La suprême beauté d'une civilisation affinée, c'est une attentive inculture du moi.
by Romuald Le Peru | Oct 9, 2013 | La vallée des rubis
La suprême beauté d'une civilisation affinée, c'est une attentive inculture du moi.
by Romuald Le Peru | 13/12/2025 | Les oubliés du pays doré | 0 Comments
Le long du khlong Saen Saep, l’eau boueuse charrie des débris de polystyrène et des fleurs de lotus fanées. Le long-tail boat glisse entre les passerelles branlantes, et je m’accroche à la barre de métal rouillé tandis que le conducteur accélère dans un rugissement qui me fait penser à celui d’un tracteur poussé à plein régime. Personne ne regarde le paysage. Les passagers se prennent en photo avec leurs téléphones, bousculés par les embardées du pilote qui évite les déchets flottants.
by Romuald Le Peru | 12/12/2025 | Les oubliés du pays doré | 0 Comments
Bangkok. 1967. On arrive à Venise par la mer. On arrive à Bangkok par le fleuve. C’est une loi géographique autant que romanesque. La Chao Phraya charrie ses eaux brunes entre les temples dorés et les barges de riz, indifférente au siècle qui passe. Mais en ce mois de juillet 1967, quelque chose a changé dans l’air épais de la capitale siamoise. Une odeur de bourbon et de kérosène se mêle aux effluves de citronnelle et d’encens.
by Romuald Le Peru | 11/12/2025 | Les oubliés du pays doré | 0 Comments
Norman Lewis arrive à Bangkok en 1950 avec cette façon qu’ont les voyageurs anglais de ne jamais vraiment arriver nulle part. Il débarque comme on pousse une porte entrouverte, sans fracas, le carnet dans la poche gauche, l’œil déjà ouvert sur ce qui disparaît. C’est ce que Lewis est venu chercher : non pas le Siam éternel des cartes postales, mais son agonie précise, documentée, la fin d’un monde qu’on photographie avant l’incendie.
by Romuald Le Peru | 10/12/2025 | Les oubliés du pays doré | 0 Comments
Il aurait fallu commencer par Bangkok, novembre 1947, l’odeur du fleuve et des temples, mais les biographies ne commencent rarement comme cela. Plaek Phibunsongkhram – qu’on appellera bientôt Phibun, le Maréchal, le dictateur, le survivant – est assis dans son bureau du Ministère de la Défense, et il sait déjà que tout est fini avant même d’avoir vraiment commencé. Les hommes de pouvoir dans les tropiques sentent la fin avant le commencement, comme ces requins qui détectent une goutte de sang dans un océan.
by Romuald Le Peru | 09/12/2025 | Les oubliés du pays doré | 0 Comments
Bangkok, 1960. Les ventilateurs brassent l’air moite du palais Chitralada comme ils brassent la poussière depuis des siècles. Jim Thompson traverse la salle d’attente, son costume de lin blanc froissé par l’humidité tropicale qui règne sur la ville même en cette saison supposément fraîche. Il a cinquante-neuf ans, l’allure encore élancée malgré le whisky et les dîners chez les ambassadeurs, ancien agent de l’OSS devenu marchand de soie, et il s’apprête à rencontrer la reine Sirikit.
by Romuald Le Peru | 08/12/2025 | Les oubliés du pays doré | 0 Comments
Bangkok, 1958. L’architecte Boonyaratana Sirikanya traverse le pont qui enjambe le khlong, cette artère d’eau brune qui charrie les détritus et les fleurs de lotus en parts égales. Il pense à l’Américain, à cet homme qui veut bâtir une maison impossible, une maison qui serait à la fois un temple et un manifeste, un tombeau peut-être. Jim Thompson l’attend dans le jardin de sa propriété temporaire, celle qu’il quittera bientôt pour le chef-d’œuvre qu’ils construiront ensemble.
by Romuald Le Peru | 01/12/2025 | Les oubliés du pays doré | 0 Comments
On pourrait commencer par Angkor, évidemment. Commencer par les temples engloutis sous la jungle, par les racines des fromagers qui éventrent les pierres khmères, par cette obsession occidentale de tout dater, tout classer, tout comprendre. Mais non. Commençons plutôt par un couple d’Anglais en 1935, débarquant à Bangkok avec leurs malles et leurs carnets, leurs théories et leur naïveté, ne sachant pas encore qu’ils allaient passer le reste de leur vie à reconstituer un passé qui n’était pas le leur.
by Romuald Le Peru | 30/11/2025 | Les oubliés du pays doré | 0 Comments
On le retrouve toujours dans les ports. Anvers d’abord, puis Marseille, Colombo, Singapour. Les grandes villes maritimes qui scandent les routes de l’Empire, ces nœuds où convergent les ambitions et les rêves d’hommes comme lui. Gustave Rolin-Jaequemyns porte un nom à rallonge, héritage d’un père illustre qui fonda la Revue de droit international, et cette pesanteur généalogique le pousse vers l’Est, là où les noms européens sonnent encore comme des promesses.
by Romuald Le Peru | 28/11/2025 | Les oubliés du pays doré | 0 Comments
Bangkok, juin 1946. La mousson hésite encore, suspendue au-dessus de la ville comme une menace muette. Dans les rues, les cyclo-pousses glissent entre les flaques d’eau boueuse, évitant les nids-de-poule que la guerre a laissés partout, cicatrices d’un conflit qui vient à peine de s’achever. Le Siam a changé de nom pendant l’occupation japonaise, puis est redevenu le Siam, puis est devenu la Thaïlande. Personne ne sait vraiment quel nom donner à ce pays qui ne sait plus très bien qui il est et qui semble se chercher.
by Romuald Le Peru | 27/11/2025 | Les oubliés du pays doré | 0 Comments
Constance Mangskau était née en 1907 à Chiang Mai, d’un père anglais et d’une mère thaïe, ce qui faisait d’elle une hybride dans un monde colonial qui n’aimait pas les hybrides. À dix-huit ans, elle avait épousé un planteur de caoutchouc norvégien dont elle ne gardait que le nom et deux filles. Veuve trop jeune, elle avait dû accepter un poste de secrétaire à la British American Tobacco Company pour nourrir ses enfants.