Épi­sode pré­cé­dent : Reflets du Danube: car­net de voyage à Buda­pest (jour 1)

Au petit matin, je me réveille repo­sé. Je file dans la douche qui est grande comme une pièce à elle toute seule et je me m’at­tarde sous ce jet chaud pen­dant une bonne demi-heure. Je sais qu’en bas m’at­tend un petit déjeu­ner comme jamais je n’en ai eu. Déjà par la fenêtre de la chambre qui donne sur la ver­rière, j’ai pu entendre les gens baf­frer puisque la salle se trouve ici, juste en bas.
Je prends mon temps, le pro­gramme de la jour­née n’est pas vrai­ment éta­bli. Je des­cends jus­qu’au rez-de-chaus­sée et j’entre dans la salle qui donne elle-même sur une autre salle où se trouve le buf­fet, je prends place à la pre­mière table que je trouve sous ce ciel de verre et ins­tan­ta­né­ment, une jeune fille en jupe noire, che­mise blanche et gilet lie-de-vin m’a­pos­trophe sur mes sou­haits. Café noir. Sa coif­fure relève du défi, elle porte des tresses blondes rele­vées, impec­ca­ble­ment dis­po­sées, sa peau est claire comme l’eau limpide…

Budapest - jour 2 - 03 - Corinthia Hotel

Le buf­fet n’en finit pas d’of­frir des choses incon­ve­nantes, des vien­noi­se­ries à ne plus savoir que faire, des confi­tures, des œufs, de la char­cu­te­rie, je trouve même un pois­son éti­que­té pois­son-chat. Le décor de la salle à man­ger est splen­dide avec ses meubles mas­sifs, ses ver­re­ries art-nou­veau et ses lustres en pâte de verre, le tout dans les tons jaunes et verts. Une fois ava­lé mon petit déjeu­ner (j’ai dû reprendre du café quatre fois tel­le­ment il était clai­ret), j’ai visi­té l’hô­tel, ses salons aux moquettes épaisses, ses esca­liers ornés de sta­tues por­tant des lumi­naires, les marches recou­vertes d’un tapis impec­cable, les marbres des sols, le blanc imma­cu­lé des façades inté­rieures, le goût har­mo­ni­sé et indis­cu­table de ces fau­teuils ornés de cous­sins aux formes géo­mé­triques parfaites…

Budapest - jour 2 - 08 - Király utca

Je sors me dégour­dir les jambes et je repasse par Kirá­ly utca qui a un peu repris vie sous le soleil mati­nal. Dans une des allées cou­vertes qui coupe la rue pour rejoindre la rue de der­rière (Dob utca) se tient un mar­ché d’ar­ti­sans sur toute la lon­gueur, dans un espace très réduit et où l’on passe par des cours inté­rieures aus­si sobres et tristes qu’un uni­forme de l’ar­mée rouge, mais le soleil et la cha­leur des gens arrivent à don­ner de la vie aux lieux. C’est ici que je découvre le Kürtős­kalács, une pâtis­se­rie d’o­ri­gine tran­syl­va­nienne, cuite autour d’un cylindre sur un feu de bois, épi­cée et cara­mé­li­sée. L’o­ri­gine du mot vien­drait du mot tuyau de poêle. Je trouve aus­si une jeune fille qui vend des illus­tra­tions humo­ris­tiques repré­sen­tant — digne­ment, j’in­siste — des has­si­dim en cos­tume tra­di­tion­nel dans des situa­tions un peu bur­lesques. Nous sommes en plein cœur du quar­tier juif de Buda­pest, une ville dans la ville.

Budapest - jour 2 - 07 - Király utca

Je remarque dans les rues que les Lada sont encore très pré­sentes dans le pay­sage. J’ai une ten­dresse par­ti­cu­lière pour ces voi­tures qui étaient assez com­munes dans les années 80. La voi­sine de mes grands-parents en avaient une orange, sym­bole d’une époque.
Dans les cours des immeubles bas déla­brés, le soleil vient don­ner de la cou­leur et de la joie à ces construc­tions sans vie datant d’une ère triste prô­nant à tout prix la vie en collectivité.

Budapest - jour 2 - 17 - Dohány utcai Zsinagóga

En fait, je me dirige à nou­veau vers la Grande Syna­gogue (Dohá­ny utcai Zsi­nagó­ga) pour consta­ter qu’elle est fer­mée aus­si le dimanche, ce dimanche-ci pré­ci­sé­ment, pour une rai­son que je n’ar­rive pas à déchif­frer, mon hon­grois étant encore plus que bal­bu­tiant, alors je refais un détour par le jar­din du mémo­rial et je m’at­tarde sur les stèles dépo­sées là en mémoire des mar­tyres de la Shoah ; tous ceux dont les noms sont ins­crits ici sont tous morts en 1945. L’am­biance est pesante, mal­gré le soleil, mal­gré la cha­leur qui chauffe les os. Alors j’erre dans les rues, m’ex­ta­siant devant les devan­tures des maga­sins kascher qui ne montrent qua­si­ment rien, comme si le monde ne pou­vait s’ex­pri­mer au-delà des limites de la rue. Je trouve une enseigne qui me fait sou­rire : Retro Szex­shop. Sans s’ar­rê­ter pour lire, on aura pu croire que c’é­tait l’en­seigne d’un res­tau­rant ou d’un salon de thé.

Budapest - jour 2 - 21 - Wesselényi utca

J’ai comme l’im­pres­sion de ne plus savoir où aller dans cette ville où les dis­tances deviennent très longues et où la déam­bu­la­tion est un exer­cice qui appa­rem­ment a du mal à s’im­pro­vi­ser, alors je retourne à l’hô­tel et je me dis que je pro­fi­te­rais bien des équi­pe­ments mis à disposition…

Royal-Spa-Corinthia-Hotel-Budapest

Dans les entrailles de l’hô­tel se trouve le genre de lieu qu’on ne peut trou­ver qu’i­ci, avec ce genre de décor : le Royal Spa. Peu habi­tué à ce genre de lieu, je décide… de me jeter à l’eau. Le lieu est désert, superbe avec ses fer­ron­ne­ries, sa ver­rière Séces­sion, le par­terre de mosaïques bleu­tées comme l’a­zur. On passe du ham­mam à la douche froide en pas­sant par le jacuz­zi qui vous secoue les endroits où la graisse vient insi­dieu­se­ment se glis­ser… Je dois avouer que j’ai pris pas mal de plai­sir à me délas­ser. Après avoir traî­né mes guêtres à Istan­bul et cra­pa­hu­té à Flo­rence, je ne crache pas sur un peu de repos bien méri­té, puisque, appa­rem­ment, je n’au­rais pas fran­che­ment le loi­sir de faire grand-chose dans les parages. Je res­sors de là déten­du, flasque comme un sala­dier de jelly.

Gyűjtőjegy (ticket de tramway de Budapest)L’heure de déjeu­ner appro­chant, je prends le tram­way qui passe juste devant l’hô­tel et qu’on ne peut prendre qu’en ache­tant des tickets dans les tabacs ou dans les kiosques dédiés… tous fermés.
Heu­reu­se­ment, la bou­tique de l’hô­tel en vend éga­le­ment, au compte-goutte. Ils sont orange, impri­més avec le mot Gyű­jtő­je­gy et com­portent une grille de neuf cases numé­ro­tées dont je cherche encore aujourd’­hui la signi­fi­ca­tion. Je prends la ligne qui se dirige vers le nord et décrit un arc de cercle sur le tra­cé des grands bou­le­vards qui ceignent l’an­cienne ville de Pest, pour arri­ver à Jás­zai Mari tér, c’est-à-dire sur les quais, au nord du Par­le­ment et à la jonc­tion avec le pont qui tra­verse l’Île Marguerite.

Istanbul - avril 2012 - jour 6 - 047 - Üsküdar - Kuzguncuk - İcadiye Caddesi

Budapest - jour 2 - 27 - Jászai Mari tér

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’ai l’in­ten­tion de redes­cendre la large ave­nue qui passe der­rière le Par­le­ment et rejoint le Pont des Chaînes et j’ai à peine com­men­cé à des­cendre que je prends une pho­to de la rue avec une Coc­ci­nelle Volks­wa­gen. Lorsque plus tard je clas­se­rai mes pho­tos, je me rends compte que j’ai pris qua­si­ment la même pho­to, à quelques petits détails près à Üskü­dar (Tur­quie), dans le quar­tier de Kuzgunçuk.

Budapest - jour 2 - 31 - Szabadság tér

Tout est désert, c’en est presque dépri­mant. Je n’aime pas les foules, ni les villes trop bruyantes, mais avoir affaire à une ville dépeu­plée me glace le sang et m’at­triste. Je crois pou­voir dire que je n’ai jamais fait aus­si peu de ren­contres que dans cette ville.
Je passe der­rière le Par­le­ment qui est réel­le­ment un bâti­ment très impo­sant et magni­fique. Sur la place de der­rière, un péri­mètre est tra­cé qu’il ne faut pas dépas­ser. Depuis la place part un bou­le­vard à la manière de Hauss­mann, Alkotmá­ny utca, vide, pas une voi­ture, pas un chat. Il n’en reste qu’une sen­sa­tion nau­séeuse, de mal-être évident, de quar­tiers entiers dont per­sonne n’ose s’emparer. C’est un peu encore la sen­sa­tion que j’ai lorsque je tra­verse l’im­mense parc Sza­bad­ság tér (Place de la Liber­té), au centre duquel se trouve l’o­bé­lisque du Mémo­rial dédié aux sol­dats sovié­tiques. Une jolie fon­taine ferme la place bai­gnée de soleil, une fon­taine moderne dont les jets s’ar­rêtent lorsque l’on marche sur les dalles qui en font le tour. On peut ain­si se retrou­ver enfer­mé dans un rec­tangle entou­ré de jets qu’on peut arrê­ter de la même manière. Ludique et agréable pour les jours de chaleur…
Il est l’heure de déjeu­ner… enfin il était l’heure de déjeu­ner, mais je trouve sur ma route sur Októ­ber 6 utca (le 6 octobre 1956, date de l’in­sur­rec­tion de Buda­pest) un petit res­tau­rant por­tant le nom de Kisha­rang Étkezde dont la pan­carte vante les spé­cia­li­tés culi­naires hon­groises. Je prends un plat ori­gi­naire de Tran­syl­va­nie (région de l’est qui a appar­te­nu à la Hon­grie jus­qu’en 1918, date à laquelle la région est rat­ta­chée à la Rou­ma­nie, et non en 1920…) qui se com­pose de légumes et de viandes frits… et de sau­cisses. Un plat pour le moins consis­tant. Le temps vire en eau de bou­din et le joli soleil du matin fait place à une pluie bat­tante qui ne s’ar­rê­te­ra que lorsque j’ar­ri­ve­rai sur Vörös­mar­ty tér, là où je viens prendre mon des­sert. Il appa­raît que sur cette place se trouve LA pâtis­se­rie de Buda­pest. C’est en fait un immense salon de thé chic où l’on peut boire du cho­co­lat mai­son accom­pa­gné d’une Sacher­torte (que per­son­nel­le­ment je trouve écœu­rante, vu mon goût pro­non­cé pour le cho­co­lat) qui est la spé­cia­li­té de la mai­son. Cette mai­son, c’est la Mai­son Ger­beaud, (du nom d’Émile Ger­beaud, un cho­co­la­tier suisse ins­tal­lé en Hon­grie au milieu du XIXè siècle) dont on peut admi­rer les lam­bris et les boi­se­ries si tant est qu’il y ait de la place à l’in­té­rieur. Pour ma part, je res­te­rai en ter­rasse et j’at­tends au moins un quart d’heure avant que quel­qu’un daigne venir me ser­vir la pâtis­se­rie que j’ai avi­sée en vitrine. Je dois dire que tout m’a déçu : la pâtis­se­rie à la fram­boise, trop cré­meuse, bour­ra­tive et écœu­rante, le café (de la pisse d’âne en réa­li­té) et le ser­vice de ces grandes mai­sons qui se veulent mais ne sont pas tel­le­ment elles comptent sur leur répu­ta­tion pour se per­mettre de ne pas être au ser­vice de leurs clients. Je n’ai qu’un conseil à don­ner : n’al­lez pas chez Ger­beaud, c’est cher et pas si bon que ça peut le pro­mettre. Quant aux ser­veuses, non mais vrai­ment, elles se croient au-des­sus du lot et ne sont que des pim­bêches mal-aimables. A éviter.

Budapest - jour 2 - 39 - Rudas Gyógyfürdő és Uszoda (Bains turcs Ruda)

Je redes­cends ensuite Pető­fi Sán­dor utca, une artère très com­mer­çante de Pest, pour ne pas dire un piège à tou­ristes, là où se trouvent toutes les bou­tiques pour rame­ner de jolis sou­ve­nirs à moindre coût… et je finis par rega­gner le Pont Eli­sa­beth (Erz­sé­bet híd) pour arri­ver sur la rive de Buda à hau­teur des bains Rudas (Rudas Gyó­gyfürdő). Dans mon sac, j’ai pré­vu mon maillot de bain et… pas ma ser­viette… que j’ai lais­sé sécher dans la salle de bain après mes ablu­tions du matin au Royal Spa. Les bains Rudas sont situés à deux pas d’un échan­geur rou­tier assez fré­quen­té, sur le bord du quai Raoul Wal­len­berg (Raoul Wal­len­berg rak­part), un axe rou­tier infer­nal qui empêche d’ap­pré­cier le calme sur les bords du Danube, dans une bâtisse sans charme et dont on se demande ce qui peut se tra­mer là-dedans. L’in­té­rieur est radi­ca­le­ment dif­fé­rent. L’o­ri­gi­na­li­té de ces bains est qu’ils ont conser­vé la forme que leur ont don­né les Turcs lors de l’oc­cu­pa­tion par l’Em­pire Otto­man ; nous sommes ici dans des bains turcs datant du XVIè siècle, dans un bâti­ment avec un dôme per­cé d’in­nom­brables ocu­li et un bas­sin octo­go­nal. La res­tau­ra­tion du bâti­ment en 2006 lui a redon­né son aspect d’o­ri­gine et consti­tue un lieu de détente par­fait. A l’in­té­rieur, quatre bains sont situés sur les angles et dis­pensent une eau à 23, 28, 36 et 42°C (42 c’est un peu chaud quand-même et per­son­nel­le­ment, je n’ai pu y res­ter que quelques secondes en ayant sim­ple­ment l’im­pres­sion par la suite que ma peau allait se décol­ler comme celle d’une tomate ébouillan­tée) et le bain octo­go­nal dans lequel on des­cend par des marches situées tout autour est un véri­table lieu de bien­fai­sance avec une eau à 38°C qui laisse sur la peau une odeur assez désa­gréable d’œuf pour­ri, due à la teneur forte de l’eau en souffre. Je m’es­saie aux douches froides qu’on déverse sur soi après avoir pas­sé quelques minutes seule­ment dans le ham­mam brû­lant, à l’aide d’une tirette qui fait bas­cu­ler l’eau froide d’une les­si­veuse en bois sur la tête. J’es­saie éga­le­ment le sau­na qui au fur et à mesure que l’on s’a­vance pro­digue sa cha­leur sèche jus­qu’à 70°C et je retourne enfin dans le bain octo­go­nal dans lequel je flotte tel un gros bébé en fer­mant les yeux. C’est presque l’heure de la fer­me­ture et pen­dant un quart d’heure je pro­fite seul du bain sous les ouver­tures bleu­tées des ocu­li qui sont comme un ciel étoi­lé au-des­sus de ma tête. Je res­sors de là ras­sé­ré­né et déten­du, et n’ayant pu m’es­suyer en sor­tant de la douche faute de ser­viette, je me rha­bille sur la peau encore humide…

Budapest - jour 2 - 43 - Szent Gellért Szobor (Monument à Saint Gellért)

Le ciel a pris des teintes sombres, per­cées de trouées de soleil. Saint Gél­lert (Szent Sagre­do Gel­lért, Gérard de Csanád), le Saint Patron de la Hon­grie, pro­tège de sa croix la ville sous un ciel mena­çant, de l’en­droit où il fut lapi­dé puis jeté dans le Danube. Je reviens sur la rive de Pest par le pont Eli­sa­beth pour lon­ger les quais du Danube où sont amar­rés quelques longues péniches tristes sur les­quelles on peut trou­ver des res­tau­rants ou des dan­cings, jus­qu’au pont de la Liber­té (Sza­bad­ság híd). Il est construit à deux pas des halles cen­trales (Nagyc­sar­nok), un superbe bâti­ment qui res­semble à une gare, aux tuiles ver­nies. Le pont, lui, est peint en vert. C’est un chef d’œuvre de génie civil qui a été inau­gu­ré par Fran­çois-Joseph Ier d’Au­triche. Sur ses quatre mats, je remarque que sont pré­sents quatre oiseaux, res­sem­blant à des aigles, peut-être plus à des vau­tours. J’ap­pren­drai plus tard que c’est le même oiseau que j’ai ren­con­tré près du châ­teau de Buda, un immense oiseau de bronze por­tant dans ses serres un glaive et que ce sont des Turul, l’oi­seau cen­tral dans la mytho­lo­gie des Magyars, une mytho­lo­gie ancienne et de type cha­ma­nique remon­tant au temps d’a­vant la chris­tia­ni­sa­tion de la Hon­grie. Le pont mène à une autre ins­ti­tu­tion de Buda­pest, les bains Gel­lért (Gel­lért Gyö­gyfürdö), que toutes les âmes bien-pen­santes n’hé­sitent pas à recom­man­der, mais la répu­ta­tion que s’est for­gée l’é­ta­blis­se­ment dit autre chose.

Budapest - jour 2 - 49 -  Szabadság híd

Le soir, le Danube s’al­lume de mille feux dans le soleil cou­chant sur les rives de Buda. J’at­tends un tram­way au pied des bains Gel­lért qui semble ne pas vou­loir arri­ver et qui me per­met­trait d’ar­ri­ver juste devant l’hô­tel en pre­nant soin de contour­ner toute la ville. Fina­le­ment, il arrive, m’im­pose une cor­res­pon­dance et je rentre à l’hô­tel tard, com­plè­te­ment four­bu. Par sou­ci de faci­li­té, je retourne dîner chez Mag­da­le­na Mer­lo et je passe ma nuit à cauchemarder…

Budapest - jour 2 - 56 - Gellért Gyógyfürdő és Uszoda (Etablissements thermaux Gellért)

Voir le dia­po­ra­ma com­plet (57 pho­tos) sur Fli­ckr.

Épi­sode sui­vant : Reflets du Danube: car­net de voyage à Buda­pest (jour 3)

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