Photo © Etienne Cazin
Je comprends ce que j’ai. Mes journées passent lentement, je n’étais plus habitué.
Regarder passer une péniche festonnée de loupiotes de toutes les couleurs sous les frondaisons des saules, dont les innombrables doigts viennent frôler l’onde, assis au bord de la route, le front plongé dans mes pensées.
Au loin un oiseau lance ses trilles par-dessus les chapeaux d’un couple qui fait du vélo sur les bords de la Seine, et je me reprends doucement. Je retombe sur les lignes de Germain-Thomas, avec les oiseaux qui piaillent dans un arbre au loin :
Je comprends ce que j’ai. Mes journées passent lentement, je n’étais plus habitué.
Je suis seul. Je n’étais plus habitué.
Je suis solitaire, comme toujours.
Et ce qui me ronge est que j’ai déjà commencé mon voyage tandis que je reste ici, incapable de rompre les amarres, enfermé autant dans l’espace que dans mon esprit.
Je souffre sans vraiment m’en rendre compte, une violence sourde et handicapante.
Je vais mourir d’être ici.
Le contraire de ce que dit Depardon : « Bien seul, mais bien libre »
Ah oui, pas d’autres bruits que celui des jours qui ne se plaignent pas, la nature beuglant son silence aux oreilles écarlates. Les natures les plus éloquentes sont celles qui ne font pas de bruit superflus et les villes les plus belles sont celles qui n’ont aucunes prétentions. Il faudra se rappeler l’heure tout de même, on n’est pas éternel, il faudra se rappeler l’heure et prendre à bras le corps nos frustrations et les déposer au loin. J’avais l’idée de m’endormir un peu au chaud sous les arbres, mais le temps m’a rattrapé, c’était bon comme un soir d’été, avant qu’il ne pleuve.
La question est: d’où vient cette incapacité à rompre les amarres ? Si l’on était réellement solitaire, on n’hésiterait pas, on prendrait son canif, on couperait la corde qu’on a à la cheville et on partirait droit devant. Mais on ne peut pas, peut-être qu’on a peur, peut-être que comme disait l’autre, nul homme est une île, peut-être qu’on a incroyablement besoin des autres, même s’ils sont étouffants, qu’ils rongent peu à peu ce qu’on a au dedans, peut-être qu’on veut être aimé ici et maintenant. Et puis on se dit libre dans sa tête, mais “libre dans sa tête” mon cul, on est libre tout court ou on ne l’est pas. Alors on revient à la question, pourquoi je n’arrive pas à lâcher ? peut-être parce qu’on est responsable, tout empesé par la notion de devoir. Ou peut-être qu’au fond, on a peur des grands espaces, où on pourrait tout faire, tout vivre. Vivre libre, certes, mais vivre pour qui ? Et là, question essentielle: “suis-je assez immense pour ne vivre que pour moi ?” Ma réponse: vivre heureuse là où je suis, avec qui je suis, avec qui ils sont. Mais c’est une réponse qui ne vaut que pour moi.
Eh bah dis donc, tu poses tellement de questions en même temps que je ne sais plus où j’en suis 🙂
moi non plus ! (how to confuse your enemies, lesson 1: ask too many questions)
Bien retenu la leçon tu as 😉
Fabienne, j’aime beaucoup ta formule “libre dans sa tête” mon cul.
Surtout qu’a priori rien ne relie l’un à l’autre… 😀