et se ficher dans la roche marine, à une quin­zaine de mètres si je cal­cule bien. A peine le bateau arrê­té, tout le monde plonge du pon­ton, masque et tuba fiché sur la tête. En ce qui me concerne, je reste un peu cir­cons­pect. Le bateau bouge pas mal et les cou­rants semblent fort, mais tous n’hé­sitent pas à un seul ins­tant à plon­ger dans l’eau tur­quoise. Appré­ciant la nage en mer autant que si j’al­lais me faire cir­con­cire, je des­cends dou­ce­ment dans l’eau qui tient ses pro­messes, les cou­rants sont forts et m’an­goissent déjà. En plon­geant sous l’eau, je me rends compte que j’a­vais rai­son ; il y a effec­ti­ve­ment une quin­zaine de mètres d’eau sous mes pieds. C’en est trop pour moi, je remonte à la sur­face et m’ac­croche au bateau, pris d’une panique incon­trô­lable. En bon des­cen­dant de Bre­tons, je pré­fère ample­ment me trou­ver sur l’eau que dedans, a for­tio­ri si les fonds ne sont pas à por­tée de mes pieds. Je n’ai jamais aimé ça, je me l’é­tais confir­mé en nageant dans les eaux trans­pa­rentes de la baie de Keko­va, dans le sud de la Tur­quie. Ces conne­ries ne sont pas pour moi… Je pré­fère regar­der l’ho­ri­zon qui s’ouvre devant moi. Quelques bateaux de pêcheurs de cala­mars sont amar­rés sur les bas-fonds.

5 - Carnet de Thaïlande - 31 - Mu Ko Ang Thong National Park

5 - Carnet de Thaïlande - 32 - Mu Ko Ang Thong National Park

5 - Carnet de Thaïlande - 34 - Mu Ko Ang Thong National Park

5 - Carnet de Thaïlande - 36 - Mu Ko Ang Thong National Park

5 - Carnet de Thaïlande - 41 - Mu Ko Ang Thong National Park

La pro­chaine étape est une île sur laquelle le bateau fait escale, Ko Mae Ko. On trouve ici une curio­si­té géo­gra­phique puis­qu’a­près avoir gra­vi quelques che­mins bien raides pen­dant une bonne demi-heure, entou­rés de roches vol­ca­niques cou­pantes comme des rasoirs, on arrive face à un lac d’eau de mer, d’une cou­leur d’é­me­raude étin­ce­lante, le Thale Nai. Per­ché bien au-des­sus du niveau de la mer, c’est à n’y rien com­prendre. Com­ment cette eau salée a pu se retrou­ver encer­clée ain­si et sur­tout à une telle hau­teur ? Entou­rée d’es­car­pe­ments de cal­caire, on ne peut pas y des­cendre, on ne peut que s’ap­pro­cher de la sur­face écla­tante de l’eau dans laquelle on peut voir des petits pois­sons sans cou­leur s’é­battre. Là encore, le mys­tère en entier. Com­ment sont-ils arri­vés jus­qu’i­ci ?… De l’autre côté, on a une vue impres­sion­nante sur l’ar­chi­pel qui s’é­tend aux pieds de l’île. En redes­cen­dant du lac, je prends le temps de me bai­gner dans une petite crique à l’eau calme, où je peux voir mes pieds tou­cher le sol, ce qui est à peu près la seule chose ras­su­rante pour moi… Je me vautre dans cette eau d’une cha­leur incroyable où de tout petits pois­sons viennent s’en­qué­rir de ma présence.

Le bateau repart tran­quille­ment sur une mer d’huile, pro­té­gée par la proxi­mi­té des autres îles. Il s’ar­rête à bonne dis­tance de la côte et les gar­çons de bord nous donnent des sacs étanches pour mettre nos affaires… je ne com­prends pas trop ce qui se passe et je com­mence à avoir peur qu’on nous invite à rejoindre l’île à la nage… En réa­li­té, des bateaux à moteur, les fameux long-tail boats (เรือหางยาว, Ruea Hang Yao), viennent nous cher­cher pour accos­ter. Le tirant d’eau n’est pas suf­fi­sant pour que le gros bateau puisse s’ap­pro­cher. Le pro­blème, c’est que les long-tail boats n’ar­rivent pas non plus à s’ap­pro­cher de la plage, et c’est là que je com­prends l’in­té­rêt des sacs étanches. Il faut plon­ger dans l’eau jus­qu’à la tête pour arri­ver sur l’île… Un peu spor­tif et sur­pre­nant, mais ça ne manque pas de charme. Me voi­ci enfin sur la der­nière île, la plus grande, Ko Wua Ta Lap.

5 - Carnet de Thaïlande - 42 - Mu Ko Ang Thong National Park

5 - Carnet de Thaïlande - 43 - Mu Ko Ang Thong National Park

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5 - Carnet de Thaïlande - 49 - Mu Ko Ang Thong National Park

Mon genou me fait souf­frir et l’in­vi­ta­tion à mon­ter au som­met de l’île pour aller admi­rer l’ar­chi­pel n’est plus de mise, mais ce que je vais décou­vrir ici aura lar­ge­ment com­pen­sé le spec­tacle pro­mis. En effet, au pied de la mon­tagne, à quelques mètres au-des­sus de moi, vivent des petits singes arbo­ri­coles abso­lu­ment pas farouches. Ce sont des « Dus­ky leaf mon­key » ou Lan­gur (Tra­chy­pi­the­cus obs­cu­rus, Sem­no­pi­thèque obs­cur) qui se déplacent en famille. Je reste à les admi­rer pen­dant de longues minutes, m’a­mu­sant de leurs cabrioles et facé­ties, pen­dus par les pieds, ou mor­dillant leur queue…

5 - Carnet de Thaïlande - 52 - Mu Ko Ang Thong National Park

5 - Carnet de Thaïlande - 54 - Mu Ko Ang Thong National Park

5 - Carnet de Thaïlande - 56 - Mu Ko Ang Thong National Park

La jour­née touche à sa fin. Pen­dant que le reste de la troupe est par­tie trek­ker dans les hau­teurs, je m’al­longe à l’ombre des pal­miers, dans un calme ori­gi­nel et je pro­fite pen­dant de longues minutes d’une plage déserte cachée du soleil, le temps de repo­ser ma peau de la mor­sure du soleil et de pro­fi­ter d’une eau plus chaude que tout ce que j’ai connu jus­qu’i­ci. Le res­sac des vagues me donne l’im­pres­sion d’une Bre­tagne trans­plan­tée sous les coco­tiers, sous des franges d’é­pi­phytes sau­vages et de fou­gères ruis­se­lantes d’eau. Ce sont des moments rares, où le temps n’a plus d’im­por­tance, où l’on se retrouve seul avec l’im­pres­sion que le monde est à nos pieds. Ma peau me brûle ter­ri­ble­ment mais mon esprit est empli d’une séré­ni­té que seul l’é­loi­gne­ment de tout  per­met. Il est des bouts du monde qui ne se laissent appri­voi­ser à moins d’a­voir lais­sé tom­ber quelque chose en chemin.

5 - Carnet de Thaïlande - 62 - Mu Ko Ang Thong National Park

5 - Carnet de Thaïlande - 63 - Mu Ko Ang Thong National Park

5 - Carnet de Thaïlande - 65 - Mu Ko Ang Thong National Park

5 - Carnet de Thaïlande - 66 - Mu Ko Ang Thong National Park

Le bateau retourne à pleins gaz vers Ko Phan­gan, après m’être contor­sion­né pour remon­ter sur le long-tail boat, met­tant mon genou à rude épreuve. Au début de la course, je m’a­muse de voir les vagues tra­ver­ser le pont et les bor­dées frap­pées par les creux que nous pre­nons de côté. Mais le Golfe de Thaï­lande n’a d’i­dyl­lique que le nom. C’est en réa­li­té un enfer capri­cieux qu’il faut tra­ver­ser avec l’es­to­mac bien accro­ché. Dans une belle lumière de fin de jour­née, le bateau laisse entendre des cra­que­ments effrayants de bois pour­ri. En attar­dant un peu mon regard sur la struc­ture du bas­tin­gage, je m’a­per­çois qu’il y a des fis­sures par­tout et c’est fina­le­ment la cabine entière qui semble accro­chée à un fil au-des­sus de nos têtes. La tra­ver­sée n’en finit pas. Cer­tains sont malades et le par­quet de bois brut finit macu­lé de vomis­sures. A l’ar­rière, je me rends compte que deux des gar­çons de bord ont ouvert la cale où se trouve le moteur et écopent avec une belle ardeur l’eau qui s’in­filtre par­tout. Je manque de tour­ner de l’œil en me disant que si le moteur finit noyé, nous allons devoir res­ter là une bonne par­tie de la nuit avant qu’on vienne nous cher­cher. Mais dans l’é­qui­page, per­sonne ne semble inquiet.

Je suis fina­le­ment ren­tré entier à Ko Phan­gan, mais on ne m’y repren­dra pas. La mer n’est pas un jeu et embar­quer sur un bateau comme celui-ci est tout sim­ple­ment irrai­son­nable. J’en ris main­te­nant, mais je n’ai jamais été aus­si angois­sé sur la mer. A croire que c’est à prix-là qu’on accède au para­dis… ou à l’enfer…

Voir les 66 pho­tos de cette jour­née sur Fli­ckr.

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Des monstres et des démons à Bali : Barong au Pura Pena­ta­ran Kloncing

Des monstres et des démons à Bali : Barong au Pura Pena­ta­ran Kloncing

S’il est un per­son­nage emblé­ma­tique de Bali, c’est bien le barong. Repré­sen­té sous la forme d’un per­son­nage mons­trueux, por­tant un masque de lion et habi­té par deux per­sonnes, une por­tant le masque, l’autre por­tant le corps, il est le Banas­pa­ti rajah, le sei­gneur de la forêt et son ori­gine remonte avant l’ar­ri­vée de l’hin­douisme sur l’île de Bali, au temps où les cultes ani­mistes étaient bien ancrés. Le spec­tacle lui-même com­porte plu­sieurs tableaux, dont un legong, et une place impor­tante est lais­sée à la danse du keris, arme sacrée qu’on connaît plus volon­tiers sous le nom de kriss malais, et dont la lame est char­gée d’une puis­sance sacrée cen­sée pro­té­ger son déten­teur. La sym­bo­lique très forte du spec­tacle de barong est cen­trée sur la lutte entre le bien et le mal, méta­pho­ri­que­ment habi­tée par Barong d’un côté, et la sor­cière Rang­da de l’autre. Dans les spec­tacles non des­ti­nés aux tou­ristes, la danse occa­sionne la transe des protagonistes.

Barong au Pura Penataran Kloncing - Ubud - Bali - 4

Barong au Pura Penataran Kloncing - Ubud - Bali - 7

Barong au Pura Penataran Kloncing - Ubud - Bali - 11

Barong au Pura Penataran Kloncing - Ubud - Bali - 6

Le masque de Barong est lui-même char­gé d’une puis­sance spi­ri­tuelle très forte et on le trouve géné­ra­le­ment pro­té­gé à l’in­té­rieur de l’en­ceinte des temples, à un empla­ce­ment bien pré­cis, sous un toit de chaume pour le pro­té­ger de la pluie. Celui du Pura Taman Kemu­da Saras­wa­ti est visible lors­qu’on visite le temple.

J’ai assis­té à ce spec­tacle dans la cour d’un petit temple don­nant sur un car­re­four, un soir où je me suis fait accom­pa­gner par un des gar­çons de l’hô­tel sur son scoo­ter. Imman­qua­ble­ment, la vie au-dehors du temple conti­nue. Pen­dant près d’une heure et demie, les dan­seurs enchaînent les tableaux à l’en­trée du Pura Pena­ta­ran Klon­cing, dans une atmo­sphère char­gée de spiritualité.

J’ai été par­ti­cu­liè­re­ment impres­sion­né par la beau­té de ces femmes bali­naises dont l’ex­per­tise dans la danse est fla­grante ; il n’y a qu’à voir leur corps convul­sés, raides et gra­ciles, leurs mains prendre des pos­tures expres­sives ne serait-ce qu’en bou­geant un seul doigt, leur regard chan­ger d’ex­pres­sion d’une seconde sur l’autre, leurs pieds se tordre dans un bal­let mil­li­mé­tré. L’une d’elles occu­pant le rôle d’un prince était par­ti­cu­liè­re­ment belle et troublante.

Retour sur cette soi­rée magique, en images, sons et vidéo. La vidéo dure 14’55’‘, les enre­gis­tre­ments audio couvrent la tota­li­té du spec­tacle, soit exac­te­ment 81’39’’. Avec le spec­tacle de legong au Palais d’U­bud, ce sont les deux spec­tacles que j’ai inté­gra­le­ment enregistrés.

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Mario Kart à Ko Phangan

Mario Kart à Ko Phangan

Je l’ai déjà dit plu­sieurs fois, Ko Phan­gan est une petite île du Golfe de Thaï­lande, iso­lée du reste du monde bruyant. Petite île donc, mais peu pra­ti­cable à pied. Il vaut mieux ici se dépla­cer en taxi ou à scoo­ter. Tous les ans, des conduc­teurs impru­dents perdent la vie sur cette île, d’ailleurs répu­tée pour cela, parce que les routes y sont étroites, mal entre­te­nues, les conduc­teurs sou­vent alcoo­li­sés et la pré­sence poli­cière nulle, parce que beau­coup de per­sonnes ne font pas atten­tion, doublent n’im­porte com­ment. Je crois que le pire, c’est de se trou­ver nez-à-nez avec un occi­den­tal qui a, l’es­pace de quelques ins­tants, oublié qu’on roule à gauche en Thaï­lande. Mais ne par­lons pas de ce qui pour­rait arri­ver ou de ce qui n’est pas arri­vé, mais bien plu­tôt de l’ex­pé­rience inté­res­sante que pro­cure le scoo­ter sur cette petite île avec ses mon­tées et des­centes ver­ti­gi­neuses, ses routes par­fois sans aucun revê­te­ment, les branches de pal­miers qui tombent sur la route et les chiens qui vous regardent d’un air débon­naire tan­dis que vous les klaxon­nez pour qu’ils se poussent. C’est cer­tai­ne­ment le meilleur moyen de prendre le temps de voir l’île comme on le sou­haite, de s’ar­rê­ter là et quand on veut, sans être dépen­dant des caprices d’un taxi qui roule sou­vent trop vite.

Je me suis donc amu­sé à prendre cette petite vidéo, depuis le centre de l’île jus­qu’à l’hô­tel, avec une bande ori­gi­nale pour le moins locale puisque chan­tée par Luk Phrae Urai Phon (cli­quez pour voir la vidéo ori­gi­nale, à tous les sens du terme), une vraie star Thaï.
Met­tez votre casque, chaus­sez vos lunettes pour évi­ter les bes­tioles et c’est par­ti pour cinq minutes de course folle sur les route thaïlandaises !!

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Acco­ler / Detterrir

Acco­ler / Detterrir

Acco­ler / Det­ter­rir, une autre manière de dire atter­rir et décol­ler. Parce que peu importe le sens dans lequel on le dit. C’est vrai après tout, si on regarde d’un peu près l’é­ty­mo­lo­gie des deux mots, voi­là ce qu’on peut se dire ; le sens de décol­ler signi­fie à la fois, pour un avion, quit­ter le sol, mais aus­si sépa­rer deux choses qui sont col­lées, jointes, soli­daires. Ain­si, on peut très bien ima­gi­ner le rem­pla­cer par le mot det­ter­rir, qui, comme son cou­sin atter­rir signi­fie rejoindre la terre, pour­rait signi­fier quit­ter la terre…

Peu importent les mots. Lors de mon der­nier voyage en Tur­quie en mai 2013, un mois de mai d’une den­si­té incroyable, où j’ai ren­con­tré des per­sonnes avec qui je suis tou­jours en contact aujourd’­hui, je me suis amu­sé à fil­mer cha­cun des décol­lages et atter­ris­sages de ce voyage.
Je suis par­ti le 1er mai de Paris pour rejoindre Istan­bul. Atter­rir à Istan­bul Atatürk a quelque chose de magique. La piste est rela­ti­ve­ment courte et com­mence presque au bord de la mer. Pas­ser au-des­sus de la Mer de Mar­ma­ra avec une beau soleil qui se réflé­chit sur cette mer aux accents antiques est comme un rêve éveillé. On atter­rit tou­jours à Istan­bul en étant un peu cha­hu­té, il faut s’y attendre. C’est comme ça. Peu importe les cir­cons­tances, j’ai une petite chan­son dans la tête lorsque j’ar­rive, quelque chose comme le chant d’une femme, une lamen­ta­tion douce et triste.
Le même jour, à quelques heures d’in­ter­valle, j’ai repris un vol interne pour rejoindre Kay­se­ri. Lors­qu’on décolle d’Is­tan­bul et qu’on se dirige vers l’est, l’a­vion fait une grande boucle autour de la la pointe du sérail et nous donne une vue impres­sion­nante sur la ville antique. Kay­se­ri est un peu la capi­tale de la Cap­pa­doce, beau­coup plus grande que Nevşe­hir. L’at­ter­ris­sage se fait dans une ambiance humide, de gros nuages épais et lourds tour­nant autour de l’Erciyes dağı (Mont Argée). Des avions mili­taires, des C‑160 Trans­all visi­ble­ment, les 20 qui sont encore en ser­vice dans le monde, sont par­qués sur le côté droit de la piste.
Le 6 mai, je repars du même aéro­port, Kay­se­ri Erki­let Hava­li­manı. Le temps est beau­coup plus clé­ment, le soleil se blot­tit sur les contre­forts de la mon­tagne culmi­nant à presque 4000 mètres. En ce mois de mai, alors que la tem­pé­ra­ture frise les 25°C, le som­met est encore cou­ron­né de neige imma­cu­lée. Une nou­velle fois, j’at­ter­ris à Istan­bul et encore une fois, je suis du côté droit de l’a­vion ; de là où je suis, je ne vois pas la pointe du sérail, mais la par­tie ouest de la grande agglomération.
Le 11 mai, l’a­vion décolle d’A­tatürk, dans une lumière de fin de jour­née. Le vol dure presque quatre heures et donne l’im­pres­sion de cou­rir après le soleil qui se couche. Lorsque j’at­ter­ris à Charles de Gaulle, la nuit vient à peine de tom­ber sous un ciel de plomb aux cou­leurs vio­la­cées. Les lumières des villes alen­tours et de cette immense ville qu’est l’aé­ro­port de Rois­sy, les cou­leurs criardes des champs de col­za, tout ceci annonce le retour à la réalité.

Les vols en avion m’an­goissent tou­jours, je me sens tou­jours un peu fébrile lorsque le com­man­dant de bord annonce au micro que les hôtesses doivent se pré­pa­rer au décol­lage, que les réac­teurs vrom­bissent sur le tar­mac. Les rails de glis­se­ments des volets s’al­longent pour lais­ser tom­ber les volets qui vont per­mettre à l’a­vion de décol­ler du sol et finissent par retour­ner à leur empla­ce­ment lorsque nous serons à une alti­tude suf­fi­sante. A l’at­ter­ris­sage, les mêmes volets res­sortent pour offrir une plus grande por­tance et agran­dir la sur­face de la voi­lure. Une fois à terre, les spoi­lers se dressent pour pla­quer l’a­vion au sol et lui per­mettre de frei­ner lorsque les inver­seurs de pous­sée prennent le relais pour sou­la­ger le sys­tème de frei­nage. J’aime pour­tant regar­der les ailes bou­ger au gré des bour­rasques, se plier et trem­bler sous les dif­fé­rences de pres­sion. En quelques mots, j’aime me faire un peu peur, jamais vrai­ment ras­su­ré de m’en­vo­ler, et pour­tant tou­jours content de prendre l’air, parce qu’au bout du vol, c’est une autre réa­li­té qui s’ouvre.

Voi­ci un petit mon­tage vidéo de ces atter­ris­sages et décol­lages pen­dant le mois de mai 2013, accom­pa­gné de la musique envoû­tante de Mer­can Dede avec un titre superbe, Nar‑i Can, sur l’al­bum Nar (Dou­ble­moon, 2002).

 

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Haad Cha­lok­lum, Tsu­na­mi hazard zone

Haad Cha­lok­lum, Tsu­na­mi hazard zone

Haad Cha­lok­lum. Petite sta­tion bal­néaire tout au nord de Ko Phan­gan, der­nier point sur la route ouest de l’île. Pour conti­nuer à l’est, trois pos­si­bi­li­tés ; il faut reve­nir sur Thong Sala par la route, c’est-à-dire tout au sud, ou alors prendre un taxi-boat pour rejoindre les plages plus à l’est. Der­nière solu­tion, tra­ver­ser la bar­rière mon­ta­gneuse qui découpe l’île en deux sur sa par­tie la plus sep­ten­trio­nale, quitte à affron­ter une forêt inhos­pi­ta­lière et dense que, par­tout, on vous décon­seille for­te­ment de péné­trer. C’est dire si Cha­lok­lum fait figure de bout du monde. Un bout du monde bat­tu par le vent char­gé d’eau qui se déverse en trombes sur cette petite anse où les pêcheurs de cala­mars ont élu domi­cile pour leur activité.

4 - Carnet de Thaïlande - 01 - Haad Chaloklum

4 - Carnet de Thaïlande - 03 - Haad Chaloklum

Sur la côte, on vous pré­vient gen­ti­ment que vous êtes dans une zone sou­mise aux tsu­na­mis et qu’en cas de pro­blèmes, un sys­tème de sirène vous alerte et vous enjoint de rejoindre à toute vitesse les hau­teurs. Le décor est plan­té. On est ici sou­mis au dan­ger de la mer, de la nature toute puis­sante dans un décor de rêve, à l’ombre des coco­tiers et sur le sable fin, dans une eau qui frise les 30°C.

4 - Carnet de Thaïlande - 05 - Haad Chaloklum

4 - Carnet de Thaïlande - 07 - Haad Chaloklum

Cha­lok­lum, c’est deux ou trois rues bor­dées de com­merces tenus dans des cabanes en tôle ondu­lée, des épi­ce­ries qui ne disent pas leur nom, des baraques de pêcheurs, quelques petits res­tau­rants qui ne paient pas de mine et au milieu de tout ce petit monde, un temple, le Wat Cha­lok­lum. Impres­sion­né par les lieux de ce petit endroit sans pré­ten­tion, je n’ai même pas osé entrer ; cer­tai­ne­ment parce que j’é­tais trem­pé comme une soupe, rin­cé par une averse qui sem­blait ne jamais vou­loir s’ar­rê­ter. C’est aus­si la pre­mière fois que je suis confron­té de plein fouet à cette reli­gion que je connais mal et qui adore, en plus d’un Boud­dha omni­pré­sent, des mil­liers d’êtres spi­ri­tuels aux qua­li­tés pas toutes recommandables.

La mer a cette tris­tesse des len­de­mains de jours d’ex­cès, lorsque la pluie revient ; la plage garde les stig­mates d’une nuit trop agi­tée, à la limite de la nau­sée. Une simple balan­çoire accro­chée à un pal­mier pen­ché au-des­sus du sable semble attendre qu’on joue avec elle, comme une petite fille aban­don­née. L’a­gi­ta­tion de la houle empêche visi­ble­ment les bateaux de sor­tir, alors que tout sem­blait si ani­mé lorsque je suis pas­sé ici avant de rejoindre l’hô­tel. Pour­tant ici, le sol sèche vite après la pluie, mais l’a­gi­ta­tion de la mer tra­hit que la nature est bien plus per­verse qu’une simple ondée, qu’elle est bien plus per­ni­cieuse qu’il n’y paraît.

4 - Carnet de Thaïlande - 08 - Haad Chaloklum

Sur le front de mer, des claies sont sus­pen­dues à un mètre du sol sur un ter­rain où rien ne pousse. Si je ne les avais pas vues la veille, je n’au­rais jamais su ce qu’on y fai­sait ; ce sont en fait des cadres de bois sur les­quels on tend des filets de pêche tout fins et sur les­quels sèchent les cala­mars frai­che­ment péchés et salés. Une odeur de mort flotte dans l’air. J’i­ma­gine par­fai­te­ment les pauvres petites bêtes sécher au soleil tor­ride de Thaï­lande, leurs sucs gout­tant dans le sol meuble au fur et à mesure de leur lente des­sic­ca­tion pour finir sur les mar­chés ambu­lants de Bang­kok, fins comme des cartes à jouer trans­lu­cides, cro­quants comme des chips de pomme de terre.

4 - Carnet de Thaïlande - 09 - Haad Chaloklum

4 - Carnet de Thaïlande - 34 - Haad Chaloklum

Assise sur le rebord en béton, une femme que la soixan­taine a cueillie plus rapi­de­ment qu’elle ne l’a­vait ima­gi­né, a lais­sé ses chaus­sures der­rière elle pour regar­der la mer cla­po­ter sous les pon­tons, à l’ombre d’un jac­quier impo­sant mena­çant de lais­ser tom­ber ses énormes fruits aux mil­liers de petits piquants. Elle semble si triste et si sereine à la fois qu’elle attire inévi­ta­ble­ment sur elle une ombre de sympathie.

4 - Carnet de Thaïlande - 32 - Haad Chaloklum

4 - Carnet de Thaïlande - 13 - Haad Chaloklum

Dans une petite épi­ce­rie au bord de la route, j’a­chète des petits citrons verts qu’on appelle ici manao (มะนาว, Citrus auran­tii­fo­lia), des feuilles de com­ba­va (มะกรูด, Citrus hys­trix) et des ciga­rettes de tabac rou­lé qu’on appelle che­roots. On trouve de tout et de rien dans ce petit han­gar sur­char­gé d’é­ta­gères, de la cas­se­role en fer blanc au paquet de mou­choirs, en pas­sant par des fruits et légumes à l’as­pect pas tou­jours reconnaissable.

4 - Carnet de Thaïlande - 16 - Haad Chaloklum

4 - Carnet de Thaïlande - 23 - Haad Chaloklum

Dans l’en­ceinte du temple, il com­mence à pleu­voir des trombes, l’a­verse bat son plein tan­dis que les mon­tagnes envi­ron­nantes s’en­tourent de nuages épais aus­si sta­tiques que des boud­dhas endor­mis. Je trouve refuge sous un abri qui est en réa­li­té une salle de mas­sage en plein air. Un vieux bon­homme avec un balai à la main m’in­vite à me mettre à l’a­bri dans son antre autour de laquelle sont accro­chés par des fils de fer des épi­phytes logées dans des petits pots en alu­mi­nium, don­nant au lieu un air aérien et tro­pi­cal. Tout autour de l’en­ceinte du temple sont dis­po­sées des niches où reposent les sou­ve­nirs des ancêtres accom­pa­gnés le plus sou­vent d’une petite pho­to enca­drée, fai­sant pla­ner une onde de res­pec­ta­bi­li­té sur les lieux, déjà empreints de la quié­tude qui sied aux lieux de croyances. Un moine replet passe tran­quille­ment sous son para­pluie pour aller fer­mer les volets du temple avant de retour­ner tout aus­si tran­quille­ment de là où il est arri­vé, pas­sant à côté d’un kiosque où dorment de mau­vais gar­çons mous­ta­chus accom­pa­gnées de chiens tout aus­si mau­vais qui semblent faire la révé­rence à l’homme habillé de safran. Le vieux du salon de mas­sage me parle en me mon­trant la pluie, sem­blant me dire que ça ne s’ar­rête pas. Effec­ti­ve­ment, ça ne s’ar­rête pas et je me décide enfin à retour­ner à l’é­pi­ce­rie où je trou­ve­rai un pon­cho plas­tique fabri­qué au Vietnam.

4 - Carnet de Thaïlande - 24 - Haad Chaloklum

4 - Carnet de Thaïlande - 27 - Haad Chaloklum

4 - Carnet de Thaïlande - 20 - Haad Chaloklum

Dans un des petits res­tau­rants d’une autre rue, je m’at­table pour déjeu­ner d’un tom kha kaï et d’un pad thaï pré­pa­rés dans une cui­sine de for­tune à côté de la chambre du bébé, une chambre aveugle et chao­tique. Le fils qui n’a pas cinq ans va ache­ter des fruits à l’é­pi­ce­rie d’en face, tan­dis que la petite fille, plus jeune encore, s’ex­ta­sie devant un karao­ké qui passe à la télé. A la fin du repas, le père me pro­pose de me rame­ner à Haad Salad avec sa voi­ture pour un prix tout à fait modeste.

4 - Carnet de Thaïlande - 29 - Haad Chaloklum

Le temps s’é­tire à Haad Cha­lok­lum tan­dis que la plage attend sage­ment les ravages d’un tsu­na­mi. Il n’y a rien à faire ici à part regar­der le temps pas­ser et la pluie s’é­cra­ser en grosses gouttes sur les feuilles d’un beau vert tendre des bana­niers. De temps en temps, on entend les noix de coco tom­ber dans un bruit sourd de toute leur hau­teur dans l’herbe grasse où paissent des buffles gras. Même les chiens s’en­nuient ferme, l’œil à moi­tié fer­mé pen­dant qu’ils dorment sur le bord de la route, et par­fois même au beau milieu des car­re­fours. Il va fal­loir que j’ap­prenne à goû­ter de ce temps qui ne s’é­coule pas d’une manière connue.

4 - Carnet de Thaïlande - 36 - Haad Chaloklum

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