Des Assas­sins à l’A­ga Khan, une seule ligne droite

De la pseu­do-secte des Assas­sins dont a tout dit et sur­tout n’im­porte quoi, on sait sur­tout que son rôle était stric­te­ment poli­tique et reli­gieux. Ce groupe reli­gieux d’o­bé­dience chiite est en fait une éma­na­tion de l’is­maé­lisme tra­di­tion­nel. On les a appe­lé Hash­sha­shin, Hasha­shiyyin, bâti­nîs, ou encore Nizâ­rites, du nom de Nizar ben al-Mus­tan­sir, fils du hui­tième calife fati­mide et imam ismaé­lien à qui les Assas­sins prêtent ser­ment. Par tra­di­tion, on attri­bue aux Ismaé­liens une doc­trine de foi liber­taire fon­da­men­ta­liste et paci­fique et basée sur un mélange de néo-pla­to­nisme et de mys­ti­cisme remon­tant aux ori­gines de l’Is­lam, ce qui a néces­sai­re­ment jeté une voile de sus­pi­cion sur ses activités.

L’homme qui fit de ces ismaé­liens des assas­sins por­tait le nom de Has­san ibn al-Sab­bah, ou le « Vieux de la Mon­tagne », titre que por­te­ront après sa mort les chefs suc­ces­sifs de la secte. Ins­tal­lant ses hommes dans la for­te­resse d’Ala­mut dans laquelle est ras­sem­blée une somme de livre et d’ins­tru­ments scien­ti­fiques abso­lu­ment consi­dé­rable, il les entraî­na au meurtre mais uni­que­ment à des visées poli­tiques. Bien déci­dés à défendre le chiisme à l’in­té­rieur notam­ment du cali­fat fati­mide égyp­tien, les Assas­sins joue­ront de tous les stra­ta­gèmes pour assas­si­ner en temps vou­lu quelques per­son­nages clé dans la cité arabe à par­tir du XIème siècle ; on leur prê­ta une addic­tion sup­po­sée, for­cée et contrô­lée, à la plante dont le nom est déri­vé ; le haschich. Rien n’est moins cer­tain selon les sources. Le mot “Assas­sin” décou­le­rait plu­tôt d’un terme signi­fiant “fon­da­men­tal”. Ce qui est cer­tain en revanche c’est que leur fana­tisme et leur iso­le­ment dans la for­te­resse d’A­la­mut les ren­daient cer­tai­ne­ment ser­viles et mal­léables à mer­ci. La secte joue­ra un rôle pré­pon­dé­rant pen­dant les inva­sions franques et leur rôle poli­tique s’in­ter­rom­pit brus­que­ment en 1256 lorsque les Mon­gols diri­gés par Hou­la­gou Khan prirent Ala­mut et rasèrent lit­té­ra­le­ment la for­te­resse en détrui­sant par la feu sa consi­dé­rable biblio­thèque scientifique.
On pour­rait croire que la fameuse secte des Assas­sins dis­pa­rut avec sa for­te­resse, mais ses dis­ciples se fon­dirent dans la vie de la cité arabe et conti­nuèrent à por­ter en eux la parole ismaé­lienne, dont le chef, encore aujourd’­hui, n’est autre que… l’Aga Khan. Le titre d’A­ga Khan est confé­ré par le Shah d’I­ran en 1818 et com­bine le titre d’Ağa ou Agha (آغا en per­san), titre d’of­fi­cier civil ou mili­taire dans l’Em­pire Otto­man et le titre mon­gol de Khan (diri­geant ou sou­ve­rain). Le der­nier Aga Khan est le prince Sayyid Karim Al-Husay­ni (Karim Aga Khan IV), 49ème imam ismaé­lien nizâ­rite et donc des­cen­dant direct de Has­san ibn al-Sab­bah, le Vieux de la Montagne…

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Salâh Ad-Dîn Al-Ayyû­bî, le plus magna­nime des sultans

Salâh Ad-Dîn Al-Ayyû­bî(1), lit­té­ra­le­ment le ver­tueux de la reli­gion, fils d’Ayyoub(2), connu éga­le­ment sous son nom de jeu­nesse Yûsuf, puis sous le nom que lui don­ne­ront les Francs, Sala­din, est sur­tout connu pour son rôle dans la recon­quête de Jéru­sa­lem face aux Occi­den­taux lors des Croi­sades. Dans un monde arabe per­clus par les divi­sions face aux inva­sions, il conti­nue­ra l’œuvre de son maître Nur ad-Din et sera le pre­mier à uni­fier une pro­vince immense, allant du nord de la Syrie au Yémen et de la Tuni­sie à l’Égypte tan­dis que les Francs se par­tagent encore dans un désordre total quelques cités puis­santes sur la bande côtière palestinienne.

Por­trait de Sala­din par Cris­to­fa­no dell’Altissimo

On sait aus­si que Sala­din fait par­tie de ces per­son­nages que l’his­toire connait et recon­nait pour avoir été en quelque sorte vic­time de leur suc­cès. Ne cher­chant en aucun cas la gloire ou la richesse, c’est par un concours de cir­cons­tances que son maître Nur ad-Din lui confie­ra le cali­fat fati­mide d’Égypte. Ce qu’on sait moins, c’est que Sala­din, loin d’être le per­son­nage cha­ris­ma­tique et impi­toyable, un grand chef guer­rier mon­té en épingle par les films et l’his­toire cano­nique, est un homme d’une reli­gio­si­té à toute épreuve et d’une géné­ro­si­té extrême dont les actes de pro­di­ga­li­té ont sou­vent été consi­dé­rés comme incons­cients par ses admi­nis­tra­teurs et ses trésoriers.

Ceux qui ont connu Sala­din s’at­tardent peu sur sa des­crip­tion phy­sique — petit, frêle, la barbe courte et régu­lière. Ils pré­fèrent par­ler de son visage, de ce visage pen­sif et quelque peu mélan­co­lique, qui s’illu­mi­nait sou­dain d’un sou­rire récon­for­tant met­tant l’in­ter­lo­cu­teur en confiance. Il était tou­jours affable avec ses visi­teurs, insis­tant pour les rete­nir à man­ger, les trai­tant tou­jours avec les hon­neurs, même s’ils étaient des infi­dèles, et satis­fai­sant à toutes leurs demandes. Il ne pou­vait accep­ter que quel­qu’un vienne à lui et reparte déçu, et cer­tains n’hé­si­taient pas à en pro­fi­ter. Un jour, au cours d’une trêve avec les Franj, le «brins», sei­gneur d’An­tioche, arri­va à l’im­pro­viste devant la tente de Sala­hed­din et lui deman­da de lui rendre la région que le sul­tan avait prise quatre ans plus tôt. Il la lui donna !
On le voit, la géné­ro­si­té de Sala­din a frô­lé par­fois l’inconscience.

Ses tré­so­riers, révèle Bahaed­din, gar­daient tou­jours en cachette une cer­taine somme d’argent pour parer à tout impré­vu, car ils savaient bien que, si le maître appre­nait l’exis­tence de cette réserve, il la dépen­se­rait immé­dia­te­ment. En dépit de cette pré­cau­tion, il n’y avait dans le tré­sor de l’État à la mort du sul­tan qu’un lin­got d’or de Tyr et qua­rante-sept dirhams d’argent.
Quand cer­tains de ses col­la­bo­ra­teurs lui reprochent sa pro­di­ga­li­té, Sala­din leur répond avec un sou­rire désin­volte : « Il est des gens pour qui l’argent n’a pas plus d’im­por­tance que le sable. » De fait, il a un mépris sin­cère pour la richesse et le luxe, et, lorsque les fabu­leux palais des califes fati­mides tombent en sa pos­ses­sion, il y ins­talle ses émirs, pré­fé­rant, quant à lui, demeu­rer dans la rési­dence, plus modeste, réser­vée aux vizirs.

L’er­reur stra­té­gique de Sala­din fut, dans son immense magna­ni­mi­té, de relâ­cher sys­té­ma­ti­que­ment ses pri­son­niers lors de la reprise des cités franques et de leur per­mettre de se réfu­gier dans la cita­delle de Tyr, là où les Francs mas­sa­craient les leurs avec une sorte de délec­ta­tion bar­bare. Entas­sés dans la cita­delle, les Francs menés par Richard Ier d’An­gle­terre (Cœur de Lion), se sont regon­flés à bloc pour aller reprendre la cité d’Acre. C’est cet évé­ne­ment qui eut rai­son des nerfs de Saladin.
La per­son­na­li­té com­plexe de cet homme adu­lé par son peuple, détes­té en rai­son de sa popu­la­ri­té par ses détrac­teurs, le por­te­ra à pas­ser la fin de sa vie dans une dépres­sion léthar­gique, ava­chi dans les jar­dins de son palais, malade et amorphe, rêvant à la gran­deur du monde arabe que la reprise d’Acre met à mal.

Bataille de Hit­tin

C’est véri­ta­ble­ment lors de la prise de Jéru­sa­lem, Ville Sainte, qu’on peut se rendre compte à quel point l’homme est véri­ta­ble­ment conscient de la valeur qui revêt l’en­tente entre les peuples et les religions.

Et le ven­dre­di 2 octobre 1187, le 27 rajab de l’an 583 de l’hé­gire, le jour même où les musul­mans fêtent le voyage du Pro­phète à Jéru­sa­lem, Sala­din fait son entrée solen­nelle dans la Ville Sainte. Ses émirs et ses sol­dats ont des ordres stricts : aucun chré­tien, qu’il soit franc ou orien­tal, ne doit être inquié­té. De fait, il n’y aura ni mas­sacre ni pillage. Quelques fana­tiques ont récla­mé la des­truc­tion de l’é­glise du Saint-Sépulcre en guise de repré­sailles contre les exac­tions com­mises par les Franj, mais Sala­din les remet à leur place. Bien plus, il ren­force la garde sur les lieux de culte et annonce que les Franj eux-mêmes pour­ront venir en pèle­ri­nage quand ils le vou­dront. Bien enten­du, la croix franque, ins­tal­lée sur le dôme du Rocher est rame­née; et la mos­quée al-Aqsa, qui avait été trans­for­mée en église, rede­vient un lieu de culte musul­man, après que ses murs ont été asper­gés d’eau de rose.

Textes extraits du livre d’Amin Maa­louf, Les croi­sades vues par les Arabes, la bar­ba­rie franque en terre sainte.
Jean-Claude Lat­tès, 1983

Note :
1 — Titre exact : abū al-muẓẓa­far ṣalāḥ ad-dīn al-malik an-nāṣir yūsuf ben najm ad-dīn al-ʾayyūbī ben šāḏī, أبو المظفر صلاح الدين “الملك الناصر” يوسف بن نجم الدين أيوب بن شاذي.
2 — Ayyoub (Najm ad-Din Ayyub), ancien com­pa­gnon de route de Nur ad-Din (Nour ad-Din Mah­mûd el Mâlik al Adil). Sala­din uti­li­se­ra son nom pour fon­der la dynas­tie ayyou­bide.

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Empe­reurs infor­tu­nés de Byzance (6) : les grap­toi et les man­di­bules de Méthode

Afin de bou­cler le cha­pitre sur les empe­reurs de Constan­ti­nople et de jeter un voile sur cette période trouble qui n’eut presque que pour unique objet ce qu’on appe­la la que­relle des images, nous allons ter­mi­ner avec l’un des pires artistes de l’i­co­no­clasme, l’empereur Théo­phile (qui, selon l’é­ty­mo­lo­gie, veut tout de même dire qui aime Dieu, ou qui est aimé de Dieu — ça n’aide en rien à com­prendre, c’est juste pour pré­ci­ser). Celui-ci est mort dans son lit après avoir été bles­sé lors de la prise de sa ville natale par le calife, cal­me­ment, loin du tumulte des choses poli­tiques et des com­plots our­dis, et l’his­toire retien­dra de lui qu’il œuvra pour ten­ter de réduire la cor­rup­tion dans son empire.

Deux poètes venus de Pales­tine à la demande du patriarche de Jéru­sa­lem afin de le convaincre de ces­ser de per­sé­cu­ter les chré­tiens ado­ra­teurs des images firent les frais de sa cruau­té ; Théo­phane et Théo­dore, par­ti­cu­liè­re­ment viru­lents dans leurs poèmes et dans leurs pro­pos finirent atta­chés dans une cel­lule où le bour­reau se char­gea de leur lais­ser un joli sou­ve­nir. (more…)

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Monu­ments égyp­tiens, bas-reliefs, pein­tures, inscriptions…

Encore une très belle pro­duc­tion dans la col­lec­tion des œuvres illus­trées d’Émile Prisse d’A­vennes, édi­tée en 1847 par Didot frères à Paris. On note­ra à la fin de l’ou­vrage des planches en cou­leur abso­lu­ment superbes. On regret­te­rait presque qu’il y ait aus­si peu de planches…

Monu­ments égyp­tiens, bas-reliefs, pein­tures, ins­crip­tions… etc, d’a­près les des­sins exé­cu­tés sur les lieux par E. Prisse d’A­vennes, pour faire suite aux Monu­ments de l’E­gypte et de la Nubie, de Cham­pol­lion le Jeune.

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