Les tré­sors de la Mer Rouge #1

Les tré­sors de la Mer Rouge #1

Mépri­sez quel­qu’un pen­dant des géné­ra­tions et vous avez une bonne chance de le rendre mépri­sable, jus­qu’au jour où, les armes à la main, il recon­quiert sa digni­té… Il me regarde avec ce sou­rire infor­mé de ceux qui, pour avoir été trop long­temps pri­vés de digni­té, finissent par acqué­rir une sorte de com­pré­hen­sion ignoble du cœur humain.

Romain Gary

Les tré­sors de la mer Rouge, Gal­li­mard, 1971

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L’ombre de la route de la soie #2

L’ombre de la route de la soie #2

Que voyaient-ils donc ? Qu’es­pé­raient-ils ? Ils mar­chaient dans une robuste eupho­rie, le pas éner­gique. Le divin était tout pour eux, il en deve­nait pal­pable. Que l’on fasse tour­ner un mou­lin à prière, que l’on allume une lampe à beurre, et quelque chose se met­tait en mou­ve­ment. Des aïeuls rata­ti­nés et de minus­cules matriarches appuyaient leurs fronts contre les portes des temples et cares­saient les écharpes votives qui y étaient accro­chées. Le souffle per­pé­tuel de leur prière « Om mani pad­mé hum » exha­lait un sou­pir pareil à un lent bat­te­ment de cœur. Cer­tains se pros­ter­naient de tout leur long dans un grand tin­te­ment de bra­ce­lets, lan­çant leurs corps par terre vers leurs mains éten­dues, puis ils se rele­vaient, avant de s’al­lon­ger encore, fai­sant ain­si par­fois le tour des temples ou du monas­tère entier, les paumes cri­blées d’am­poules, les che­veux macu­lés de boue, dans un état de grâce au-delà des réa­li­tés terrestres.

Colin Thu­bron

L’ombre de la route de la soie — Tra­duit de l’anglais par Katia Holmes , Gal­li­mard, 2006

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L’ombre de la route de la soie #2

L’ombre de la route de la soie #1

La route se fit dépouillée. Plus rien ne venait l’a­dou­cir ou la bala­frer. Quand on par­ve­nait au som­met d’une côte, on décou­vrait l’im­mo­bi­li­té lunaire de col­lines arron­dies que frô­lait un maigre soleil, et des val­lées éro­dées jus­qu’au gris alu­mi­nium ou tapis­sées du feutre gris-vert d’une herbe mou­rante. Et de ces espaces déserts où rien ne peut vivre, c’est cer­tain, sur­girent les Kuchis, tel un mirage : des nomades per­chés sur leurs cha­meaux à l’air déli­cat, par­mi les trou­peaux de chèvres et des chiens au poil blond et à la queue cou­pée. Des hommes éma­ciés au visage noir­ci, avec de grandes cata­ractes de barbe au men­ton. Ils pas­sèrent sans un regard, comme en rêve — le leur ou le nôtre.

Colin Thu­bron

L’ombre de la route de la soie — Tra­duit de l’anglais par Katia Holmes , Gal­li­mard, 2006

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La val­lée des rubis #2

La val­lée des rubis #2

Je ne vous mène pas à l’in­té­rieur, dit Maung Khin Maung, et sa voix expri­mait une émo­tion sin­gu­lière. Il fau­drait des jours et des jours, et encore vous n’au­riez fait qu’une par­tie du che­min. Je ne crois pas qu’il existe aujourd’­hui un mineur, même par­mi les plus vieux, qui connaisse entiè­re­ment les gorges sou­ter­raines à quoi conduit cette cre­vasse. Toute la mon­tagne est creuse. On fouille là depuis des siècles. Aux gale­ries, aux caves et aux grottes natu­relles, les mineurs de rubis ont ajou­té par cen­taines, cou­loirs, niches, cel­lules, alvéoles. Dans tous les sens. A tous les niveaux. Sur le flan des abîmes obs­curs. Au fond des gouffres noirs. Là même où reposent les osse­ments immenses des bêtes qui n’existent plus sur terre… Les sque­lettes des Grands Élé­phants Morts.

Joseph Kes­sel

La val­lée des rubis, Gal­li­mard, 1955

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