Café bleu et blanc #8

Café bleu et blanc #8

Café du matin

#8

Café bleu et blanc

Ambiance élec­trique, fié­vreuse, sous un ciel char­gé d’hu­mi­di­té froide qui n’ar­rête pas de se déver­ser en fines couches, les yeux grands ouverts, l’o­deur gla­cée de la pluie sur le bitume d’une ville frai­che­ment sor­tie de terre, là où avant ne se trou­vaient que des entre­pôts d’u­sines mortes depuis une bonne décennie.

Il pleut, il fait froid, le Nebras­ka ne te lais­se­ra jamais ren­trer chez toi. J’ai la tête en feu, le cœur au chaud.

Grillades de pois­sons médi­ter­ra­néens, rou­gets, sar­dines, poulpe, espa­don, le liban qui me rap­pelle la Tur­quie, شُرْبَة et tagine, le tout enve­lop­pé par le chant d’un joueur de oud qui frappe dans ses mains. Lumières bleu­tées, pein­ture blanche aveu­glante, comme un air d’île per­due dans la mer.

Je t’ai pro­mis une chambre d’hô­tel avec vue sur la mer à Sidi Bou Saïd…

Le soleil est cou­ché depuis quelques heures, j’ai man­gé quelques dattes four­rées au beurre, sau­pou­drées d’a­mandes et de pis­taches. Le rire, les sou­rires, les pho­tos pour immor­ta­li­ser ce moment… je suis là avec toi et je suis déjà par­ti dans cette vie étrange qui est la mienne, qui ne sait pas où elle va, faite de miau­le­ments de chats et de livres qui s’en­tassent à côté de mon lit, qui oscille, qui tangue à chaque minute. Il ne tient qu’à moi de la faire bas­cu­ler du bon côté…

Tes longs doigts, une main douce, glisse sous la table et me caresse la cuisse, loin d’être innocente.

Pro­mis, je ne dirai rien à personne…

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Car­thage d’Han­ni­bal et de Saint-Louis par Daniel Rondeau

Car­thage d’Han­ni­bal et de Saint-Louis par Daniel Rondeau

Daniel Ron­deau, dont je par­le­rai plu­sieurs fois ici puis­qu’il a pro­duit une série de livres sur les grandes cités de la Médi­ter­ra­née (Tan­ger, Alexan­drie, Istan­bul, Malte), s’est per­du sur les rives de l’an­tique cité punique détruite par les Romains. L’his­toire de Car­thage (Qart Hada­sht) est d’une com­plexi­té rare, depuis sa fon­da­tion par la mythique Elis­sa, plus connue sous le nom de Didon, la Phé­ni­cienne jus­qu’à son effa­ce­ment de la carte par les armées du césar Sci­pion Emi­lien le Second Afri­cain. Entre ces deux évé­ne­ments fon­da­teurs, un homme se ren­dit célèbre entre autre pour avoir tra­ver­sé les Alpes avec ses élé­phants afri­cains et avoir eu l’ou­tre­cui­dance de mar­cher sur Rome dans l’es­poir de la prendre ; Han­ni­bal Bar­ca. C’est de cette grande figure dont Ron­deau fait un des points cen­traux de son livre :

Hannibal traverse le Rhône - Henri Motte -1878

Quelques ins­tants plus tard, quand l’his­to­rien me quitte pour rejoindre Tunis, je reste seul devant ce pay­sage, qui baigne dans une brume de bleu et d’or, et j’en pro­fite pour ras­sem­bler mes notes de la jour­née. Mes deux voi­sins conti­nuent à se par­ler, les yeux dans les yeux. Dans leurs phrases revient à plu­sieurs reprises le nom d’Han­ni­bal. Han­ni­bal fut l’homme le plus glo­rieux d’une cité dis­pa­rue. Nous ne connais­sons pas son visage, les his­to­riens l’ont négli­gé (Plu­tarque ne l’a pas consi­dé­ré comme un homme illustre) ou cari­ca­tu­ré (Tite-Live et ses épi­gones se sont foca­li­sés sur sa cruau­té, sur le soi-disant can­ni­ba­lisme des troupes catha­gi­noises, sur la mau­vaise fois punique). Les aven­tu­riers de l’ar­chéo­lo­gie n’ont jamais retrou­vé ses cendres. Au pre­mier siècle de notre ère, Pline l’An­cien évoque sim­ple­ment l’exis­tence d’un tumu­lus cen­sé abri­ter son tom­beau. Il suf­fit pour­tant de le nom­mer pour son ombre se lève.

Autre figure mythique pas­sée sur les terres tuni­siennes de l’his­toire alors que celle-ci était deve­nue terre d’is­lam, Saint Louis, dont la pré­sence à Car­thage est entou­rée d’un voile de mys­tères et de contes dont on ne sait plus où la fic­tion déborde sur la réa­li­té his­to­rique, mais après tout, peu importe, il n’en reste pas moins de belles histoires.

Rue principale de Sidi Bou Said avant la foule !

Pho­to © Romain Cloff

— Ça tombe bien, je suis une des­cen­dante de Sidi Bou Saïd. Tu connais la véri­té sur Saint Louis ? Tu sais ce qu’il s’est réel­le­ment pas­sé ? Ton roi était à Car­thage, à deux kilo­mètres d’i­ci, et Sidi Bou Saïd était dans sa mai­son, là où tu es. Saint Louis vou­lait tous nous tuer, comme musul­mans, et il vou­lait tuer notre mara­bout dans le dos. Sidi Bou Saïd lui a fait prendre conscience de ses péchés et, fina­le­ment, San­lu­wis a rejoint l’is­lam. Si tu veux en savoir plus, reviens demain, ce soir j’ai des invi­tés, il faut que je pré­pare le repas.
— Je vou­drais sim­ple­ment jeter un œil sur le tombeau.
Elle ouvre les portes du sanc­tuaire sans m’au­to­ri­ser à y péné­trer, puis rejoint sa cui­sine en cou­rant. Le len­de­main, je repasse, mais elle s’est absen­tée. Plu­sieurs per­sonnes m’ont signa­lé l’exis­tence d’une fleur de lys sur la porte du tom­beau du saint. D’a­près eux, cet emblème royal incrus­té dans la pierre du sanc­tuaire musul­man prouve que la légende ne ment pas. Je la cherche tout autour de la mos­quée, en vain.

Un livre par­cou­ru de légendes, d’am­biances, bai­gné de lumières médi­ter­ra­néennes dans le bleu clair des pein­tures des villes per­chées et le blanc des murs chau­lés, et tra­ver­sé de ques­tions sans cesse en suspens…

Daniel Ron­deau, Car­thage
Folio Gal­li­mard pour NiL Edi­tions, 2008

Ceci était mon six-cen­tième billet sur ce blog.

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