Je com­mence à regar­der en arrière pour voir à quoi a res­sem­blé cette année. Mais il est trop tôt pour faire des bilans, ce n’est pas début décembre qu’on peut s’a­mu­ser à faire ça. Tout ce que j’ai comme impres­sion, c’est véri­ta­ble­ment l’i­dée d’une den­si­té incroyable. J’ai aus­si la sen­sa­tion d’a­voir impor­té dans mon acti­vi­té pro­fes­sion­nelle un terme venu de l’u­ni­vers de la musique expé­ri­men­tale ; auto­ma­tion. Il est encore trop tôt ce matin pour en par­ler, mais ça méri­te­rait tout de même un détour. Car si d’un mot je pou­vais résu­mer cette année, ce serait l’an­née du détour. Aucun pré­sup­po­sé posi­tif ou néga­tif, sim­ple­ment une année de détour, de détours, à tous les sens du terme. Le détour peut être pris comme un renon­ce­ment, ou comme l’en­vie d’ar­ri­ver moins vite que si l’é­vi­dence guide nos pas, ou alors, comme la volon­té mani­feste de ne pas se perdre… Le détour… mon mot fétiche pour cette année 2014 qui se referme. Mais une fois encore, il est trop tôt pour les bilans.
Lais­sons-nous encore por­ter quelques ins­tants, car rien ne se ter­mine réel­le­ment. Cir­cum­vo­lu­tion year

Je com­mence à avoir marre des lec­tures atter­rantes de la socio­lo­gie, des constats alar­mants d’une socié­té qui se gan­grène d’une main et se recons­truit de l’autre, dans la beau­té des gestes de coopé­ra­tion et de col­la­bo­ra­tion. Nous autres qui croyons encore que l’es­pèce humaine pour­ra se sau­ver, qu’il n’y a pas sur terre que des libé­raux et des cha­cals, nous nous fati­guons à ten­ter de convaincre l’autre moi­tié de la socié­té qu’il y a du salut pos­sible dans la contem­pla­tion de nos errances. Je suis un peu fati­gué de tout cela et voi­ci que je me mets à par­ler comme un prêtre ortho­doxe. Je me suis plon­gé dans une lec­ture par­faite, un grand roman au ton juste et apai­sant ; La confré­rie des moines volants, de Metin Ardi­ti. Un livre qui fait du bien après avoir étu­dié celui sur les éva­po­rés du Japon.

Il faut que je me repose, prendre un peu de recul, finir ce que je dois faire pour avoir la sen­sa­tion de ne déce­voir per­sonne, moi le pre­mier, même si là, j’at­teins mes propres limites ; la suite n’en sera que plus belle. Il faut que je reprenne aus­si la route, une fois que j’au­rais employé mon esprit à plus de vagabondage.

Qui vive ? Qui passe ? Toi, encore, et en deux fois, à l’al­ler et au retour, répond le petit dieu des routes et des croi­se­ments. Puis il ajoute : mais jamais plus tu ne seras le même, tu as éprou­vé ce qu’é­tait le « Divers », et les confins t’ont rame­né à cette rose des vents sur les cartes, où l’ai­guille de la bous­sole n’a pas cil­lé. Alors, pose ton sac, mets tes godillots à sécher, ouvre ton car­net de mots et de des­sins, et raconte. Ta vie sin­gu­lière, au tamis de l’Autre, recom­mence. Tu es mul­tiple, tu es toi-même carrefour.

Jean-Luc Coa­ta­lem, Eloge du petit dieu des car­re­fours,
in L’al­ma­nach des voya­geurs, sous la direc­tion de Jean-Claude Perrier
Magel­lan & Cie, 2012

Pho­to d’en-tête © Tho­mas Berg