Sep 25, 2010 | Passerelle |
Oh oui bien évidemment, c’est toujours un peu excessif parce que quand on est dessous, ou pas loin, c’est toujours un peu effrayant et tout de suite, ça devient l’orage du siècle. Sauf que cette fois-ci de l’avis-même des spécialistes, c’était quand-même un peu l’orage du siècle. Huit heures de spectacle ininterrompu en bord de mer, le jour en pleine nuit, les oreilles qui bourdonnent à cause du tonnerre, les yeux qui restent ouverts parce qu’on se demande à quel moment ça va tomber juste à côté, sur un arbre, et puis les yeux qui se ferment parce qu’on aimerait quand même bien dormir bordel mais ce ne sera pas pour tout de suite, hein, on va attendre un peu et finalement, on s’écroule avec l’épuisement et puis l’angoisse, et on se réveille toutes les dix minutes quand l’orage revient et qu’on comprend enfin que c’est vraiment pas prêt de s’arrêter. Au petit matin, on se réveille avec des poches à glace sous les yeux, le regard hagard, le teint pâle et la bouche pâteuse et on ne peut que constater qu’on est toujours en vie dans ce paysage désolé, désordonné, la moindre aiguille de pin qui n’est plus à sa place et tout qui dégouline d’une pluie épaisse, un paysage ruisselant, une ambiance sous-marine à quelques mètres au-dessus de la mer.

Photo © Anaëlle Collet
Tout commence après un repas bien arrosé par une soirée chaude, les joues empourprées de la chaleur du soleil, si si, et en rentrant, je remarque que le ciel s’éclaire de temps à autre, très subrepticement, un léger grondement se pointe à l’horizon et roule comme une poignée de dés sur la table de craps. Je décide malgré l’heure tardive, il est plus d’une heure de la nuit de prendre mon vélo et d’aller voir ça au bord de l’eau parce que ça doit vraiment être quelque chose. Je parcours à toute vitesse la forêt infestée de moustiques dans le noir le plus total, la dynamo peine à suivre et finit par me lâcher en plein milieu du chemin alors je m’arrête pour lui laisser le temps et je repars dans la lumière. Deux voitures me croisent à toute vitesse et j’évite de justesse un connard qui tente de m’attraper, surgi de l’obscurité. J’arrive enfin sur la plage battue par le vent dans les oreilles, épuisé d’avoir mouliné comme Eddy Merckx, et je me rends compte qu’il y a plein de monde sur le sable, des jeunes qui font la fête à grand renfort d’alcool et de feux de joie, qui batifolent dans les blockhaus, mais le vent et l’obscurité projettent un voile entre cette réalité fugace et la perception que j’en ai. Je m’assieds sur le sable humide, face à un horizon estompé par la houle, qui se fond dans un savant mélange d’écume et d’essence de nuit. La lune ronde, éclatante, m’éclaire encore quelques instants avant le grand spectacle. (more…)
Read more
Nov 11, 2009 | Sur les portulans |
Au cœur de département du Lot se trouve un des sites de France les plus visités avec le Mont Saint-Michel et la Tour Eiffel. La situation exceptionnelle de Rocamadour rend cette ville spectaculaire et le touriste ne s’y trompe guère il afflue en masse, en famille, vers cette petite cité accrochée au roc et compte bien y trouver son compte de restaurant de spécialités du sud-ouest et bibeloteries des plus vulgaires. Le touriste aime ça, et moi je déteste le touriste, alors comme souvent, tel un chat noir, je me faufile dans les rues lorsque la nuit tombe et toujours, la vie prend un autre tournant, je me fonds dans l’ombre.

Je suis arrivé à Rocamadour un soir du mois d’août, sur le versant face à la petite ville, au lieu-dit L’Hospitalet, certainement un des lieux les plus laids de tout l’univers, complètement phagocyté par le restaurant panoramique et la cabane à souvenirs, à vaisselle imprimée et napperons.
Rocamadour n’est pas de ces endroits qui se laissent traverser comme ça, comme un pic en bois traverserait une saucisse cocktail, Rocamadour se mérite ; il faut déposer sa voiture près de la rivière Alzou et prendre le temps de monter quelques volées de marches en pierre avant d’arriver dans la rue principale et s’emparer de cette cité millénaire. Arpenter la rue centrale, ponctuée des portes Basse, Hugon, du Saumon et du Figuier tandis que le ciel se couvre de nuages d’orage, menaçants et que les échoppes ferment leurs portes, laissent place à une vie nocturne, c’est un peu comme si l’on entrait dans une Cour des Miracles . Le décor bascule, le vernis craque et Rocamadour se dévoile dans ses habits de ténèbres.

L’épée Durandal
Vus d’en bas, les sanctuaires s’illuminent avec la nuit tombante et les centaines de marches que les pèlerins montent sur les genoux sont autant de degrés spirituels, de lumière, montant vers le saint des saints, les sept chapelles votives. Ce soir là, c’est exceptionnel, un cycle de conférence à l’intérieur des sanctuaires laisse la porte ouverte aux chapelles, qui en plus d’être illuminées de l’extérieur sont éclairées à l’intérieur, laissant ainsi voir dans le silence et le calme des trésors dans une lumière dorée frisant la magie. Après avoir monté les marches et s’être faufilé dans un dédale de rues dont les enseignes sont parfaitement closes, on arrive aux portes des sanctuaires.
Rocamadour est une ville mariale sur la route de Saint-Jacques de Compostelle et sa construction reflète parfaitement la société féodale ; les chevaliers dans le château, tout en haut, les religieux juste au-dessous dans les sanctuaires et le peuple tout en bas. Je me fais la réflexion qu’un jour, ne serait-ce que pour découvrir les plus beaux sites de cette Europe occidentale, il faudrait que je bourlingue sur les pas de Santiago.
La situation exceptionnelle du lieu a donné naissance, dès 1105, à une chapelle construite à flanc de falaise ; les chapelles fleurissent souvent dans des endroits improbables. Le lieu est alors dénommé “Rupis Amatoris”, le rocher de l’amant (amator) et la vie religieuse prend racine. Le pèlerinage en l’honneur de Marie fait fureur et occasionne des donations qui font prospérer le lieu ; la statue de la vierge noire qui y repose date de la fin du XIIè siècle, et Henri II Plantagenêt y vient pour remercier Marie après sa guérison. C’est alors qu’en 1166, en creusant le sol pour y inhumer un simple habitant, on découvre un corps en parfait état de conservation ; la légende prend comme une traînée de poudre, c’est certainement le corps de Saint-Amadour, autrement connu sous le nom de Zaccheus, ou Zachée (et là attention, parce qu’il va vous falloir plonger dans les plus vieilles hagiographies). Zachée est réputé être l’époux de Sainte Véronique, celle-là même qui sur le chemin de croix du Christ lui épongea le visage d’un morceau de tissu, le fameux voile de Véronique que se disputent Rome, Milan et Jaén en Espagne. Cette histoire n’est pas relatée dans le Nouveau Testament mais on retrouve dans les Evangiles synoptiques l’histoire d’une femme du nom de Bérénice (Véronique signifiant vraie image — vera icona) qui serait la femme «hémoroïsse» sans nom miraculeusement guérie d’hémorragies chroniques en touchant le vêtement de Jésus.
Après la mort de son épouse, Zachée se retire à Rocamadour et y meurt après avoir vécu des années en ermite. On lui aurait donné le surnom de Amator — Amadour — l’amant ou le dévoué.
Je souris à l’évocation de cette histoire car on peut voir le tombeau où reposait ce corps au pied d’un des sanctuaire collé à la falaise et j’ai pris en photo ce lieu sans savoir qu’à ce même endroit se trouvait également un objet légendaire de première importance ; l’épée de Roland, Durandal, coincée dans la roche (et pieusement attachée à une chaîne) par l’Archange Saint Michel juste après la mort du célèbre paladin à Roncevaux, selon la légende (j’apprends avec stupéfaction que Durandal n’est autre que la traduction littérale de Roncevaux en flamand).
Rocamadour a une histoire ancienne, mais telle qu’on peut la voir aujourd’hui, elle est le fruit d’une volonté farouche d’une poignée d’homme qui au milieu du XIXè siècle firent leur possible pour rendre à la ville mariale son éclat d’autrefois, après avoir été ravagée par les famines, les guerres et les pillages tout au long de son histoire.
Complètement rompus par la fatigue et le temps orageux, nous redescendons de la ville par là où nous l’avons pénétrée, jusqu’à la rivière. Rocamadour n’est pas une ville qu’on traverse, la route qui vient de la Porte du Figuier, l’entrée de la ville et qui passe par la Porte Basse (photos 6 et 7 du diaporama) mène sur des champs… Il est tard, la vallée est illuminée ponctuellement par les éclairs qui déchirent le ciel. Rocamadour ville magique ferme ses portes sur un jour particulier, un jour comme je ne pensais pas pouvoir en vivre. En partant, je regarde à nouveau derrière moi et j’ai une pensée émue pour le curé de Rocamadour qui vit dans son presbytère (photo 28), dont les fenêtres sont perchées au-dessus du vide… Et je lui souhaite malgré tout, une bonne nuit.
Read more