Sorting by

×
Sidé­ra­tion #4

Sidé­ra­tion #4

J’ap­prends avec une cer­taine sidé­ra­tion que Léo­nard de Vin­ci aurait lais­sé une de ses œuvres non signées et sur­tout errant dans les temps futurs sans pos­si­bi­li­té, dans l’é­tat actuel des connais­sances de pou­voir lui attri­buer avec cer­ti­tude la paren­té de cette mer­veille. Je ne ren­tre­rai pas dans le détail, car je ne suis pas docu­men­ta­riste, pour cela il fau­dra regar­der le docu­men­taire L’é­nigme de la belle prin­cesse, datant de 2011. Et pen­dant tout ce temps, per­sonne ne m’a rien dit. En fait, ce qui me sidère, ce n’est pas tel­le­ment que Leo­nar­do ait lais­sé der­rière lui une œuvre non signée, car c’é­tait le genre de bon­homme à ne pas ter­mi­ner ce qu’il com­men­çait. Pour lui, l’in­té­rêt de l’œuvre consis­tait en sa créa­tion, pas en sa réa­li­sa­tion, ain­si il fait figure d’a­ma­teur de la réa­li­sa­tion, mais ce qui me sidère, c’est que l’œuvre, de petite taille (33 x 24 cm), ait été mise en vente chez Chris­tie’s, vous savez Chris­tie’s, la célèbre socié­té de vente aux enchères basée à Londres, donc une des plus véné­rables ins­ti­tu­tions en qui nous devrions avoir une foi immo­dé­rée en son exper­tise sur l’art (car si on ne peut plus croire les com­mis­saires-pri­seurs de chez Chris­tie’s, qui croire ?), au prix somme toute tout à fait rai­son­nable de 19 000 $.

Mais alors que s’est-il pas­sé ? Quel est le scan­dale qui se cache der­rière tout ceci ? Com­ment peut-on vendre à un tel prix une œuvre, même non attri­buée, ou non encore attri­buée au peintre le plus célèbre, celui qui a peint la tableau qui fait se dépla­cer des mil­lions de tou­ristes tous les ans (je parle de la Joconde évi­dem­ment, pour ceux qui ne voyaient pas de quoi je vou­lais par­ler) ? Il se trouve que si le prix fût aus­si modeste lors de la vente (et je ne parle pas de sa revente en 2007 pour 22 000 $), c’est que l’œuvre a été exper­ti­sée comme étant une pein­ture alle­mande du XIXè siècle. Et c’est là que ma foi fait une chute de quelques mètres. Quel abru­ti (à mon avis, cela remonte sur plu­sieurs géné­ra­tions) a pu exper­ti­ser une telle œuvre en croyant sérieu­se­ment avoir affaire avec quelque chose venant d’Al­le­magne et sur­tout venant du XIXè siècle ??? C’est là que les choses me dépassent. Je n’ai jamais eu l’œuvre entre les mains, je le jure ! Mais je suis en mesure de dire sur la base de mon igno­rance la plus totale, que cette petite pein­ture, dont on sait qu’elle a été peinte sur du vélin, c’est-à-dire sur de la peau de veau mort-né, tan­née et d’un prix sans com­mune mesure avec le type de sup­port qu’on pou­vait uti­li­ser au XIXè siècle (je dis peinte depuis tout à l’heure, mais c’est une héré­sie puis­qu’elle a été réa­li­sée à la pierre, à la craie et à la san­guine )et qu’en plus de cela elle a été col­lée (marou­flée) sur une planche en chêne, bois pré­cieux qui dit quelque chose de son extrême valeur. Je défie qui que ce soit de me trou­ver la moindre œuvre datant du XIXè siècle qui ait été réa­li­sée sur du vélin et col­lé sur du chêne. Je pense que ça aurait dû mettre la puce à l’o­reille au moindre petit cancre du fond de la classe de l’École des Beaux-Arts, mais non. De plus, je dis ça comme ça, mais le sujet, s’il est typi­que­ment Renais­sance ita­lienne, n’a rien d’al­le­mand ni de XIXè siècle, mais pas­sons… Il n’y a en outre qu’à regar­der avec quelle finesse d’exé­cu­tion et quelle pré­ci­sion les atours d’é­poque ont été réa­li­sés pour se dou­ter qu’on est là face à quelque chose qui nous vient de la Renaissance.

Chris­tie’s… quelle blague…

Read more
Sidé­ra­tion #3

Sidé­ra­tion #3

Odeur de clé­men­tine qui flotte dans l’air frais du matin.
Filets de nuages qui s’é­tirent dans un ciel de cris­tal glacé.
Un papier de Qua­li­ty Street lais­sé à l’a­ban­don sur le bord de la table.
La tasse à café, vide, exhale encore son odeur âcre, sans sucre s’il vous plaît.
Le soleil qui vient me chauf­fer le côté droit du visage tan­dis que je le lis pai­si­ble­ment sur le cana­pé, sous le plaid blanc imma­cu­lé que je viens d’acheter.
Je rêve à la Rus­sie de Tol­stoï et des églises ortho­doxes, à la blan­cheur de la taï­ga sous le givre qui avance masqué.
Je me sens incroya­ble­ment bien et l’es­pace d’un ins­tant, j’en oublie tout ce qui devrait me soucier.
Je me suis pro­mis que cet hiver je visi­te­rai la cathé­drale Alexandre Nevs­ky de Paris. J’ai­me­rais qu’il neige pour ça.

Quelques courses pour nour­rir mon appé­tit de bonnes choses à l’o­rée de l’hi­ver. Des After Eight au citron, un mar­zi­pans­tol­len à l’o­range, une deuxième bou­teille de Che­va­lier de Las­combes, Mar­gaux 2011, la pre­mière étant déjà presque ter­mi­née, trois bou­teilles de Gewurz­tra­mi­ner (je me les garde pour Noël), du Pot­jev­leesch à man­ger sur du pain de cam­pagne, une tranche de Vache­rin fri­bour­geois, un Pont-l’E­vêque, un Brillat Sava­rin… Bref, de quoi res­ter à la mai­son au chaud quelques jours. Au super­mar­ché, une petite dame âgée s’est appro­chée de son mari tout aus­si petit, avec un regard espiègle et lui a offert un sachet. Ils se sont sou­ris et il lui a dépo­sé un bai­ser tendre sur la bouche. Bête­ment, j’ai sou­ri en les regar­dant. C’est, déci­dé­ment, une belle journée.

C’est la plus belle période de l’an­née pour regar­der la pein­ture. Je devrais com­men­cer à regar­der aus­si dans quelle par­tie du monde je vais m’aventurer.

Le voyage est un bat­te­ment de cœur sup­plé­men­taire. Du voyage on garde des cica­trices, mais inver­sées, comme si on avait davan­tage de peau, un peu plus de nous et des autres.

Estelle Nol­let, Par­tir
in L’almanach des voya­geurs, sous la direc­tion de Jean-Claude Perrier
Magel­lan & Cie, 2012

Dans mes tas de livres dont la masse se rap­proche de la masse cri­tique, j’ai retrou­vé un beau livre que j’a­vais enta­mé l’an­née der­nière et qui fait le bon­heur de mes courtes soi­rées en ce moment ; Atlas des îles aban­don­nées, par Judith Scha­lans­ky, pré­fa­cé par Oli­vier de Ker­sau­zon. Un vrai bijou, des textes inat­ten­dus et un uni­vers gra­phique à la fois très mar­qué et d’une com­plexi­té savante. J’aime les for­mules de l’au­teur : Trin­dade ; Ce lieu est un désastre topo­gra­phique. C’est le livre de l’éloignement impro­bable, des îles qui ont tout fait pour qu’on ne les trouve pas, car là où elles sont situées pour la plu­part, il ne vien­drait à l’i­dée de per­sonne d’al­ler les cher­cher. Que pen­ser des îles por­tant le doux nom de Soli­tude, Décep­tion ou pire encore ; Désap­poin­te­ment ? Que savons-vous réel­le­ment de ces îles au nom qui nous paraissent presque fami­lier comme Tris­tan da Cun­ha, Clip­per­ton, Christ­mas, ou même Sainte-Hélène ren­due célèbre par un petit homme corse en exil ? Judith Scha­lans­ky est née en RDA et pour elle le voyage dans ses jeunes années n’a été que le fruit de son ima­gi­na­tion qu’elle lais­sait vaga­bon­der au bout de son doigt sur les cartes et les atlas. Il faut lire ce qu’en dit Flo­ri­zel (que j’ai l’im­pres­sion d’a­voir déjà croi­sé) lors­qu’elle évoque les Fin­ger­rei­sen, qu’on pour­rait tra­duire (mal) par voyage au bout du doigt. Je viens d’ailleurs de décou­vrir grâce à elle que le titre en alle­mand est Atlas der abge­le­ge­nen Inseln (Atlas des îles éloi­gnées, et non pas abandonnées).
Me voi­là sidéré.

Pho­to d’en-tête © Axel Hart­mann

Read more
Sidé­ra­tion #2

Sidé­ra­tion #2

Je com­mence à regar­der en arrière pour voir à quoi a res­sem­blé cette année. Mais il est trop tôt pour faire des bilans, ce n’est pas début décembre qu’on peut s’a­mu­ser à faire ça. Tout ce que j’ai comme impres­sion, c’est véri­ta­ble­ment l’i­dée d’une den­si­té incroyable. J’ai aus­si la sen­sa­tion d’a­voir impor­té dans mon acti­vi­té pro­fes­sion­nelle un terme venu de l’u­ni­vers de la musique expé­ri­men­tale ; auto­ma­tion. Il est encore trop tôt ce matin pour en par­ler, mais ça méri­te­rait tout de même un détour. Car si d’un mot je pou­vais résu­mer cette année, ce serait l’an­née du détour. Aucun pré­sup­po­sé posi­tif ou néga­tif, sim­ple­ment une année de détour, de détours, à tous les sens du terme. Le détour peut être pris comme un renon­ce­ment, ou comme l’en­vie d’ar­ri­ver moins vite que si l’é­vi­dence guide nos pas, ou alors, comme la volon­té mani­feste de ne pas se perdre… Le détour… mon mot fétiche pour cette année 2014 qui se referme. Mais une fois encore, il est trop tôt pour les bilans.
Lais­sons-nous encore por­ter quelques ins­tants, car rien ne se ter­mine réel­le­ment. Cir­cum­vo­lu­tion year

Je com­mence à avoir marre des lec­tures atter­rantes de la socio­lo­gie, des constats alar­mants d’une socié­té qui se gan­grène d’une main et se recons­truit de l’autre, dans la beau­té des gestes de coopé­ra­tion et de col­la­bo­ra­tion. Nous autres qui croyons encore que l’es­pèce humaine pour­ra se sau­ver, qu’il n’y a pas sur terre que des libé­raux et des cha­cals, nous nous fati­guons à ten­ter de convaincre l’autre moi­tié de la socié­té qu’il y a du salut pos­sible dans la contem­pla­tion de nos errances. Je suis un peu fati­gué de tout cela et voi­ci que je me mets à par­ler comme un prêtre ortho­doxe. Je me suis plon­gé dans une lec­ture par­faite, un grand roman au ton juste et apai­sant ; La confré­rie des moines volants, de Metin Ardi­ti. Un livre qui fait du bien après avoir étu­dié celui sur les éva­po­rés du Japon.

Il faut que je me repose, prendre un peu de recul, finir ce que je dois faire pour avoir la sen­sa­tion de ne déce­voir per­sonne, moi le pre­mier, même si là, j’at­teins mes propres limites ; la suite n’en sera que plus belle. Il faut que je reprenne aus­si la route, une fois que j’au­rais employé mon esprit à plus de vagabondage.

Qui vive ? Qui passe ? Toi, encore, et en deux fois, à l’al­ler et au retour, répond le petit dieu des routes et des croi­se­ments. Puis il ajoute : mais jamais plus tu ne seras le même, tu as éprou­vé ce qu’é­tait le « Divers », et les confins t’ont rame­né à cette rose des vents sur les cartes, où l’ai­guille de la bous­sole n’a pas cil­lé. Alors, pose ton sac, mets tes godillots à sécher, ouvre ton car­net de mots et de des­sins, et raconte. Ta vie sin­gu­lière, au tamis de l’Autre, recom­mence. Tu es mul­tiple, tu es toi-même carrefour.

Jean-Luc Coa­ta­lem, Eloge du petit dieu des car­re­fours,
in L’al­ma­nach des voya­geurs, sous la direc­tion de Jean-Claude Perrier
Magel­lan & Cie, 2012

Pho­to d’en-tête © Tho­mas Berg

Read more