Aug 31, 2012 | Histoires de gens |
De la pseudo-secte des Assassins dont a tout dit et surtout n’importe quoi, on sait surtout que son rôle était strictement politique et religieux. Ce groupe religieux d’obédience chiite est en fait une émanation de l’ismaélisme traditionnel. On les a appelé Hashshashin, Hashashiyyin, bâtinîs, ou encore Nizârites, du nom de Nizar ben al-Mustansir, fils du huitième calife fatimide et imam ismaélien à qui les Assassins prêtent serment. Par tradition, on attribue aux Ismaéliens une doctrine de foi libertaire fondamentaliste et pacifique et basée sur un mélange de néo-platonisme et de mysticisme remontant aux origines de l’Islam, ce qui a nécessairement jeté une voile de suspicion sur ses activités.
L’homme qui fit de ces ismaéliens des assassins portait le nom de Hassan ibn al-Sabbah, ou le « Vieux de la Montagne », titre que porteront après sa mort les chefs successifs de la secte. Installant ses hommes dans la forteresse d’Alamut dans laquelle est rassemblée une somme de livre et d’instruments scientifiques absolument considérable, il les entraîna au meurtre mais uniquement à des visées politiques. Bien décidés à défendre le chiisme à l’intérieur notamment du califat fatimide égyptien, les Assassins joueront de tous les stratagèmes pour assassiner en temps voulu quelques personnages clé dans la cité arabe à partir du XIème siècle ; on leur prêta une addiction supposée, forcée et contrôlée, à la plante dont le nom est dérivé ; le haschich. Rien n’est moins certain selon les sources. Le mot “Assassin” découlerait plutôt d’un terme signifiant “fondamental”. Ce qui est certain en revanche c’est que leur fanatisme et leur isolement dans la forteresse d’Alamut les rendaient certainement serviles et malléables à merci. La secte jouera un rôle prépondérant pendant les invasions franques et leur rôle politique s’interrompit brusquement en 1256 lorsque les Mongols dirigés par Houlagou Khan prirent Alamut et rasèrent littéralement la forteresse en détruisant par la feu sa considérable bibliothèque scientifique.
On pourrait croire que la fameuse secte des Assassins disparut avec sa forteresse, mais ses disciples se fondirent dans la vie de la cité arabe et continuèrent à porter en eux la parole ismaélienne, dont le chef, encore aujourd’hui, n’est autre que… l’Aga Khan. Le titre d’Aga Khan est conféré par le Shah d’Iran en 1818 et combine le titre d’Ağa ou Agha (آغا en persan), titre d’officier civil ou militaire dans l’Empire Ottoman et le titre mongol de Khan (dirigeant ou souverain). Le dernier Aga Khan est le prince Sayyid Karim Al-Husayni (Karim Aga Khan IV), 49ème imam ismaélien nizârite et donc descendant direct de Hassan ibn al-Sabbah, le Vieux de la Montagne…
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Aug 27, 2012 | Histoires de gens, Livres et carnets |
Salâh Ad-Dîn Al-Ayyûbî(1), littéralement le vertueux de la religion, fils d’Ayyoub(2), connu également sous son nom de jeunesse Yûsuf, puis sous le nom que lui donneront les Francs, Saladin, est surtout connu pour son rôle dans la reconquête de Jérusalem face aux Occidentaux lors des Croisades. Dans un monde arabe perclus par les divisions face aux invasions, il continuera l’œuvre de son maître Nur ad-Din et sera le premier à unifier une province immense, allant du nord de la Syrie au Yémen et de la Tunisie à l’Égypte tandis que les Francs se partagent encore dans un désordre total quelques cités puissantes sur la bande côtière palestinienne.
Portrait de Saladin par Cristofano dell’Altissimo
On sait aussi que Saladin fait partie de ces personnages que l’histoire connait et reconnait pour avoir été en quelque sorte victime de leur succès. Ne cherchant en aucun cas la gloire ou la richesse, c’est par un concours de circonstances que son maître Nur ad-Din lui confiera le califat fatimide d’Égypte. Ce qu’on sait moins, c’est que Saladin, loin d’être le personnage charismatique et impitoyable, un grand chef guerrier monté en épingle par les films et l’histoire canonique, est un homme d’une religiosité à toute épreuve et d’une générosité extrême dont les actes de prodigalité ont souvent été considérés comme inconscients par ses administrateurs et ses trésoriers.
Ceux qui ont connu Saladin s’attardent peu sur sa description physique — petit, frêle, la barbe courte et régulière. Ils préfèrent parler de son visage, de ce visage pensif et quelque peu mélancolique, qui s’illuminait soudain d’un sourire réconfortant mettant l’interlocuteur en confiance. Il était toujours affable avec ses visiteurs, insistant pour les retenir à manger, les traitant toujours avec les honneurs, même s’ils étaient des infidèles, et satisfaisant à toutes leurs demandes. Il ne pouvait accepter que quelqu’un vienne à lui et reparte déçu, et certains n’hésitaient pas à en profiter. Un jour, au cours d’une trêve avec les Franj, le «brins», seigneur d’Antioche, arriva à l’improviste devant la tente de Salaheddin et lui demanda de lui rendre la région que le sultan avait prise quatre ans plus tôt. Il la lui donna !
On le voit, la générosité de Saladin a frôlé parfois l’inconscience.
Ses trésoriers, révèle Bahaeddin, gardaient toujours en cachette une certaine somme d’argent pour parer à tout imprévu, car ils savaient bien que, si le maître apprenait l’existence de cette réserve, il la dépenserait immédiatement. En dépit de cette précaution, il n’y avait dans le trésor de l’État à la mort du sultan qu’un lingot d’or de Tyr et quarante-sept dirhams d’argent.
Quand certains de ses collaborateurs lui reprochent sa prodigalité, Saladin leur répond avec un sourire désinvolte : « Il est des gens pour qui l’argent n’a pas plus d’importance que le sable. » De fait, il a un mépris sincère pour la richesse et le luxe, et, lorsque les fabuleux palais des califes fatimides tombent en sa possession, il y installe ses émirs, préférant, quant à lui, demeurer dans la résidence, plus modeste, réservée aux vizirs.
L’erreur stratégique de Saladin fut, dans son immense magnanimité, de relâcher systématiquement ses prisonniers lors de la reprise des cités franques et de leur permettre de se réfugier dans la citadelle de Tyr, là où les Francs massacraient les leurs avec une sorte de délectation barbare. Entassés dans la citadelle, les Francs menés par Richard Ier d’Angleterre (Cœur de Lion), se sont regonflés à bloc pour aller reprendre la cité d’Acre. C’est cet événement qui eut raison des nerfs de Saladin.
La personnalité complexe de cet homme adulé par son peuple, détesté en raison de sa popularité par ses détracteurs, le portera à passer la fin de sa vie dans une dépression léthargique, avachi dans les jardins de son palais, malade et amorphe, rêvant à la grandeur du monde arabe que la reprise d’Acre met à mal.
Bataille de Hittin
C’est véritablement lors de la prise de Jérusalem, Ville Sainte, qu’on peut se rendre compte à quel point l’homme est véritablement conscient de la valeur qui revêt l’entente entre les peuples et les religions.
Et le vendredi 2 octobre 1187, le 27 rajab de l’an 583 de l’hégire, le jour même où les musulmans fêtent le voyage du Prophète à Jérusalem, Saladin fait son entrée solennelle dans la Ville Sainte. Ses émirs et ses soldats ont des ordres stricts : aucun chrétien, qu’il soit franc ou oriental, ne doit être inquiété. De fait, il n’y aura ni massacre ni pillage. Quelques fanatiques ont réclamé la destruction de l’église du Saint-Sépulcre en guise de représailles contre les exactions commises par les Franj, mais Saladin les remet à leur place. Bien plus, il renforce la garde sur les lieux de culte et annonce que les Franj eux-mêmes pourront venir en pèlerinage quand ils le voudront. Bien entendu, la croix franque, installée sur le dôme du Rocher est ramenée; et la mosquée al-Aqsa, qui avait été transformée en église, redevient un lieu de culte musulman, après que ses murs ont été aspergés d’eau de rose.
Textes extraits du livre d’Amin Maalouf, Les croisades vues par les Arabes, la barbarie franque en terre sainte.
Jean-Claude Lattès, 1983
Note :
1 — Titre exact : abū al-muẓẓafar ṣalāḥ ad-dīn al-malik an-nāṣir yūsuf ben najm ad-dīn al-ʾayyūbī ben šāḏī, أبو المظفر صلاح الدين “الملك الناصر” يوسف بن نجم الدين أيوب بن شاذي.
2 — Ayyoub (Najm ad-Din Ayyub), ancien compagnon de route de Nur ad-Din (Nour ad-Din Mahmûd el Mâlik al Adil). Saladin utilisera son nom pour fonder la dynastie ayyoubide.
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Aug 26, 2012 | Histoires de gens, Livres et carnets |
Afin de boucler le chapitre sur les empereurs de Constantinople et de jeter un voile sur cette période trouble qui n’eut presque que pour unique objet ce qu’on appela la querelle des images, nous allons terminer avec l’un des pires artistes de l’iconoclasme, l’empereur Théophile (qui, selon l’étymologie, veut tout de même dire qui aime Dieu, ou qui est aimé de Dieu — ça n’aide en rien à comprendre, c’est juste pour préciser). Celui-ci est mort dans son lit après avoir été blessé lors de la prise de sa ville natale par le calife, calmement, loin du tumulte des choses politiques et des complots ourdis, et l’histoire retiendra de lui qu’il œuvra pour tenter de réduire la corruption dans son empire.
Deux poètes venus de Palestine à la demande du patriarche de Jérusalem afin de le convaincre de cesser de persécuter les chrétiens adorateurs des images firent les frais de sa cruauté ; Théophane et Théodore, particulièrement virulents dans leurs poèmes et dans leurs propos finirent attachés dans une cellule où le bourreau se chargea de leur laisser un joli souvenir. (more…)
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