Quand je l’ai ren­con­trée à Paris nous avions dix huit ans à peine, je débar­quais de ma pro­vince et j’a­vais l’im­pres­sion de sor­tir de pri­son, de ren­trer du Gou­lag, de Maga­dan ou d’ailleurs et de retrou­ver une liber­té qu’en réa­li­té je n’a­vais jamais connue, à part dans les livres, dans les livres qui sont bien plus dan­ge­reux pour un ado­les­cent que les armes, puis­qu’ils avaient creu­sé en moi des dési­rs impos­sibles à com­bler, Kerouac, Cen­drars ou Conrad me don­naient envie d’un infi­ni départ, d’a­mi­tiés à la vie à la mort au fil de la route et de sub­stances inter­dites pour nous y mener, pour par­ta­ger ces ins­tants extra­or­di­naires sur le che­min, pour brû­ler dans le monde, nous n’a­vions plus de révo­lu­tion, il nous res­tait l’illu­sion du voyage, de l’é­cri­ture et de la drogue.

Mathias Enard

L’al­cool et la nos­tal­gie, Édi­tions Inculte, 2011

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