L’his­toire du man­du­ca­tor fait cer­tai­ne­ment par­tie des décou­vertes archéo­lo­giques les plus sur­pre­nantes de ces der­nières années. En 2006, un chan­tier de fouilles sur le Laz­za­ret­to Nuo­vo de Venise a mis au jour un bien étrange sque­lette datant du XVIè siècle. L’île, pen­dant les épi­dé­mies suc­ces­sives de peste a ser­vi de mou­roir et de lieu de qua­ran­taine. Nombre de malades furent envoyés sur l’île pour finir leurs jours et évi­ter aux Véni­tiens la conta­mi­na­tion. La plu­part des corps décou­verts dans la fosse étaient sim­ple­ment recou­verts d’un lin­ceul, mais le sque­lette de femme dont il est ques­tion avait une brique coin­cée dans la bouche grande ouverte. Les archéo­logues étaient réel­le­ment en pré­sence de ce que les textes du Moyen-Âge appellent un man­du­ca­tor, un esprit mâcheur qui mâche du fond de sa tombe. Des récits relatent jus­qu’au XIXè siècle des cas de morts qui avaient man­gé leur lin­ceuls, dont on avait ouvert le tom­beau parce qu’on avait enten­du un bruit de mas­ti­ca­tion. Le corps était décou­vert frais ; on a tôt fait d’as­si­mi­ler ces mâcheurs aux vam­pires et les expli­ca­tions ration­nelles ont eu du mal à venir. On a pen­sé à des per­sonnes enter­rées vives ten­tant de déchi­rer leur lin­ceul ou à l’ac­tion des sucs de décom­po­si­tion sur le tis­su. Le mâcheur entraî­nait avec lui les autres membres de sa famille et tant qu’il ne ces­se­rait pas de mâcher, l’é­pi­dé­mie conti­nue­rait de déci­mer ses proches. Aus­si le seul moyen d’é­ra­di­quer le mâcheur était de l’ex­hu­mer et de mettre son corps en pièce. Après l’in­ter­dic­tion d’ex­hu­mer de 1755, on trou­va des moyens de pré­ven­tion pour évi­ter la malé­dic­tion des mâcheurs : lui dépo­ser une brique ou un caillou dans la bouche ou l’en­ter­rer ventre contre terre…

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