Agir sans agir (Liang Shitai)

Agir sans agir (Liang Shitai)

Il ne se passe pas grand-chose à la cour du prince Ch’un. Yixuan (奕譞) et sa cour se mor­fondent der­rière les murs de brique du vieux palais. A l’ex­té­rieur, le Vice-Roi du Zhi­li, le revêche Li Hongz­hang (李鴻章) joue de ses rela­tions pour lever une milice au ser­vice de la dynas­tie des Qing, depuis son palais de Tian­jin. Les jours s’é­coulent tran­quille­ment dans l’at­tente d’un évé­ne­ment qui pour­rait bous­cu­ler le pou­voir en place ou l’in­son­dable iner­tie des jours sans bon­heur, sans mal­heur non plus. Une douce indo­lence règne dans les jours des palais. Les cours d’eau arti­fi­ciels imitent la nature sous les ponts en bois peints en rouge, une barque attend à son pon­ton de pro­me­ner les cour­ti­sanes far­dées, toutes empreintes de cet air triste qu’ont les pri­son­nières dans leur geôle, et déjà les nénu­phars se fanent sous les perches des hérons, les érables perdent leurs feuilles après avoir don­né aux jar­dins les plus belles cou­leurs de l’au­tomne. L’hi­ver s’ins­talle avant que la vie ne reprenne. Et puis sur­git un pho­to­graphe à la cour. Liang Shi­tai immor­ta­lise quelques scènes de la vie du palais sur ses plaques de verre, en tire des épreuves sur papier albu­mi­né. Pour­tant, la vie n’est pas plus exci­tante qu’avant.

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Liang Shi­tai fait une incur­sion dans les palais après avoir été intro­duit au rang des grands pho­to­graphes auprès des per­son­na­li­tés poli­tiques de son temps, comme jus­te­ment Li Hongz­hang qu’il immor­ta­li­se­ra sur un cli­ché avec le Géné­ral Ulysses Grant. On l’ap­pelle sou­vent pour prendre des cli­chés des ren­contres des grands hommes. Pour­tant, il n’existe aucun por­trait de l’homme, per­sonne à part ceux qui l’ont côtoyé ne sait à quoi il res­semble. Il s’a­muse à dégui­ser le sep­tième fils de l’empereur Dao­guang, Yixuan, pour le faire poser nour­ris­sant une biche, scène buco­lique à l’en­vi, et le pho­to­gra­phie sur son che­val, ou encore avec ses enfants. Il ne se passe rien, le temps conti­nue de filer et les âmes meurent. Les sai­sons conti­nuent de s’en­chaî­ner sur fond de sou­bre­sauts de guerre entre l’Ex­trême-Orient et l’Oc­ci­dent. Yixuan expire en 1891 dans son palais après avoir joui de sa pro­mo­tion. De Prince Ch’un de second rang, il devient Prince Ch’un de pre­mier rang… et n’au­ra réus­si en tout et pour tout qu’à deve­nir cer­tai­ne­ment influent auprès de l’im­pé­ra­trice douai­rière Ts’eu-hi, puis­qu’il réus­si­ra à faire exé­cu­ter son propre neveu pour que sa belle-sœur prenne le trône… Une bien jolie histoire.

Li Hongz­hang, lui, mour­ra à 78 ans en 1901 après avoir été pro­mu Che­va­lier de la Grande Croix du Royal Vic­to­rian Order.

li_hongzhang_signature_kaoQuant à Liang Shi­tai, il nous lègue soixante pho­tos prises à la cour du Prince Ch’un, Yixuan… Mais per­sonne ne sait qui il est vraiment.

Visua­li­ser l’al­bum de Liang Shi­tai sur le site de la Libra­ry of Congress.

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Maître de Ong­gi (옹기)

Maître de Ong­gi (옹기)

Ong­gi (옹기 en coréen), c’est une famille, une famille de pots en terre, ou plu­tôt, selon l’ex­pres­sion consa­crée au vu de leur taille, de jarres. Si l’a­li­men­ta­tion coréenne n’é­tait pas autant impré­gnée d’a­li­ments fer­men­tés, le Ong­gi n’au­rait pas aujourd’­hui cette place dans la socié­té ; c’est la rai­son pour laquelle on peut en trou­ver des dizaines expo­sées dans le Jang­dok­dae (lieu dédié à ces jarres) au palais de Gyeong­bok à Séoul. La par­ti­cu­la­ri­té de ces jarres, c’est que leur céra­mique n’est pas émaillée, mais recou­verte d’une gla­çure liquide qui, une fois cuite, laisse le pot res­pi­rer et per­met les échanges d’air avec l’ex­té­rieur ; c’est ce qui per­met la fer­men­ta­tion des ali­ments, mais lui confère éga­le­ment une grande résis­tance aux élé­ments comme le soleil, la pluie, ou le gel. Une fois le ong­gi cas­sé ou fen­du, il retourne à la terre, on le concasse et on le laisse se dégra­der dans la terre. Il est rétif à l’archéologie. 

Mais ce qui est impor­tant dans tout ça, c’est que l’o­ri­gine du Ong­gi remonte à une période située entre 4000 et 5000 av. J.-C., et qu’au­jourd’­hui encore, dans la Corée moderne, il existe encore des hommes et des femmes qui tra­vaillent ces jarres comme des œuvres d’art, et pour com­prendre exac­te­ment, ce que ça signi­fie, il faut par­tir avec Lee Kang-hyo, un des plus célèbres potiers coréens ; il faut le regar­der se pré­pa­rer au rythme de la musique, il faut le regar­der écla­bous­ser les jarres avec la gla­çure, il faut encore et encore le regar­der répandre à la main la sub­stance gluante sur la sur­face des pots en se lais­sant péné­trer par une musique qui le fait presque entrer en transe et le fait reve­nir plus de 5000 ans en arrière, lorsque ses ancêtres pro­dui­saient les pre­mières jarres, il faut le regar­der, le visage bar­bouillé d’é­cla­bous­sures, le visage fer­mé, à genou devant sa créa­tion… Sans cela, je doute qu’on puisse comprendre…

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