Odeur de clé­men­tine qui flotte dans l’air frais du matin.
Filets de nuages qui s’é­tirent dans un ciel de cris­tal glacé.
Un papier de Qua­li­ty Street lais­sé à l’a­ban­don sur le bord de la table.
La tasse à café, vide, exhale encore son odeur âcre, sans sucre s’il vous plaît.
Le soleil qui vient me chauf­fer le côté droit du visage tan­dis que je le lis pai­si­ble­ment sur le cana­pé, sous le plaid blanc imma­cu­lé que je viens d’acheter.
Je rêve à la Rus­sie de Tol­stoï et des églises ortho­doxes, à la blan­cheur de la taï­ga sous le givre qui avance masqué.
Je me sens incroya­ble­ment bien et l’es­pace d’un ins­tant, j’en oublie tout ce qui devrait me soucier.
Je me suis pro­mis que cet hiver je visi­te­rai la cathé­drale Alexandre Nevs­ky de Paris. J’ai­me­rais qu’il neige pour ça.

Quelques courses pour nour­rir mon appé­tit de bonnes choses à l’o­rée de l’hi­ver. Des After Eight au citron, un mar­zi­pans­tol­len à l’o­range, une deuxième bou­teille de Che­va­lier de Las­combes, Mar­gaux 2011, la pre­mière étant déjà presque ter­mi­née, trois bou­teilles de Gewurz­tra­mi­ner (je me les garde pour Noël), du Pot­jev­leesch à man­ger sur du pain de cam­pagne, une tranche de Vache­rin fri­bour­geois, un Pont-l’E­vêque, un Brillat Sava­rin… Bref, de quoi res­ter à la mai­son au chaud quelques jours. Au super­mar­ché, une petite dame âgée s’est appro­chée de son mari tout aus­si petit, avec un regard espiègle et lui a offert un sachet. Ils se sont sou­ris et il lui a dépo­sé un bai­ser tendre sur la bouche. Bête­ment, j’ai sou­ri en les regar­dant. C’est, déci­dé­ment, une belle journée.

C’est la plus belle période de l’an­née pour regar­der la pein­ture. Je devrais com­men­cer à regar­der aus­si dans quelle par­tie du monde je vais m’aventurer.

Le voyage est un bat­te­ment de cœur sup­plé­men­taire. Du voyage on garde des cica­trices, mais inver­sées, comme si on avait davan­tage de peau, un peu plus de nous et des autres.

Estelle Nol­let, Par­tir
in L’almanach des voya­geurs, sous la direc­tion de Jean-Claude Perrier
Magel­lan & Cie, 2012

Dans mes tas de livres dont la masse se rap­proche de la masse cri­tique, j’ai retrou­vé un beau livre que j’a­vais enta­mé l’an­née der­nière et qui fait le bon­heur de mes courtes soi­rées en ce moment ; Atlas des îles aban­don­nées, par Judith Scha­lans­ky, pré­fa­cé par Oli­vier de Ker­sau­zon. Un vrai bijou, des textes inat­ten­dus et un uni­vers gra­phique à la fois très mar­qué et d’une com­plexi­té savante. J’aime les for­mules de l’au­teur : Trin­dade ; Ce lieu est un désastre topo­gra­phique. C’est le livre de l’éloignement impro­bable, des îles qui ont tout fait pour qu’on ne les trouve pas, car là où elles sont situées pour la plu­part, il ne vien­drait à l’i­dée de per­sonne d’al­ler les cher­cher. Que pen­ser des îles por­tant le doux nom de Soli­tude, Décep­tion ou pire encore ; Désap­poin­te­ment ? Que savons-vous réel­le­ment de ces îles au nom qui nous paraissent presque fami­lier comme Tris­tan da Cun­ha, Clip­per­ton, Christ­mas, ou même Sainte-Hélène ren­due célèbre par un petit homme corse en exil ? Judith Scha­lans­ky est née en RDA et pour elle le voyage dans ses jeunes années n’a été que le fruit de son ima­gi­na­tion qu’elle lais­sait vaga­bon­der au bout de son doigt sur les cartes et les atlas. Il faut lire ce qu’en dit Flo­ri­zel (que j’ai l’im­pres­sion d’a­voir déjà croi­sé) lors­qu’elle évoque les Fin­ger­rei­sen, qu’on pour­rait tra­duire (mal) par voyage au bout du doigt. Je viens d’ailleurs de décou­vrir grâce à elle que le titre en alle­mand est Atlas der abge­le­ge­nen Inseln (Atlas des îles éloi­gnées, et non pas abandonnées).
Me voi­là sidéré.

Pho­to d’en-tête © Axel Hart­mann