Dérou­lé des jours qui se suivent sans vrai­ment se res­sem­bler. Les avions passent au-des­sus de ma tête, les images défilent, celles d’un temple per­du dans le nord de la Thaï­lande ; on dirait qu’on arrive pas vrai­ment à vivre avec les images du pas­sé et que pour fina­le­ment y arri­ver, on se construit un futur qui res­semble tou­jours à ce qu’on a déjà vécu. Ce n’est pas tou­jours très agréable.

Lun­di 03.02

C’est l’an­ni­ver­saire de mon père aujourd’­hui. Il a 60 ans. 60 ans, déjà, il part à la retraite à la fin de l’an­née, l’a annon­cé à son patron, il ne fera pas un an de plus dans cette boîte. J’ai vingt ans d’é­cart avec mon père. 60 ans c’est dans 20 ans, voi­là, c’est tout, c’est ce qui m’at­tend, et fran­che­ment, je trouve ça flippant.

Je fais ce que je peux pour retar­der la lec­ture d’Equa­to­ria de Patrick Deville mais c’est plus com­pli­qué que ça n’y paraît. Je me dis tant pis, que je fini­rai bien par tout relire une fois que j’au­rais ter­mi­né. Je me pose main­te­nant la ques­tion de savoir qu’est-ce que je vais emme­ner en voyage. William Dal­rymple ? Jared Dia­mond ? Robert Byron ? Pour­quoi pas T.E. Law­rence ? Aucune idée pour l’ins­tant. Jour J‑16.

Mar­di 04.02

Je n’ai pas du tout aimé la jour­née de tra­vail d’hier. Je l’ai même détes­té ; il y avait une ambiance étrange que je n’aime pas voir per­du­rer. Et je ne sais pas si cela nait d’une rela­tion de cause à effet, mais je ne me sens pas bien ce matin, comme envi­ron­né d’une tris­tesse anor­male. Peut-être mes angoisses de dépres­sif qui sortent lorsque je n’ai pas l’es­prit suf­fi­sam­ment occu­pé. Deği­lim.

Aucune joie en ce moment, rien que ne me porte, rien qui ne me donne satis­fac­tion. Un de ces fameux moments de creux, pen­dant les­quels il ne se passe rien. Comme on dit en socio­lo­gie, ce sont ces moments où il ne se passent que se trans­forme quelque chose… Avant que la terre ne tremble, les plaques se déplacent à une vitesse imper­cep­tible, suf­fi­sam­ment lente pour mimer la stabilité.

zezoua ottomane

Mêmes rituels tous les matins, inlas­sa­ble­ment répé­tés. Je ne suis pas fait pour res­ter tou­jours au même endroit — mon être nomade est en train de res­sor­tir, la bête sau­vage est en train de tuer le mou­ton, me dévore de l’in­té­rieur, brûle mes entrailles. Je vais mou­rir à petit feu si je ne me trans­porte pas ailleurs. Deği­lim.

En finir avec les méta­phores… Je vais conti­nuer à déve­lop­per ma vie dans une chambre noire.

Mer­cre­di 05.02

Je suis allé tra­vailler hier matin la fatigue che­villée au corps, le moral dans les chaus­settes ; j’en suis reve­nu heu­reux, comme si de ma capa­ci­té à me mobi­li­ser pro­ve­nait la puis­sance qui me per­met d’a­van­cer. Je me suis retrou­vé à m’ex­ta­sier devant une cal­li­gra­phie arabe, le cœur bat­tant en me disant que cela fai­sait par­tie des choses qui me font vibrer et que déci­dé­ment, j’au­rais bien du mal, même avec toute la bonne volon­té du monde, à avoir peur de l’Is­lam, à esti­mer que l’Is­lam est « une reli­gion incom­pa­tible avec la Répu­blique ». Toutes les reli­gions sont incom­pa­tibles avec la Répu­blique et peut-on rap­pe­ler com­bien de têtes ont été cou­pées pen­dant la Révo­lu­tion Fran­çaise, au nom de la Répu­blique ? La Répu­blique n’est pas com­pa­tible avec elle-même si elle ne compte pas avec la voix de cha­cun. Alors silence !
J’en­tends encore mon propre fils me citer Condor­cet : « Même sous la consti­tu­tion la plus libre, un peuple igno­rant est esclave. » Vous ima­gi­nez ma tronche, la larme au coin de l’oeil…

J’ai eu la belle sur­prise de voir Tigran débar­quer, avec ses yeux pétillants, son sou­rire heu­reux, pour m’an­non­cer, à moi, quel était son beau pro­jet de voyage. Et dire que ce week-end, je pen­sais exac­te­ment à lui et à ça en particulier…

Et puis il y aura eu aus­si la lumière de Sofia, quelle lumière !

Jeu­di 06.02

Je ne vois rien pas­ser, la langue pas­sant sur les lèvres, rosies par le vent, les heures défilent comme des œufs sur une chaîne de condi­tion­ne­ment, tout se brouille…

L’o­deur de ce livre est une odeur mus­quée, une odeur virile en véri­té, une fra­grance de tabac chaud, de Havane et de Daï­qui­ri… Lire m’emporte par­fois jus­qu’à Cuba.

Ven­dre­di 07.02

Je crois que cette semaine je n’ai rien fait d’autre que tra­vailler ; pen­ser aura même été de trop. Le vent a souf­flé toute la nuit de manière désa­gréable, fâcheux comme un bar­bon hys­té­rique, répé­tant inlas­sa­ble­ment la même mélo­pée. Contrai­re­ment aux vagues, le vent n’a aucune régu­la­ri­té, ne répond à aucune logique, souffle quand il veut, dit ce qu’il veut, s’af­fran­chit du rythme et de la séré­ni­té de la nature, il est dans l’op­po­si­tion constante.

Encore une jour­née ici. J’ai ter­mi­né Equa­to­ria ce matin, com­men­cé Onze lettres de Péné­lope de Loren­zo Pes­tel­li, décou­vert en sep­tembre à Arca­chon, et ce matin Dans les forêts de Sibé­rie de Syl­vain Tes­son, qu’il vaut mieux lire qu’é­cou­ter par­ler… Je crois que Tes­son a lu Mir­cea Eliade, mais l’a mal digéré.

Je vis dans le noir, je ne me rends même pas compte que je n’al­lume jamais la lumière…

Pho­to d’en-tête © Julien Har­neis