Voici un artiste révolutionnaire des plus influents sur la scène soufie des deux côtés du Bosphore. Mercan Dede, de son vrai nom Arkın Ilıcalı, est un musicien turc qui n’hésite pas à mélanger les genres. Maîtrisant le souffle du ney, cette flûte en roseau faisant partie des instruments traditionnels de la musique soufie qui se joue en soufflant en biseau sur un cône, il s’est exilé quelques temps au Canada pour étudier la musique techno et c’est tout naturellement qu’il a réussi à faire le pont entre les deux styles de musique en passant par ce qui les réunissait ; la transe.
Ce qui en ressort, c’est une musique tonique finalement très proche de la tradition ottomane, emportant avec elle la rythmicité lancinante des cérémonies soufies et créant une ambiance relaxante et douce.
Une petite dizaine d’album émaillent son parcours, dont les deux que je présente ici au travers de ces extraits.
[audio:MoyaAlitu.xol]
Moya Alitu, sur l’album Nefes (Doublemoon 2007)
[audio:YolGecenHani.xol]
Yol Gecen Hani, sur l’album 800 (Doublemoon 2007)
Le clergé catholique au service de l’Antéchrist (« Unterscheid zwischen der waren Religion Christi und falschen Abgöttischenlehr des Antichrists in den fürnemsten Stücken ») Gravure sur bois en deux parties de Lucas Cranach l’Ancien (1472 – 1553), 1ère moitié du XVIe siècle (reproduit dans : The German Single-Leaf Woodcut : 1550 – 1600, ed. Max Geisberg, New-York, 1974, vol. 2, p. 619)
J’ai trouvé dans le livre de Fatih Cimok (Anatolie Biblique, de la Genèse aux Conciles) une légende faisant appel à la fois au Déluge, aux peuples Hourrites et à un des mythes de la Bible les plus inquiétant ; celui de l’Antéchrist.
Dans la légende du Déluge, que ce soit celui des Chrétiens ou celui dont j’ai déjà parlé lorsqu’il était question du Mont Ararat, il est question au travers de cette épiphanie d’un moment de purification du mal sur Terre par l’eau, ce que l’on peut traduire dans une certaine mesure comme une métaphore à une différente échelle du baptême. Mais après le déluge ? Non, il n’est pas question ici de l’aphorisme de Madame de Pompadour, « Après moi, le déluge… » mais bel et bien de ce qui s’est passé après que la Terre fut envahie par l’eau, que Noé se retrouva perché sur Ararat et qu’il repeupla la terre par sa progéniture (Table des Nations) en la personne de ses fils, Sem, Cham et Japhet et de leurs enfants.
Dans les croyances populaires, des monstres sont nés du déluge, comme en témoignent les Chroniques de Nuremberg écrites en 1493 par l’humaniste Hartmann Schedel. Il est d’autre part question dans l’Ancien Testament, d’un passage peu connu (l’Ancien Testament est de toute façon trop peu connu, les Chrétiens préférant s’extasier sur la vie parfaite et tragique du Christ) du Livre des Nombres. Dans ce livre, il est question d’une race de géants appelés les Nephilim (הנּפלים: géant) :
27 Voici ce qu’ils [les chefs des douze tribus envoyés par Moïse en mission de repérage] racontèrent à Moïse : « Nous sommes allés dans le pays où tu nous as envoyés. À la vérité, c’est un pays où coulent le lait et le miel, et en voici les fruits. 28 Mais le peuple qui habite ce pays est puissant, les villes sont fortifiées, très grandes ; nous y avons vu des enfants d’Anak. 29 Les Amalécites habitent la contrée du midi ; les Héthiens, les Jébuséens et les Amoréens habitent la montagne ; et les Cananéens habitent près de la mer et le long du Jourdain. » 30 Caleb fit taire le peuple, qui murmurait contre Moïse. Il dit : « Montons, emparons-nous du pays, nous y serons vainqueurs ! » 31 Mais les hommes qui y étaient allés avec lui dirent : « Nous ne pouvons pas monter contre ce peuple, car il est plus fort que nous. » 32 Et ils décrièrent devant les enfants d’Israël le pays qu’ils avaient exploré. Ils dirent : « Le pays que nous avons parcouru, pour l’explorer, est un pays qui dévore ses habitants ; tous ceux que nous y avons vus sont des hommes d’une haute taille ; 33 et nous y avons vu les nephilim, enfants d’Anak, de la race des nephilim : nous étions à nos yeux et aux leurs comme des sauterelles.
Nombres, 13, 27–33
Albrecht Dürer — Révélation de Saint-Jean (12) Le monstre des mers et la Bête à cornes d’agneau
Les Nephilim, personnages pour le moins mystérieux ont été assimilés, dans certaines interprétations, à des anges déchus, que le passage du Déluge aurait eu pour mission d’exterminer en tant que tel. L’hébreu nephel désigne qui celui qui tombe (ליפול). Dans cette ambiance inquiétante apparait un personnage qu’on retrouve dans nombres de récits ésotériques et eschatologiques, souvent intégré aux théories complotistes ; l’Antéchrist. Ce personnage est considéré comme un double néfaste du Christ, ayant pour fonction de détourner l’œuvre christique et par son imposture d’infléchir la marche de l’histoire pour que celle-ci prenne un mauvais tournant. Je me garderai bien ici de commenter quoi que ce soit sur cette histoire que les Chrétiens connaissent à la lecture des Épîtres de Jean et qu’on retrouve aussi dans la mythologie juive sous le nom d’anti-messie et dans les hadîth musulmans sous le nom de Masih ad-Dajjâl (le faux messie). L’origine de ce type de figure peut toujours paraître un peu obscure, mais il faut regarder dans la longue histoire de la religion juive pour en retrouver des traces et c’est ici qu’intervient un autre personnage ; Armilus ou Armillus, ארמילוס (Armilos) en hébreu. L’origine de ce nom est inconnue, bien qu’on en retrouve des traces dans le Sefer Zerubbabel, dans l’Apocalypse du pseudo-Méthode ainsi que dans le Midrash Vayosha où il apparaît sous la forme d’un roi qui verra son avènement à la fin des temps. La plupart des sources qui citent Armillus prennent leurs sources dans des textes mésopotamiens ou syriaques, et pour cause, puisqu’on suppose qu’il est un double d’une autre histoire, plus ancienne encore et c’est dans cette niche qu’intervient le mythe de Teshup (Teshub) au sein du Chant d’Ullikumi, un chant provenant de la civilisation hittite (centrée sur l’Anatolie), qui s’est elle-même réapproprié une vieille légende hourrite.
Le peuple des Hourrites trouve son origine deux millénaires av. J.-C. dans le bassin mésopotamien et parlait une langue réputée être la plus ancienne langue indo-européenne connue. C’est dans ce recoin de l’histoire que prend forme la légende d’Armillus auprès d’un personnage nommé Teshup, roi des dieux du panthéon hourrite qui complote pour prendre la place de son père, le dieu Kumarbi, dont le chant éponyme a été repris en partie par Hésiode dans sa Théogonie. C’est dans cet acte de vouloir prendre la place de entre le père et le fils bilatéralement que le parallèle se fait entre les deux légendes et se forge dans le temps jusqu’à nos mythes fondateurs au travers d’un phénomène étrange ; la substantiation dans la pierre et la vénération des pierres, comme on peut le voir dans les religions anté-islamiques. Voici ce qu’en dit Fatih Cimok :
La légende eschatologique juive de Armillus, l’Antéchrist semble avoir été inspirée par l’épopée hourrite du « Chant d’Ullikummi ». Le sujet de ce mythe hourrite est la tentative du dieu de l’orage, Kumarbi, de détrôner son fils Teshup, qui l’avait lui-même évincé. Kumarbi féconda « le sommet d’une grande montagne » qui enfanta Ullikummi, un monstre aveugle et sourd fait de diorite. Teshup grimpa au sommet du mont Hazzi, à l’embouchure de l’Oronte pour observer ce monstre de pierre poussé hors de la mer, aujourd’hui le golfe d’İskenderun. A la fin de l’histoire, les dieux entrèrent en guerre contre le monstre et semblèrent l’avoir vaincu. Le thème de la naissance à partir de la roche semble avoir été rapporté par les Hourrites du Nord-Est de la Mésopotamie. Cette idée était familière aux Sémites occidentaux qui révéraient des rochers animés, pouvant êtres considéré comme les mères symboliques des êtres humains. Ainsi Jérémie (2:27) reproche à ses compatriotes de suivre des étrangers qui disent au bois : « Tu es mon père ! » et à la pierre : « Toi, tu m’as enfanté ! ». On rencontre ce concept plusieurs fois dans la Bible, par exemple dans Isaïe (51:1–2), Abraham et Sarah sont comparés à des rochers qui ont donné naissance au peuple d’Israël : « Regardez le rocher d’où l’on vous a tirés… Regardez Abraham votre père et Sarah qui vous a enfantés ». De même on retrouve cette image dans l’évangile selon Saint Matthieu (3:9) lorsque Jean le Baptiste dit « Dieu peut, des pierres [de l’hébreu abanim] que voici, faire surgir des enfants [de l’hébreu banim] à Abraham », et répétée dans l’évangile selon Saint Luc (3:8). Selon la légende de Armillus :
Il existe à Rome une pierre de marbre, et elle a la forme d’une jolie fille. Elle fut créée durant les six jours de la Création. Des gens sans valeur venus des nations viennent et l’abusent et elle devint enceinte et à la fin des neuf mois elle éclate et un enfant mâle en sort de la forme d’un homme dont la hauteur est de douze cubes et dont la largeur est de deux cubes. Ses yeux sont rouges et tors, les cheveux de sa tête sont rouges comme de l’or, et les empreintes de ses pieds sont vertes et il a deux crânes. Ils l’appellent Armillus.
Fatih Cimok, Anatolie biblique, de la Genèse aux Conciles
A Turizm Yayınları, İstanbul, 2010
Une histoire tout à fait surprenante qui fait appel aux mystères originels de la Création et aux mythes de la Destruction. L’Α et l’Ω en somme.
Je suis l’alpha et l’oméga, dit le Seigneur Dieu, celui qui est, qui était, et qui vient, le Tout Puissant.
Εγώ ειμι το Αλφα και το Ωμεγα, λέγει κύριος ο θεός, ο ων και ο ην και ο ερχόμενος, ο παντοκράτωρ.
Image d’en-tête : Rencontre de la procession des dieux menés par le Dieu de l’Orage du Hatti/Teshub (à gauche) et la procession des déesses menées par la Déesse-Soleil d’Arinna/Hebat (à droite). Dessin d’un bas-relief de la Chambre A de Yazılıkaya par Charles Texier.
Le mythe du Déluge tel qu’on le connait traditionnellement dans les écrits prend très certainement racine dans l’épopée de Gilgamesh, tandis que tardivement dans notre histoire relativement récente une brèche s’est ouverte dans le détroit du Bosphore qui fut à l’origine de la création de la Mer Noire. Si pour les Juifs et les Chrétiens il ne fait aucun doute que l’Arche de Noé s’est échouée sur les hauteurs du Mont Ararat (Ağrı Dağı), un volcan éteint en réalité formé de deux sommets (le grand Ararat — Büyük Ağrı — et le petit Ararat — Küçük Ağrı) dont la situation isolée au milieu d’une vaste plaine ne pouvait que faire de cette montagne un lieu prédestiné à de grands desseins, il n’est fait mention nulle part dans le Coran du nom de la montagne qui se limite à Al judi (جبل جودي Jebel Ǧūdī — les hauteurs) qu’on situe dans le sud de la Turquie (Jazirat ibn Oumar, l’actuelle Cizre).
Arche de Noé — Manuscrit peint — fin XVIè — Zübdetü’t Tevarih — Musée des arts turcs et islamiques d’Istanbul
La particularité de la forme de cette montagne pourrait laisser imaginer quelque chose comme une forme de bateau, en ayant beaucoup d’imagination et de soi disant fouilles archéologiques auraient mis à jour la présence d’un immense bateau enchâssé au creux de cette montagne, dont la présence se manifeste par des éléments comme des « planches », des « rivets », une « ancre »…, de la même manière, des découvertes récentes sur le Mont Ararat « auraient mis à jour » les restes de l’embarcation du patriarche. Des interprétations un peu farfelues qui ne remettent bien évidemment pas en cause cette belle histoire à peine exagérée.
Certains font appel à des fouilles et à des sources un peu plus sérieuses…
La localisation, la forme et la taille de l’Arche semblent avoir préoccupé les hommes depuis la nuit des temps. Le « bois résineux » (GN 6:14) à partir duquel est fabriqué l’Arche n’est pas mentionné ailleurs dans la Bible, et nous ne savons pas exactement à quoi il correspond. Les spécialistes l’ont souvent interprété comme étant du roseau qui, enduit de « bitume en dedans et en dehors » devenait étanche. Cette matière aurait été retrouvée sous forme fossile sur le Mont Ararat. […] Certains auteurs de l’Antiquité, tel l’historien juif du Ier siècle de notre ère Flavius Joseph, prétendent que ceux qui escaladaient la montagne en rapportaient des restes de bitume de l’Arche qu’ils utilisaient comme amulettes.
Fatih Cimok, Anatolie biblique, de la Genèse aux Conciles
A Turizm Yayınları, İstanbul, 2010
La légende du Déluge est recensée sous plus de 500 formes différentes, dont une connue sous le nom de déluge de Deucalion, popularisé par Ovide dans les Métamorphoses. Un peu moins connu, le déluge d’Apamée (Dinar) trouve une origine un peu plus locale et adaptée. Quelques uns de ces mythes donnent une version dans laquelle l’eau ne vient pas du ciel mais de la terre, par des inondations souterraines remontant à la surface. Ce phénomène géologique est endémique des régions volcaniques qui font émerger des lacs souterrains lors de séismes, nombreux dans cette région d’Anatolie. A noter que le mythe de Deucalion donna son nom à la ville anatolienne de Konya (où se trouve enterré le Mevlâna Djalâl ad-Dîn Rûmî) ; il y est question d’images de boue avec lesquelles Promethée et Athéna repeuplent la terre. Image en grec, c’est eikon (εικόν), qui donne son nom à l’icône. Ikonion n’est ni plus ni moins que l’ancien nom grec de Konya.
Au lever, je n’espère qu’une seule chose, me remettre les pieds sous la table pour profiter de ce petit déjeuner de prince, où l’on me propose du menemen et de l’omlet (comme ça se prononce). Tandis que je suis en train de bâfrer, je fais la connaissance d’Abdullah, le patron de l’hôtel. Il se présente ; Abdullah Şen ; c’est un grand bonhomme portant bésicles rondes, barbe de trois jours et cheveux poivre et sel. Son port et sa façon de s’habiller trahissent le bon vivant, une bonne culture et un certain niveau de vie. J’apprendrai par la suite qu’Abdullah est pharmacien et qu’il dirige une liste électorale conservatrice laïque dans la ville d’Üçhisar. Au début, ses manières sont volubiles, il parle fort et fait de grands gestes, ne manie que quelques mots d’anglais et a l’intelligence de m’apprendre quelques mots turcs puisqu’il voit que je saisis bien. Dès le soir, lorsque je retourne à l’hôtel, il me demande Nasılsın ? A quoi je réponds Iyiyim et à quoi je finirai par répondre à la fin du voyage Çok iyiyim. Je vois qu’il apprécie et je compte sur lui pour apprendre quelques mots. Je dois avouer qu’au début, je pensais qu’Abdullah était un patron, un commercial, mais je me suis vite aperçu qu’il avait simplement le goût du service rendu et que sa gentillesse avait un goût nature. Plusieurs fois je l’ai vu dans la journée assis avec ses employés devant la maison, sous la tonnelle de vigne, en train de prendre du bon temps avec eux, de deviser simplement comme on le fait dans ces pays où le temps n’a pas la même saveur. C’est ainsi que je me retrouverai aussi assis avec lui en train de manger des fruits dont il m’apprend le nom en turc, abricots du jardin (kayısı), noisettes (fındık), raisin (üzüm). Jamais je n’ai quitté l’hôtel sans qu’il me donne une ou deux petites bouteilles d’eau. Je me rends compte que je n’ai même pas pensé à prendre en photo les gens l’hôtel, ni Abdullah, ni Bukem, ni Fatoş…
Le matin, je retourne à Göreme pour terminer la visite du musée en plein-air. Il se trouve qu’à la sortie du musée se trouve une dernière église, pour laquelle mon billet fonctionne encore et qui, paraît-il, vaut le coup d’œil. C’est la Tokalı Kilise, l’église à la boucle, la plus grande de Göreme. Malheureusement (ou heureusement), elle est en pleine restauration et des quatre pièces et de la crypte, je ne pourrais voir que les parties les moins intéressantes. La voûte couleur lapis-lazuli est presque entièrement invisible, mais ce que je vois est réellement impressionnant. La hauteur de cette voûte déjà, passablement plus haute que les autres, en font une église dont les dimensions se rapprochent plus de bâtiments extérieurs, et les couleurs, éclatantes, des bleus puissants, des verts profonds, des rouges sanguins. Il y aussi ces colonnes puissantes et hautes qu’on ne voit nulle part ailleurs. C’est un endroit à mi-chemin entre la beauté d’une église traditionnelle et le mystère d’une tombe égyptienne…
Je file ensuite vers le nord, vers la petite ville de Çavuşin, que je ne fais que frôler puisque je m’arrête sur le parking de l’église de Nicéphore Phocas, à deux pas de la route entre Göreme et Avanos. Nicéphore II Phocas (Νικηφόρος Β΄ Φωκᾶς) est un général byzantin, né en 912 et mort en 969, qui finira empereur de Byzance. Homme valeureux, on l’adulera surtout pour avoir repoussé à maintes reprises les Arabes dont les coups de boutoir pour conquérir cette partie de l’Anatolie furent mis à mal par sa ténacité. C’est en partie dans cette atmosphère que les Chrétiens se sont terrés dans les vallées et les habitations troglodytiques de la Cappadoce.
L’église de Nicéphore Phocas est construite à flanc de falaise et fait partie d’un ensemble plus grand comprenant un monastère et un réfectoire qu’on peut encore visiter aujourd’hui. Dans cette superbe église qu’on ne peut photographier (j’ai toujours un peu de mal à comprendre comment on arrive à retrouver sur internet des photos de lieu qu’il est interdit de photographier, surtout quand trois gardes-chiourmes moustachus vous regardent d’un air méfiant), les dimensions et le programme iconographique sont comparables à ce qu’on trouve dans la Tokalı Kilise, même si l’architecture en est moins impressionnante. Les couleurs à dominantes vertes sont un peu endommagées, mais on peut lire encore ses fresques, où l’on peut voir le portrait de l’empereur Phocas mais aussi les portraits de l’empereur Constantin et d’Hélène tenant la Vraie Croix.
Ce qu’on peut voir à l’entrée de l’église, c’est le reste d’une partie de cette même église qui s’est effondrée avec la falaise. C’est malheureusement le sort qui attend l’ensemble des églises de cette région si rien n’est fait à grande échelle. Si les couleurs sont encore si vives, c’est parce que l’effondrement n’est pas si ancien que ça. Il reste toutefois une grande partie du monastère, dans lequel on peut monter et avoir une belle vue d’ensemble de la vallée. De l’extérieur, on peut admirer les motifs d’ocre rouge ou terre de sienne des ouvertures. A mi-chemin entre l’époque chrétienne et la période musulmane, on ne sait plus vraiment où se situent les motifs, car certains ont été dessinés par ceux qui transformèrent ces églises en pigeonniers, ou parfois en ruches.
Je fais le tour de ce piton rocher pour aller voir les cheminées de fée qu’on aperçoit depuis la route. Le paysage est envoûtant, solitaire, poussiéreux. J’aime la chaleur douce qui se dégage de ces paysages qui passent une partie de l’année ensevelis sous la neige.
Je reprends la route sans passer dans le village de Çavuşin (qui ne prononce tchavouchine) et je file vers Avanos. La ville d’Avanos a l’air assez grande sur la carte, mais ce n’est en réalité qu’un gros village, une ville moderne construite au pied d’un ancien village à flanc de colline, surplombant le cours majestueux du fleuve nourricier, le Kızılırmak (keuzeuleurmak, littéralement : rivière rouge) dont le nom trahit le fait qu’il charrie des tonnes de terre d’un rouge profond, que les potiers de la région exploitent directement pour leur production. Trop peu profond, il n’est pas navigable, mais c’est le plus long fleuve de Turquie, avec ses 1150km. J’ai mis un peu de temps à comprendre qu’en turc, il y avait deux mots pour décrire la couleur rouge ; Kızıl et Kırmızı, et j’avoue que la différence n’est pas évidente à percevoir. Kızıl évoque ce qui est rouge par référence : le fleuve rouge, la mer rouge, l’armée rouge, les brigades rouges. Kırmızı évoque ce qui est rouge par nature : un oiseau rouge, une peau rouge, un poisson rouge.
Le plus gros de la ville s’étend au sud de la rivière, dans d’immenses zones pavillonnaires très “classes moyennes” tandis que le centre est beaucoup plus authentique et traditionaliste. Autant dire que si les touristes s’arrêtent ici pour apprécier les poteries d’inspiration hittite et les kilim, peu d’entre eux en profitent pour prendre un repas. Lorsque je reviendrai un soir dîner ici, ce sera un peu compliqué et cocasse. La mosquée de la ville est toute récente, avec son toit de plomb tout neuf et brillant sous le soleil haut. Sur la place principale du village (je persiste) s’égrènent les échoppes des potiers et des barbiers. Je gare la voiture ici, au milieu de la place. J’ai cru remarquer qu’il fallait payer le stationnement mais je ne vois personne. Je remarque qu’un type assis devant le magasin de kilims en siffle un autre, qui lui-même en appelle un autre et arrivant à suivre la scène, je comprends que celui à qui je dois payer est celui qui s’avance vers moi.
Je monte jusque dans le vieux pays où l’on peut apprécier les poteries de Mehmet Körükçü dans sa petite échoppe humide. Mehmet est un homme délicieux qui parle quelques mots de français et adore raconter ce qu’il fait. Ce que je ne sais pas encore, c’est que Mehmet, parce que je suis revenu le voir au mois de mai suivant, deviendra un ami avec qui j’ai passé beaucoup de temps et grâce à qui j’ai pu connaître d’autres personnes à Istanbul, avec qui je suis encore en contact aujourd’hui. Mehmet fait visiter son atelier, explique qu’il va chercher lui-même sa terre avec son tracteur sur les hauteurs d’Avanos, qu’il la fait sécher dans son atelier, qu’il la boudine tout seul et qu’il la fait cuire ici même, plusieurs fois par an. Il offre le thé, pose beaucoup de questions, remonte ses lunettes, sourit de toutes ses dents du bonheur, me regarde en me souriant, avec ses yeux en amande qui trahissent ses origines d’Asie Centrale. Mehmet est un descendant de guerrier turco-mongol, ça se voit sur sa figure, ce n’est pas un Anatolien, il parle un français haché, prend le temps d’expliquer comment on tourne ; je le prends en photo, nous rigolons tous les deux, il me parle de son frère à Istanbul, Emin, de sa vie ici, me présente son fils Oğuz (prononcer o‑ouz) qui travaille avec lui quand il n’est pas au lycée, qui découpe des photophores pour en faire de belles dentelles de terre. Je reste longtemps avec lui, le temps que plusieurs personnes passent, le temps de plusieurs verres de thé qu’il fait chauffer sur une plaque électrique. Il se passe quelque chose entre nous et je lui promets de revenir le voir avant de repartir, et dès que je reviendrai dans les parages.
Ne sachant pas vraiment où je vais, je prends la route vers l’est, n’ayant pas vraiment de but. J’enquille la D300 qui est censée se diriger vers Kayseri, et je tombe sur un grand bâtiment austère dont je reconnais immédiatement le style seldjoukide. Un bâtiment de pierre jaune dans un décor de sable jaune. Les Selçuklu viennent du Turkestan et ont colonisé la Cappadoce jusqu’à Konya. Je m’arrête pour étudier les lignes pures des octaèdres qui composent les tours d’angles ainsi que la tour centrale. Ce bâtiment est un des derniers caravansérails (kervan saray, litt. palais des caravanes) de la région, et même si l’on voit qu’il a été restauré récemment, il conserve toute sa superbe. La couleur de sa pierre lui a donné son nom qui du coup sonne comme un pléonasme. Sarı han, c’est le caravansérail jaune, han étant le nom qu’on donne aux cours intérieures qu’on peut trouver partout dans les vieux quartiers d’Istanbul, qu’on peut traduire par auberge, car généralement les commerçants itinérants pouvaient s’y restaurer et y dormir. Par extension, le han est devenu caravansérail. Sur ses murs, d’énormes lézards se réchauffent au soleil, tandis qu’un gros chien à l’oreille étiquetée comme celle d’une vache tente de trouver de l’ombre au pied de la muraille. Certains de ces lézards ont la peau lardée de piquants, d’autres ont une queue verte démesurée ; sur les murs dansent des dizaines de ces bestioles qui détalent dès que j’en approche. Dans ce caravansérail, on peut voir aujourd’hui la sema, la cérémonie des derviches tourneurs. Je me suis juré que je retournerai ici un jour pour voir ce spectacle.
La route continue vers Kayseri, mais je fais demi-tour pour retourner sur Avanos et j’enquille une route qui descend retourne vers le sud, passe par un lieu-dit, une ancienne ville portait le nom évocateur d’Aktepe (litt. la colline blanche). C’est un immense plateau où le soleil se réfléchit, dans une lumière qui fait plisser les yeux et qui se poursuit par une vallée (Devrent vadisi) assez étrange, faite de pics et de cheminées de fée allant de l’ocre au blanc, en passant par le rose, le violet et le vert, à perte de vue. Ici aussi un jour je reviendrai regarder le soleil se coucher sur cette Cappadoce sauvage. J’imagine aussi qu’il serait indispensable de revenir ici en plein hiver, sous une neige épaisse et duveteuse.
J’arrive ensuite à Ürgüp, pour le coup est une ville énorme comparée à Avanos. En réalité, elle n’est pas tellement plus étendue, mais plus connue, et c’est un centre touristique important (pour les Turcs surtout), une grande ville commerçante, où on ne peut voir que quelques habitations troglodytes, mais pas complètement dénuée de charme. Il y fait bon passer en tout cas. Le temps de m’arrêter cinq minutes pour me ravitailler au supermarché, quelques conneries, des tranches de pastırma et des pistaches, et me voilà déjà reparti pour rejoindre Mustafapaşa.
Cette petite ville, l’ancienne Sinasos, un village pour le coup, porte un nom qui ne laisse pas songer que jusqu’aux échanges de population entre la Grèce et la Turquie (en 1924) voulus par Atatürk, que la ville était presque intégralement habitée par des Grecs orthodoxes.
Sur la place du village, on trouve une église basse, construite en contrebas de la route, une église portant le patronyme de Constantin et Hélène (Ayos Konstantin ve Helena Kilisesi), ornée de feuilles de vignes et de symboles paléochrétiens.
Une route monte dans un recoin de la ville après une sorte de portail de pierre constitué de trois arches, de part et d’autre de laquelle se dressent des habitations, pour nombre d’entre elles désertées, comme si quelque chose avait fait fuir les gens qui vivaient là, il y a longtemps apparemment. Beaucoup s’écroulent, d’autres ont leur ouvertures murées par de gros blocs mal dégrossis. La route semble s’enfoncer dans la campagne, parmi les champs, mais un panneau attire mon attention, indiquant en anglais trois églises (Sinassos, St Nicholas, St Stefanos), dont le nom me laisse croire en de nouveaux trésors cachés, à l’abri des regards. La journée est bien avancée et tout est déjà fermé, mais si j’en crois mon guide touristique, seule une d’entre elles est ouverte et gardée en temps normal. Pour aller voir les autres, il faut en demander la clef au propriétaire.
Avant d’aller voir le monastère Saint Nicolas qui s’étend derrière un enclos où l’entrée est signalée par une inscription en grec, je profite du soleil bas pour admirer le paysage de tuf qui prend des teintes violacées, presque roses, sous un manteau de terre jaune d’ocre virant en quelques endroits à un vert fadasse ; des couleurs qu’on croit d’ordinaire impossible pour la terre. L’ondulation créée par la pluie fait penser à des animaux, peut-être des chameaux, dont les bosses seraient enchevêtrées, et donne aux lieux un je-ne-sais-quoi d’organique.
Le monastère Saint Nicolas est construit autour d’un grand cône à l’intérieur duquel se trouve l’église, fermée en cette heure tardive. Flanquée d’un fronton récent, où alors récemment restauré, l’enclos est fermé par un bâtiment qu’on pourrait penser être les salles conventuelles des moines ; le sol est jonché de tombes faites de dalles plates à la tête desquelles poussent un rameau de plantes maigrichonnes au feuillage tirant vers le pourpre. Je ne verrai pas plus aujourd’hui de ce monument qui me semble récent et qui trahit la présence grecque jusqu’à il y a peu.
A l’entrée de la vallée, l’église de Saint Stefanos. Toute petite, fermée par une grille, on ne discerne dans le cône de tuf dans lequel elle est dissimulée que son arcade principale et le dôme décrépi, les parois encore blanches recouvertes des graffitis de ceux qui sont passés par là.
Le paysage tout autour est splendide et on a du mal à croire qu’il peut y avoir du monde qui vient jusqu’ici admirer ces petites églises retranchées. D’autant que le chemin ne mène nulle part et se perd dans les circonvolutions qu’on pourrait croire creusées par une rivière depuis longtemps asséchée. Un âne brait tout seul, attaché à une corde courte autour d’un arbre, une grosse bourre de poils lui pendant sous le ventre.
Les maisons sur les flancs de la vallée, toutes désertées, sont perchées de manière improbable dans un triste fatras de tous percés dans la pierre et de murs montés à la va-vite. On a du mal à imaginer des gens vivant ici, dans ces habitations ouvertes aux quatre vents dans ces régions montagneuses où les hivers peuvent se montrer rigoureux et souvent enneigés. Partout dans la ville, ces motifs d’ornements accrochés aux linteaux, sous les fenêtres, des formes de coquilles qui font parfois penser à un ersatz d’art islamique, mais qui vient en réalité en droite ligne de l’héritage grec.
Je m’arrête quelques instants dans la ville pour acheter deux très belles nappes en tissus épais, une rouge et une bleue, nappe ou jeté de canapé, c’est du pareil au même. Le vieil homme qui tient la boutique a la même tête que son fils, pas franchement turque… Le fils me dit que son père s’appelle Cavit (djavit), et que c’est la transcription turque de David, un prénom qui ne sonne pas foncièrement musulman…
La lumière décroit et je sais que dans ces régions de montagne le soleil tombe brusquement, la nuit encore plus et je suis loin de mon point d’attache, alors je reprends un peu à contre-cœur la route. Je remonte sur Ürgüp, seule route que je connais pour revenir sur mes pas, et par un heureux hasard, je tombe sur un panneau que je n’ai pas vu dans l’autre sens, pour la simple et bonne raison qu’il n’y en a pas quand on vient d’Ürgüp. Un simple panneau indique Pancarlık Kilisesi. J’avoue être intrigué par ce nom dont je sais qu’il signifie betterave. Il fait encore un peu jour, alors j’y vais. Un je-ne-sais-quoi de frisson me parcourt l’épaule, quelque chose qui ne pourrait me faire reculer pour rien au monde et qui me pousse en avant. Un vent terrible souffle dans cette vallée. Je tombe sur un autre panneau, au pied d’une grosse protubérance de tuf, portant le nom de Sarıca. Un petit parking en contrebas, un chemin qui parcourt l’épine dorsale sur un chemin de revêtement qu’on sent récent et je tombe devant l’entrée d’une église (fermée bien évidemment) mais dont je pressent qu’on a tout fait pour la maintenir en bon état. Un coup de lumière à l’intérieur me révèle sur un sol propre et nivelé, de très jolies couleurs, des rouges sang appliqués sur les murs sous forme de motifs ornant des arcades nettes et des chapiteaux finement travaillés. Un panneau annonce que la Sarıca kilise a été récemment rénovée, un revêtement imperméable protégeant le cône sous lequel elle se trouve des infiltrations qui pourraient continuer à ravager l’église.
En contrebas, un champ noirci. Quelque chose a brûlé ici, sous l’effet d’une volonté ou par la grâce de la sécheresse. Au bout de quelques minutes je m’aperçois que les deux proéminences face à moi ne sont pas que de simple cônes de tuf, mais ce sont encore des églises, creusées, dont on peut voir les colonnes et les arcades ouvertes, lieux de culte éventrés par le vent, ravagés par le temps, c’est Byzance à ciel ouvert. Je prends un malin plaisir à m’imprégner du lieu sous une lumière rosée, un chape de charbon à l’horizon décorée d’une guirlande de festons oscillant entre le rose et le jaune dans une cotonnade de nuages moelleux, couvrant le paysage d’une onde rougeoyante tandis que le vent souffle de plus belle et finit par faire mal aux oreilles. Au loin, un champ brûle. Politique de la terre brûlée ? Je n’arrive pas à savoir si c’est une pratique courante ici où si quelque chose déclenche ces incendies sur ces terres poussiéreuses et sèches.
Je visite les deux petites églises, dramatiquement érodée par l’eau qui est venue dans les moindres interstices, ronger les parois et les polychromies laissées au vent ; autant dire qu’elles n’en ont plus pour longtemps. C’est à la fois le drame et la belle particularité de ces églises… A l’abri de la lumière, les couleurs ont gardé tout leur mordant et leur fraîcheur, mais la roche qui permet ceci est aussi friable et instable qu’elle accroche parfaitement le pigment. Dans quelques années, l’eau aura tout rongé, et à part quelques pièces dignes d’intérêt, elles ne seront pas protégées et laissées dans cet état jusqu’à ce qu’elles finissent dissoutes comme un cachet d’aspirine dans un verre d’eau…
Je reprends la voiture et je continue mon chemin un peu plus loin. je vois des panneaux indiquant d’autres églises : Kepez, Karakuş… que je ne visiterai pas. Je descends vers le lieu que pointait le panneau à l’entrée de la vallée, Pancarlık. L’église aux betteraves est fermée à cette heure-ci, il faudra que je revienne un autre jour pour la voir. Je m’extasie sur la petite cabane qui se trouve à l’entrée et qui doit abriter le gardien pour ses journées de visite. Un lieu charmant. Un petit canapé devant une table, le tout orienté vers le monastère dépendant de l’église, sous un auvent de fortune, un porte cartes postales où se débattent au vent une dizaine de cartes différentes, aux couleurs passés, laissées là. Derrière, une cabane d’où dépasse un tuyau de poêle, des bonbonnes d’eau, un petit panneau cloué sur la poutre indique le prix de l’entrée : 4.00 TL, très précisément. A côté du canapé, une pelle qui a servi à faire un tas de déchets, une âtre creusée dans la pierre porte une grille sous laquelle des paquets de cigarettes vides serviront à amorcer le feu pour préparer le thé dans la théière qui, elle, attend sagement sur la grille. J’aime ces lieux vivants qui racontent la vie d’une journée, même lorsque les occupants ont tout laissé là et s’en sont allés chez eux, comptant sur la bienveillance des visiteurs éventuels pour ne rien vandaliser. J’aime ces lieux qu’on peut traduire en gestes du quotidien.
Il est tard à présent, les lumières des villes alentours commencent à poindre dans la solitude de cette vallée isolée. Je prends une photo de la voiture dans ce paysage de rêve, qui achève cette journée fabuleuse, pleine de surprises et de rebondissements, des journées comme j’aimerais en vivre des centaines par an, des journées qui remplissent l’âme.
Je finis ma journée au Fırın Express à Göreme, d’un adana kebap (le plus épicé de tous) et d’un jus de cerise (vişne suyu). J’ai remarqué que certaines personnes qui vivent ici ne disent pas gueurémé, mais gueurèm. Peut-être l’influence du français, seconde langue maternelle de la Cappadoce.
Ce soir, je me couche tôt, car demain, je me lève à 4h00…
Pancarlık et Sarıca (l’emplacement n’est pas tout à fait exact, j’ai déjà eu du mal à retrouver le lieu sur place une deuxième fois, alors sur une carte satellite, hein…)
J’ai décidé de partager ici ma discothèque turque. Bien évidemment, on y trouvera peu de choses modernes, mais il y a aura tout de même des surprises et c’est avec Kudsi Ergüner que j’ai décidé de commencer ce tour d’horizon. Kudsi Ergüner est un des meilleurs spécialistes du ney, ce curieux instrument taillé dans un roseau et dont on joue de manière oblique, en soufflant en biseau dans son col évasé. Né à Diyarbakır dans la Turquie kurde, il est désormais installé en France et ne cesse de faire découvrir cet instrument qui est l’instrument par essence de la Sema, la très célèbre cérémonie de l’ordre Mevlevi dans laquelle on voit tourner les non moins célèbres derviches. Le ney est joué ici beaucoup plus sereinement que dans ces cérémonies, dans une attitude méditative qui ne peut qu’apporter un certain bien-être. A écouter les yeux fermés, de préférence en buvant un thé noir bien fort dans un verre tulipe…
[audio:sinan.xol]
Sinan (Dans Le Makam Huzzam) par Kudsi Ergüner
Ney, la flûte sacrée des derviches tourneurs (1995)