Dec 13, 2014 | Routes croisées |
J’apprends avec une certaine sidération que Léonard de Vinci aurait laissé une de ses œuvres non signées et surtout errant dans les temps futurs sans possibilité, dans l’état actuel des connaissances de pouvoir lui attribuer avec certitude la parenté de cette merveille. Je ne rentrerai pas dans le détail, car je ne suis pas documentariste, pour cela il faudra regarder le documentaire L’énigme de la belle princesse, datant de 2011. Et pendant tout ce temps, personne ne m’a rien dit. En fait, ce qui me sidère, ce n’est pas tellement que Leonardo ait laissé derrière lui une œuvre non signée, car c’était le genre de bonhomme à ne pas terminer ce qu’il commençait. Pour lui, l’intérêt de l’œuvre consistait en sa création, pas en sa réalisation, ainsi il fait figure d’amateur de la réalisation, mais ce qui me sidère, c’est que l’œuvre, de petite taille (33 x 24 cm), ait été mise en vente chez Christie’s, vous savez Christie’s, la célèbre société de vente aux enchères basée à Londres, donc une des plus vénérables institutions en qui nous devrions avoir une foi immodérée en son expertise sur l’art (car si on ne peut plus croire les commissaires-priseurs de chez Christie’s, qui croire ?), au prix somme toute tout à fait raisonnable de 19 000 $.

Mais alors que s’est-il passé ? Quel est le scandale qui se cache derrière tout ceci ? Comment peut-on vendre à un tel prix une œuvre, même non attribuée, ou non encore attribuée au peintre le plus célèbre, celui qui a peint la tableau qui fait se déplacer des millions de touristes tous les ans (je parle de la Joconde évidemment, pour ceux qui ne voyaient pas de quoi je voulais parler) ? Il se trouve que si le prix fût aussi modeste lors de la vente (et je ne parle pas de sa revente en 2007 pour 22 000 $), c’est que l’œuvre a été expertisée comme étant une peinture allemande du XIXè siècle. Et c’est là que ma foi fait une chute de quelques mètres. Quel abruti (à mon avis, cela remonte sur plusieurs générations) a pu expertiser une telle œuvre en croyant sérieusement avoir affaire avec quelque chose venant d’Allemagne et surtout venant du XIXè siècle ??? C’est là que les choses me dépassent. Je n’ai jamais eu l’œuvre entre les mains, je le jure ! Mais je suis en mesure de dire sur la base de mon ignorance la plus totale, que cette petite peinture, dont on sait qu’elle a été peinte sur du vélin, c’est-à-dire sur de la peau de veau mort-né, tannée et d’un prix sans commune mesure avec le type de support qu’on pouvait utiliser au XIXè siècle (je dis peinte depuis tout à l’heure, mais c’est une hérésie puisqu’elle a été réalisée à la pierre, à la craie et à la sanguine )et qu’en plus de cela elle a été collée (marouflée) sur une planche en chêne, bois précieux qui dit quelque chose de son extrême valeur. Je défie qui que ce soit de me trouver la moindre œuvre datant du XIXè siècle qui ait été réalisée sur du vélin et collé sur du chêne. Je pense que ça aurait dû mettre la puce à l’oreille au moindre petit cancre du fond de la classe de l’École des Beaux-Arts, mais non. De plus, je dis ça comme ça, mais le sujet, s’il est typiquement Renaissance italienne, n’a rien d’allemand ni de XIXè siècle, mais passons… Il n’y a en outre qu’à regarder avec quelle finesse d’exécution et quelle précision les atours d’époque ont été réalisés pour se douter qu’on est là face à quelque chose qui nous vient de la Renaissance.
Christie’s… quelle blague…
Read more
Dec 7, 2014 | Routes croisées |
Odeur de clémentine qui flotte dans l’air frais du matin.
Filets de nuages qui s’étirent dans un ciel de cristal glacé.
Un papier de Quality Street laissé à l’abandon sur le bord de la table.
La tasse à café, vide, exhale encore son odeur âcre, sans sucre s’il vous plaît.
Le soleil qui vient me chauffer le côté droit du visage tandis que je le lis paisiblement sur le canapé, sous le plaid blanc immaculé que je viens d’acheter.
Je rêve à la Russie de Tolstoï et des églises orthodoxes, à la blancheur de la taïga sous le givre qui avance masqué.
Je me sens incroyablement bien et l’espace d’un instant, j’en oublie tout ce qui devrait me soucier.
Je me suis promis que cet hiver je visiterai la cathédrale Alexandre Nevsky de Paris. J’aimerais qu’il neige pour ça.
Quelques courses pour nourrir mon appétit de bonnes choses à l’orée de l’hiver. Des After Eight au citron, un marzipanstollen à l’orange, une deuxième bouteille de Chevalier de Lascombes, Margaux 2011, la première étant déjà presque terminée, trois bouteilles de Gewurztraminer (je me les garde pour Noël), du Potjevleesch à manger sur du pain de campagne, une tranche de Vacherin fribourgeois, un Pont-l’Evêque, un Brillat Savarin… Bref, de quoi rester à la maison au chaud quelques jours. Au supermarché, une petite dame âgée s’est approchée de son mari tout aussi petit, avec un regard espiègle et lui a offert un sachet. Ils se sont souris et il lui a déposé un baiser tendre sur la bouche. Bêtement, j’ai souri en les regardant. C’est, décidément, une belle journée.
C’est la plus belle période de l’année pour regarder la peinture. Je devrais commencer à regarder aussi dans quelle partie du monde je vais m’aventurer.
Le voyage est un battement de cœur supplémentaire. Du voyage on garde des cicatrices, mais inversées, comme si on avait davantage de peau, un peu plus de nous et des autres.
Estelle Nollet, Partir
in L’almanach des voyageurs, sous la direction de Jean-Claude Perrier
Magellan & Cie, 2012
Dans mes tas de livres dont la masse se rapproche de la masse critique, j’ai retrouvé un beau livre que j’avais entamé l’année dernière et qui fait le bonheur de mes courtes soirées en ce moment ; Atlas des îles abandonnées, par Judith Schalansky, préfacé par Olivier de Kersauzon. Un vrai bijou, des textes inattendus et un univers graphique à la fois très marqué et d’une complexité savante. J’aime les formules de l’auteur : Trindade ; Ce lieu est un désastre topographique. C’est le livre de l’éloignement improbable, des îles qui ont tout fait pour qu’on ne les trouve pas, car là où elles sont situées pour la plupart, il ne viendrait à l’idée de personne d’aller les chercher. Que penser des îles portant le doux nom de Solitude, Déception ou pire encore ; Désappointement ? Que savons-vous réellement de ces îles au nom qui nous paraissent presque familier comme Tristan da Cunha, Clipperton, Christmas, ou même Sainte-Hélène rendue célèbre par un petit homme corse en exil ? Judith Schalansky est née en RDA et pour elle le voyage dans ses jeunes années n’a été que le fruit de son imagination qu’elle laissait vagabonder au bout de son doigt sur les cartes et les atlas. Il faut lire ce qu’en dit Florizel (que j’ai l’impression d’avoir déjà croisé) lorsqu’elle évoque les Fingerreisen, qu’on pourrait traduire (mal) par voyage au bout du doigt. Je viens d’ailleurs de découvrir grâce à elle que le titre en allemand est Atlas der abgelegenen Inseln (Atlas des îles éloignées, et non pas abandonnées).
Me voilà sidéré.
Photo d’en-tête © Axel Hartmann
Read more
Dec 5, 2014 | Routes croisées |
Je commence à regarder en arrière pour voir à quoi a ressemblé cette année. Mais il est trop tôt pour faire des bilans, ce n’est pas début décembre qu’on peut s’amuser à faire ça. Tout ce que j’ai comme impression, c’est véritablement l’idée d’une densité incroyable. J’ai aussi la sensation d’avoir importé dans mon activité professionnelle un terme venu de l’univers de la musique expérimentale ; automation. Il est encore trop tôt ce matin pour en parler, mais ça mériterait tout de même un détour. Car si d’un mot je pouvais résumer cette année, ce serait l’année du détour. Aucun présupposé positif ou négatif, simplement une année de détour, de détours, à tous les sens du terme. Le détour peut être pris comme un renoncement, ou comme l’envie d’arriver moins vite que si l’évidence guide nos pas, ou alors, comme la volonté manifeste de ne pas se perdre… Le détour… mon mot fétiche pour cette année 2014 qui se referme. Mais une fois encore, il est trop tôt pour les bilans.
Laissons-nous encore porter quelques instants, car rien ne se termine réellement. Circumvolution year…
Je commence à avoir marre des lectures atterrantes de la sociologie, des constats alarmants d’une société qui se gangrène d’une main et se reconstruit de l’autre, dans la beauté des gestes de coopération et de collaboration. Nous autres qui croyons encore que l’espèce humaine pourra se sauver, qu’il n’y a pas sur terre que des libéraux et des chacals, nous nous fatiguons à tenter de convaincre l’autre moitié de la société qu’il y a du salut possible dans la contemplation de nos errances. Je suis un peu fatigué de tout cela et voici que je me mets à parler comme un prêtre orthodoxe. Je me suis plongé dans une lecture parfaite, un grand roman au ton juste et apaisant ; La confrérie des moines volants, de Metin Arditi. Un livre qui fait du bien après avoir étudié celui sur les évaporés du Japon.
Il faut que je me repose, prendre un peu de recul, finir ce que je dois faire pour avoir la sensation de ne décevoir personne, moi le premier, même si là, j’atteins mes propres limites ; la suite n’en sera que plus belle. Il faut que je reprenne aussi la route, une fois que j’aurais employé mon esprit à plus de vagabondage.
Qui vive ? Qui passe ? Toi, encore, et en deux fois, à l’aller et au retour, répond le petit dieu des routes et des croisements. Puis il ajoute : mais jamais plus tu ne seras le même, tu as éprouvé ce qu’était le « Divers », et les confins t’ont ramené à cette rose des vents sur les cartes, où l’aiguille de la boussole n’a pas cillé. Alors, pose ton sac, mets tes godillots à sécher, ouvre ton carnet de mots et de dessins, et raconte. Ta vie singulière, au tamis de l’Autre, recommence. Tu es multiple, tu es toi-même carrefour.
Jean-Luc Coatalem, Eloge du petit dieu des carrefours,
in L’almanach des voyageurs, sous la direction de Jean-Claude Perrier
Magellan & Cie, 2012
Photo d’en-tête © Thomas Berg
Read more