Ko Pha Ngan sto­ries #3 : Déluge à Chaloklam

Ko Pha Ngan sto­ries #3 : Déluge à Chaloklam

Déluge à Cha­lok Lam

Ko Pha Ngan sto­ries #3

Wat Cha­lok Lam.

Le mot wat désigne tout natu­rel­le­ment ces temples que les boud­dhistes visitent de temps à autre pour hono­rer la figure de Boud­dha et les grands moines qui ont par­fois leurs sta­tues en cire criantes de réa­lisme expo­sées sous les auvents en bois.

Wat Cha­lok Lam, c’est le pre­mier petit temple pro­vin­cial à qui j’ai ren­du visite sur l’île. Visi­ter est un bien grand mot ; il n’y a pas grand-chose à voir ici, à part un tout petit temple dans une clai­rière car­re­lée d’un damier, des nagas en pierre fine­ment cise­lés mon­tant la garde. Res­plen­dis­sant d’ors et de mosaïques de miroirs, il étin­celle, caché dans un recoin du vil­lage. Rien en lui ne res­pire l’an­cien, la pierre pati­née, avec sa pein­ture blanche étin­ce­lante, mais j’ap­pren­drai plus tard que conser­ver l’an­cien n’est pas for­cé­ment la pra­tique la plus cou­rante et que chaque temple peut être recons­truit à l’i­den­tique avec des maté­riaux modernes, par­fois même juste à côté, l’as­pect sacré du monu­ment pri­mant sur la conser­va­tion du patrimoine.

Un peu à l’é­cart de la ville, la pluie com­mence à se déver­ser sur la route gou­dron­née, et le seul refuge que je trouve, c’est la cour du temple, mais tout est aux quatre vents. Seul un espace cou­vert, quatre piliers et un toit de chaume, per­met de s’a­bri­ter. Aux poutres tra­ver­sières sont accro­chées des dizaines d’or­chi­dées sim­ple­ment rete­nue par quelques fils de fer enche­vê­trés. Un homme qui a lais­sé son scoo­ter un peu plus loin est venu me rejoindre en me fai­sant com­prendre que ce qui tombe du ciel est un vrai déluge, en se mar­rant de toutes ses dents, des quelques unes qui lui res­tent… Dans la cha­leur humide, la pluie n’ar­rive pas vrai­ment à apai­ser l’air élec­trique, se fau­fi­lant à tra­vers les lames de chaumes ajou­rées, créant des filets d’eau qu’il faut éviter.

Quelques mau­vais chiens se sont réfu­giés sous un auvent en aboyant plus fort les uns que les autres, à côté de trois hommes qui sirotent leur bière en conti­nuant de dis­cu­ter, pas le moins du monde per­tur­bés par ce qui se passe autour d’eux.

Et tout à coup, une tunique orange, un bhik­shu gras­souillet enrou­lé dans son drap de coton safran passe devant moi pour se rendre dans le temple dont il ferme les lourds volets de bois avant de repar­tir dans l’autre sens, une main dans le dos, l’autre tenant un grand para­pluie jaune. Un ins­tant d’é­ter­ni­té séculier.

Le temps s’é­coule dou­ce­ment pen­dant que la pluie rince le pay­sage dont de fortes effluves de terre mouillée émanent avec une dis­cré­tion toute boud­dhiste. Il pleut ain­si pen­dant un bon quart d’heure qui impose un temps d’é­ter­ni­té dans la cour du petit temple, Wat Chaloklam…

La pluie s’ar­rête comme elle est arri­vée, sans pré­ve­nir ; les chiens reprennent leur place en s’al­lon­geant sur la route détrem­pée, regar­dant les scoo­ters qui ser­pentent pour les évi­ter avec un air débon­naire, presque mépri­sant, et la vie reprend sou­dain d’autres cou­leurs sous le ciel de plomb du petit vil­lage de pécheurs.

Moment recueilli le 5 mars 2013. Écrit le 8 mai 2019.

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Ko Pha Ngan sto­ries #2 : Baan Cha­lok Lam

Ko Pha Ngan sto­ries #2 : Baan Cha­lok Lam

Ban Cha­lok Lam

Ko Pha Ngan sto­ries #2

Baan Cha­lok Lam. On dit aus­si Cha­lok­lum. Voi­ci le finis­tère de Koh Pha Ngan, un finis­tère en forme de crois­sant de lune s’en­fon­çant dans une val­lée au pied d’un des points culmi­nants, une mon­tagne où les nuages char­gés d’eau s’ac­crochent et finissent par se vider au-des­sus du vil­lage de pécheurs.

C’est une petite ville avec des routes en terre, deux rues paral­lèles qui longent une plage sans pré­ten­tion où quelques bateaux souf­fre­teux déversent leurs pois­sons et les cala­mars qui seront séchés sur les tables qu’on peut voir un peut par­tout en bord de mer.

C’est le genre d’en­droit où il ne se passe rien, où les tou­ristes n’ar­rivent que par hasard au terme d’une route chao­tique qui a long­temps été en chan­tier. Pas de sur­feurs, pas de vieux alle­mands arri­vés là on ne sait com­ment, cra­dingues et les che­veux entour­billon­nés et tres­sés à la mode ras­ta, per­chés un jour et jamais vrai­ment tota­le­ment revenus. 

Quelques res­tau­rants pro­po­sant une varié­té incroyable de pois­sons aux cou­leurs cha­toyantes et de crus­ta­cés cuits en sauces cur­ry, sont la seule réelle attrac­tion de ce petit coin qu’on pour­rait croire être un para­dis, mais qui n’est qu’un bout de terre ten­du vers la mer.

Au détour d’un che­min, der­rière une petite plage où une balan­çoire a été accro­chée à un coco­tier qui pointe vers le large, deux pan­neaux indiquent que la plage, orien­tée au nord, est un lieu où les tsu­na­mis peuvent faire beau­coup de dégâts. Une flèche invite les pro­me­neurs à se diri­ger vers une route en hau­teur pour se pro­té­ger en cas de dan­ger. Le para­dis res­semble un peu à l’enfer.

C’est un finis­tère où les vieux regardent la mer comme on dis­cute avec un vieil ami, où les chiens, inquiets de rien et sur­tout pas des quelques scoo­ters qui passent ici, dorment sur la route déca­pée par les pluies et le soleil, où les jack­fruits poussent à por­tée de main et s’é­clatent de temps à autre sur le béton des cours, pour­ris­sant là comme des ani­maux morts, où les enfants jouent dans le sable en se deman­dant à quelle heure on mange.

Moment recueilli le 5 mars 2013. Écrit le 27 avril 2019.

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