Jan 24, 2014 | Chambre acoustique, Doğu dinleme |
J’ai décidé de partager ici ma discothèque turque. Bien évidemment, on y trouvera peu de choses modernes, mais il y a aura tout de même des surprises et c’est avec Kudsi Ergüner que j’ai décidé de commencer ce tour d’horizon. Kudsi Ergüner est un des meilleurs spécialistes du ney, ce curieux instrument taillé dans un roseau et dont on joue de manière oblique, en soufflant en biseau dans son col évasé. Né à Diyarbakır dans la Turquie kurde, il est désormais installé en France et ne cesse de faire découvrir cet instrument qui est l’instrument par essence de la Sema, la très célèbre cérémonie de l’ordre Mevlevi dans laquelle on voit tourner les non moins célèbres derviches. Le ney est joué ici beaucoup plus sereinement que dans ces cérémonies, dans une attitude méditative qui ne peut qu’apporter un certain bien-être. A écouter les yeux fermés, de préférence en buvant un thé noir bien fort dans un verre tulipe…

[audio:sinan.xol]
Sinan (Dans Le Makam Huzzam) par Kudsi Ergüner
Ney, la flûte sacrée des derviches tourneurs (1995)
ℑ — Doğu dinleme n°2 : Mercan Dede
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Jan 4, 2014 | Photo, Sur les portulans |

Vendeur de salep dans la lumière du matin — Vieux pont de Galata — Istanbul — 1957
Le photographe est l’esclave du monde réel, et d’ailleurs c’est pour cette raison que je ne photographie plus İstanbul, parce que c’est de la merde (ou alors seulement si c’est une commande, pour prendre l’argent). J’ai assisté à la destruction de la ville, j’ai vu le vieux cimetière arménien, près de l’église Notre-Dame-de-Sion, retourné par les bulldozers pour établir les fondations de deux hôtels, le Divan et le Hilton ; j’ai suivi les travaux qui ont éventré la ville pour ouvrir la route de l’aéroport ; en 1958, pendant la deuxième vague de démolition, j’ai vu d’énormes machines, des dinosaures à moteur, écraser des maisons les unes après les autres. A cette époque, j’ai photographié jour et nuit ce qu’on était en train de détruire. Avec les maisons, c’est un mode de vie qu’on a balayé. Quand j’étais enfant, les habitants pouvaient être pauvres ou riches, mais il y avait des gens chics, des gens sympathiques, on soulevait son chapeau pour se saluer, maintenant ce ne sont plus que des paysans, İstanbul a été conquis une seconde fois, nous sommes occupés par quatorze millions d’Anatoliens. Bien sûr, on me dit que les Ottomans faisaient déjà venir ce genre de paysans, mais ils ne les utilisaient que pour le métier des armes, les Stambouliotes n’allaient jamais à la guerre, ils se contentaient sagement d’applaudir le départ et le retour de l’armée. Il est arrivé ce qui devait arriver ; les Anatoliens ont pris leur revanche. Aujourd’hui, il n’y a plus un milliardaire turc qui ne soit né en Anatolie. C’est pour toutes ces raisons que je sors maintenant sans mon Leica. D’ailleurs, il n’y a pas qu’İstanbul, le monde entier s’enlaidit. Le béton gagne. Bien sûr que j’aime le Bosphore, et les fumées des bateaux. Ces fumées, c’est la vie — c’est la guerre aussi— oui, la guerre et la vie, et ces quais, c’est la porte sur un autre monde, nulle part au monde vous ne trouverez une ville où l’on change de continent en cinq minutes.

Mosquée Süleymaniye Camii — Corne d’Or — Istanbul — 1962
Celui qui parle est un Stambouliote pur jus, un photographe émérite qu’on peut s’étonner d’entendre parler avec ces mots si durs à l’encontre des Anatoliens et des paysans. Ce photographe, c’est Ara Güler, celui que partout dans le monde on considère comme le chantre d’Istanbul, celui qui dit mieux que quiconque au travers de ses 800.000 clichés le passé d’une ville depuis les années 50 jusqu’à aujourd’hui, même si, comme il le dit lui-même, il ne photographie plus de la même manière parce qu’il a vu sa ville métamorphosée.
Ara Güler fait partie du club très fermé des masters of Leica et un très beau livre de ses photos a été édité en 2009 aux éditions du Pacifique, avec un texte admirable d’Orhan Pamuk. Ces mots si durs ont été recueillis par Daniel Rondeau dans İstanbul, NiL Editions, 2002.
Les trois photos de cet article proviennent du site de Magnum.

Esplanade de la Yeni Camii — Eminönü — Istanbul — 1972
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Dec 9, 2013 | Carnets de route (Osmanlı lale), Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Turquie) |
Épisode précédent : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Carnet de voyage en Turquie – 12 août) : Retour à Antalya, en passant par le Mont Chimère (Yanartaş) et l’arrivée à Nevşehir
Bulletin météo de la journée (lundi) :
10h00 : 24°C / humidité : 46% / vent 9 km/h
14h00 : 29°C / humidité : 22% / vent 6 km/h
22h00 : 22°C / humidité : 8% / vent 2 km/h

Derniers kilomètres sur la route qui mène à la Cappadoce. Je viens de dépasser Aksaray (Saray : palais ; Ak : blanc) et je me dis que je n’ai finalement qu’une très vague idée de ce que je vais pouvoir découvrir ici. L’arrivée d’internet a ceci de confortable qu’on peut commencer à voyager avant même de partir, mais je dois confesser que je ne suis pas du tout dans cette optique. Je n’ai que quelques images floues de ce qu’est la Cappadoce, des images que je ne tente pas de faire durcir plus que ça, tant j’ai envie de me laisser surprendre par l’écart entre le fantasme et la réalité. Je ne fantasme qu’avec ce que j’en ai lu sur le Guide Bleu, mon compagnon de route et une fois encore, ce que donne à voir ou à imaginer ces guides ne sont qu’une vision très fragmentaire et très éloignée des émotions qui peuvent nous assaillir sur le terrain. J’avoue être angoissé, de la même manière que j’étais angoissé lorsque je suis arrivé à Antalya, pétri de doutes, apeuré par l’inconnu qui s’ouvre devant moi, sur la réserve lorsque je ne suis plus en terrain connu, prêt à me laisser violenter par ce qui m’attend. (more…)
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Nov 21, 2013 | Arts, L'oeil de la caméra, Sur les portulans |
Dernier volet de ces chroniques turques (il me manque la dernière, Pierres éparses) avec ce coup de projecteur osé sur les Pehlivan, ces lutteurs turcs qui pratiquent la lutte graisseuse. Habillés de culottes de cuir noir (le kispet) et le corps enduit d’huile d’olive, les lutteurs se livrent à des combats respectueux où les mains glissent partout où elles peuvent et souvent sous la culotte pour de meilleures prises, pendant que sous les chapiteaux surchauffés de jeunes femmes tziganes dansent avec une hardiesse qu’on a peine à imaginer en terre d’islam. Lutte remontant à la nuit des temps, c’est une survivance traditionnelle des steppes mongoles. Le festival de lutte d’Edirne dont il est question ici a été inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO en 2010.
Pehlivan
de Maurice Pialat
France/1963/13′/35 mm (more…)
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Nov 20, 2013 | Arts, L'oeil de la caméra, Sur les portulans |
Cinquième volet de la série des chroniques turques de Maurice Pialat, certainement la pièce plus audacieuse esthétiquement parlant, et la plus triste aussi. Racontée sur des poèmes de Nazım Hikmet, on y ressent toute la mélancolie d’Istanbul que l’on appelle hüzün, le mal de vivre propre à la ville. Silencieuse et chaotique, c’est une plongée dans l’Istanbul des petites gens avec en sus, une cérémonie étrange au début, avec ces petits garçons habillés de blanc qu’on vient de circoncire…
Maître Galip
de Maurice Pialat
France/1964/11′/35 mm
Avec la voix de André Reybaz. (more…)
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