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Komo­re­bi

juste le soleil
au tra­vers du feuillage

Il existe des mots qui ne devraient jamais être tra­duits. Le japo­nais a ce talent d’enfiler des perles lin­guis­tiques pour dire l’indicible. Komo­re­bi en fait par­tie : la lumière du soleil qui filtre à tra­vers les feuilles. Trois syl­labes pour sai­sir ce moment fugace où le vent, en bou­geant les branches, joue au pro­jec­tion­niste avec le ciel.

Je me sou­viens d’une marche un peu molle, un après-midi où la cha­leur écra­sait la ville. Je m’étais réfu­gié sous une ran­gée d’arbres et sou­dain, sur le sol, se mirent à dan­ser ces taches mou­vantes de lumière. Rien d’extraordinaire en appa­rence — juste le soleil qui se frayait un che­min au tra­vers du feuillage. Mais dans l’instant, tout sem­bla ralen­tir. J’eus la convic­tion que si le monde devait se dire en une seule image, ce serait celle-là : une clar­té inter­mit­tente, ni tout à fait ombre ni tout à fait soleil.

Les Japo­nais en ont fait un mot ; nous, pauvres Euro­péens, nous par­lons de « rayons de soleil dans les arbres », avec la lour­deur d’un inven­taire. Eux y voient une expé­rience esthé­tique, un rap­pel dis­cret que la beau­té n’est pas seule­ment dans les œuvres mais dans les inter­stices, dans ce qui échappe.

Le komo­re­bi est une péda­go­gie lente : il enseigne qu’il faut par­fois lever la tête, s’arrêter sous un arbre et accep­ter que le monde vous couvre de motifs mou­vants comme une tapis­se­rie que le vent aurait déci­dé de repeindre à chaque seconde.

Le mot komo­re­bi (木漏れ日) désigne un phé­no­mène très pré­cis mais pro­fon­dé­ment poétique :

木 (ko) = arbre
漏れ (more) = fuite, pas­sage, filtre
日 (bi) = soleil, lumière du jour

C’est ce jeu de clair-obs­cur qu’on observe quand, sous une futaie, le vent bouge dou­ce­ment le feuillage et laisse pas­ser des taches de lumière mou­vantes sur le sol, comme un motif vivant pro­je­té par la nature.

En japo­nais, ce mot est char­gé d’une nuance que nous n’avons pas vrai­ment en fran­çais : il n’évoque pas seule­ment la lumière, mais aus­si la sen­sa­tion qu’elle pro­duit, ce mélange de beau­té, de dou­ceur et d’éphémère. Le komo­re­bi est moins une obser­va­tion phy­sique qu’une expé­rience esthé­tique et sen­so­rielle, une manière d’habiter le monde avec attention.

Et si je devais rete­nir une morale de ce petit théâtre de lumière, ce serait celle-ci : le soleil ne cherche pas à tout éclai­rer, il s’amuse à par­ta­ger. Une part pour les feuilles, une part pour la terre, et entre les deux, pour nous autres, voya­geurs dis­traits, un spec­tacle gratuit.

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