Le 8ème Jebt­sun­dam­ba Khu­tuk­tu, Bog­do Khan et Boud­dha vivant

Le 8ème Jebt­sun­dam­ba Khu­tuk­tu, Bog­do Khan et Boud­dha vivant

Son nom de céré­mo­nie mon­gole est, en toute sim­pli­ci­té, Agvaan­luv­san­choy­jin­dan­zan­vaan­chig­bal­sam­buu. Né en 1870 et mort en 1924, il est le hui­tième et der­nier Jebt­sun­dam­ba Khu­tuk­tu à avoir régné et à avoir por­té le titre de Bog­do Khan (Bogd Jiv­zun­dam­ba Agvaan­luv­san­choi­ji­nyam­dan­zan­van­chüg), c’est-à-dire la troi­sième per­sonne la plus impor­tante du boud­dhisme tibé­tain, après le Dalaï et le Pan­chen. Le der­nier Jebt­sun­dam­ba, Jam­pal Nam­dol Cho­kye Gyalt­sen, iden­ti­fié à l’âge de 4 ans, est né à Lhas­sa. En 1959, il s’est enfui à Dha­ram­sa­la où il a vécu en exil jus­qu’à sa mort en 2012. Le der­nier Boud­dha vivant est mort il y a 3 ans…

Le 9ème Jebtsundamba Khutuktu : Jetsun Dhampa Dorjee Chang Jampel Namdrol Choekyi Gyaltsen

Le 9ème Jebt­sun­dam­ba Khu­tuk­tu : Jet­sun Dham­pa Dor­jee Chang Jam­pel Nam­drol Choe­kyi Gyaltsen

Celui qui ten­ta de le remettre sur son trône, c’est le baron Roman Fio­do­ro­vitch von Ungern-Stern­berg, plus connu sous son petit nom de « baron fou », dont j’ai déjà racon­té les aven­tures sur ce blog au tra­vers du livre écrit par le géo­logue Fer­dy­nand Ossen­dows­ki. Ce seront fina­le­ment les tibé­tains com­mu­nistes qui gar­dèrent le 8ème Jebt­sun­dam­ba Khu­tuk­tu comme chef de leur gou­ver­ne­ment jus­qu’à sa mort en 1924. Par la suite, ils décré­tèrent à la fon­da­tion de la Répu­blique popu­laire mon­gole, qu’il n’y aurait plus d’autre réin­car­na­tion. Fin de l’his­toire signée par décret. Ce per­son­nage impor­tant pour les boud­dhistes tibé­tains porte éga­le­ment le titre de Boud­dha vivant.

Jebtsundamba Khutuktu

Le 8ème Jebt­sun­dam­ba Khu­tuk­tu et sa famille

Voi­ci l’é­trange légende que rap­porte Fer­dy­nand Ossen­dows­ki à son pro­pos, puis­qu’il a fait par­tie des rares per­son­nages à avoir pu le côtoyer :

Le Boud­dha vivant ne meurt pas. Son âme passe quelque fois dans celle d’un enfant qui naît le jour de sa mort, par­fois se trans­met chez un autre homme pen­dant la vie même du Boud­dha. Cette nou­velle demeure mor­telle de l’es­prit sacré de Boud­dha appa­raît presque tou­jours dans la your­ta de quelque famille pauvre thi­bé­taine ou mon­gole. Il y a à ceci une rai­son poli­tique. Si le Boud­dha fai­sait son appa­ri­tion dans une riche famille prin­cière, le risque serait grand que, hono­rée de la sorte, cette famille refuse d’o­béir au cler­gé, comme cela s’est déjà pro­duit par le pas­sé. Au contraire, une famille pauvre et incon­nue qui hérite du trône de Gen­gis Khan, et acquiert de ce fait une incom­men­su­rable richesse, se sou­met tou­jours volon­tiers aux lamas. Seuls trois ou quatre Boud­dhas vivants furent d’o­ri­gine pure­ment mon­gole ; les autres étaient thibétains.

Fer­dy­nand Ossen­dows­ki, Bêtes, hommes et dieux
A tra­vers la Mon­go­lie inter­dite, 1920–1921
Edi­tions Phe­bus Libretto

Pho­to d’en-tête © Jona­than E. Shaw (Palais d’hi­ver du Bog­do Khan à Ulaan­baa­tar, Mongolie)

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Du por­phyre des mon­tagnes de fumée, de Saint Poly­eucte et de l’his­toire secrète de Pro­cope de Césarée

Du por­phyre des mon­tagnes de fumée, de Saint Poly­eucte et de l’his­toire secrète de Pro­cope de Césarée

A peine refer­mé le livre de Ste­phen Green­blatt, Quat­tro­cen­to, j’ai déjà le nez dans autre chose. Fas­ci­né par l’his­toire de Pog­gio Brac­cio­li­ni qui a redé­cou­vert le manus­crit de Lucrèce, ce n’est pas pour autant que l’en­vie se fait res­sen­tir de lire le long poème épi­cu­rien du poète romain. Bien au contraire. Il faut se contraindre à ne pas se lais­ser dor­lo­ter par la faci­li­té du quo­ti­dien et ne pas arrê­ter le mou­ve­ment tant qu’il est encore pos­sible. S’ar­rê­ter c’est mou­rir. La nécrose de l’es­prit, et tout ce qui en découle ; l’ombre, les ténèbres, la mort de soi et des autres par voie de conséquences.

Sur mes éta­gères traî­nait un livre que j’a­vais ache­té uni­que­ment à cause de son titre : Dans l’ombre de Byzance. L’au­teur, un cer­tain William Dal­rymple, est un spé­cia­liste de l’Inde et du Pakis­tan, de l’his­toire colo­niale bri­tan­nique et fin connais­seur de l’his­toire des Chré­tiens d’O­rient. Évi­dem­ment, il n’en fal­lait pas plus pour je me plonge dans cette lec­ture, mais comme tout bon livre, il faut par­fois le lais­ser matu­rer sur son éta­gère, pour qu’il se boni­fie, qu’il prenne la pous­sière et un peu d’âge, et en même temps un peu d’âme. Inévi­ta­ble­ment, je fais des allers et retours entre les pages du livre, mon grand car­net rouge (Leucht­turm 1917 avec pages numé­ro­tées et index) et ma tablette, et je me laisse empor­ter dans une lecture/apprentissage qui peut durer des heures. Réveillé bien avant que mon réveil-matin ne m’ex­tirpe du som­meil, je suis déjà en boule sur mon cana­pé, lové entre les cous­sins et les plaids, assis en tailleur et le nez entre les pages et l’é­cran. Inter­net est peut-être un ins­tru­ment de mal­heur pour cer­tains et un immense fourre-tout nau­séa­bond en règle géné­rale, mais pour moi, depuis que j’y ai fait mes pre­miers pas en 1996, je n’ai ces­sé d’y trou­ver une source d’ins­pi­ra­tion et de connais­sances dans laquelle il faut savoir navi­guer pour ne pas se perdre et sur­tout, un puits sans fond dans l’i­ma­gi­naire de l’his­toire mondiale.
Le soleil s’est levé à l’ins­tant même où je me suis mis debout et que j’ai éti­ré mon corps un feu four­bu. Je suis res­té quelques ins­tants là à admi­rer l’astre bien­veillant sor­tir de son trou et me rem­plir de bon­heur… Pen­dant quelques minutes, je suis res­té ébloui par cette lumière aveu­glante, inca­pable de me diri­ger dans la mai­son, mais tel­le­ment heu­reux. Ça ne tient fina­le­ment pas à grand-chose.

Giovanni Battista Piranesi - Les antiquités romaines - Tome 3 planche XIX - Grande urne de porphyre avec son couvercle touvé dans le mausolée de Sainte Hélène et actuellement dans le cloître de Saint Jean de Latran

Gio­van­ni Bat­tis­ta Pira­ne­si — Les anti­qui­tés romaines — Tome 3 planche XIX — Grande urne de por­phyre avec son cou­vercle trou­vé dans le mau­so­lée de Sainte Hélène et autre­fois conser­vé dans le cloître de Saint Jean de Latran à Rome, ayant vrai­sem­bla­ble­ment conte­nu les restes de l’im­pé­ra­trice Constance

Et je trouve encore le moyen de décou­vrir de nou­velles choses sur Istan­bul, la ville-monde. Côté sombre et côté lumière. Cer­taines des pierres de Sainte-Sophie (Ἁγία Σοφία) pro­vien­draient des côtes atlan­tiques fran­çaises, d’autres du Mont Por­phyre (pas celui du Cana­da). J’ai un peu de mal à en retrou­ver trace dans les sillons du net, mais il sem­ble­rait qu’il soit là ques­tion du Gebel Dokhan ( جبل الدخان, mon­tagnes de fumée), un lieu iso­lé, unique au monde, dans lequel on trouve cette pierre rouge inimi­table et d’une qua­li­té exem­plaire telle qu’on l’ap­pelle Por­phyre Impé­rial. Le Gebel Dokhan est situé à quelques 140 kilo­mètres du Nil, en plein cœur du désert de l’Égypte orien­tale, à 1600 mètres au-des­sus du niveau de la mer. J’ap­prends éga­le­ment qu’en 2003, une expo­si­tion tem­po­raire dans les salles de Louvre met­tait le por­phyre à l’hon­neur. Le por­phyre est une pierre si noble qu’elle mérite qu’on s’y arrête quelques ins­tants et qu’on en lise l’en­trée dans le livre de Charles-Joseph Pan­ckoucke ; Ency­clo­pé­die métho­dique : Anti­qui­tés, Mytho­lo­gie, Diplo­ma­tique des Chartres et Chro­no­lo­gie. Et il ne faut pas oublier que le mot lui-même est issu du grec πορφύρα qui désigne la cou­leur pourpre, par essence cou­leur impériale.

Saint Polyeucte rescussité

Saint Poly­eucte ressuscité

On dit aus­si que Jus­ti­nien fit construire Sainte Sophie pour concur­ren­cer une des plus belles églises de Constan­ti­nople : Saint Poly­eucte (Poly­euk­tos). Il ne reste aujourd’­hui rien d’autre de cette église que des cha­pi­teaux épar­pillés dans un jar­din public et quelques arches dépas­sant du sol ser­vant de latrines publiques. On parle d’un bâti­ment car­ré de près de cin­quante mètres de côté et cer­tai­ne­ment d’un toit char­pen­té plu­tôt que d’une cou­pole et de cinq nefs en tout. Les fon­da­tions de cette splen­deur pas­sée ont été redé­cou­vert en 1964 au gré de fouilles archéo­lo­giques hasar­deuses (pho­tos de l’ex­ca­va­tion, article en turc) et on sait de sources sur­es que cer­tains de ses pilastres ont été rem­ployés dans la façade du por­tail sud de Saint-Marc de Venise. Ils sont connus sous le nom de Pilas­tri Acri­ta­ni (Pilastres d’Acre) qui viennent en réa­li­té de Constan­ti­nople, suite au sac de la ville par les Croi­sés en 1204. Aujourd’­hui, les quelques restes sont en train de retour­ner dou­ce­ment à la terre dans l’in­dif­fé­rence géné­rale qui tra­duit bien l’es­prit dans lequel le gou­ver­ne­ment actuel se trouve en matière d’ac­tion culturelle.

Basilique Saint Marc de Venise - Pilastri Acritani

D’autres infor­ma­tions sur Les églises et monas­tères de Constan­ti­nople byzan­tine sur la revue Per­sée, dans la revue des études byzan­tines (1951).

Mosaïque de San Vitale de Ravenne - Portrait de l'impératrice Théodora

Mosaïque de San Vitale de Ravenne — Por­trait de l’im­pé­ra­trice Théodora

 

Et puis j’ai trou­vé quelques petites choses crous­tillantes, concer­nant notam­ment un cer­tain Pro­cope de Césa­rée (Προκόπιος ό Καισαρεύς) qui pas­sa sa vie à décrire le règne de Jus­ti­nien avec force détails et dans un style tenant plus de la pro­pa­gande que du compte-ren­du objec­tif tout au long de huit épais volumes (Les guerres de Jus­ti­nien, les Édi­fices), et qui sur la fin de sa vie se com­pro­mit com­plè­te­ment dans un ouvrage qui ne fut publié pour la pre­mière fois qu’en 1623 à Lyon et qui fut exhu­mé aupa­ra­vant, allez savoir pour­quoi, des éta­gères pous­sié­reuses de la Biblio­thèque Vati­cane. On sup­pose que l’His­toire secrète devait cir­cu­ler sous le man­teau à l’é­poque de Pro­cope, qui, après avoir pas­sé son temps à ser­vir une soupe tiède pour la pos­té­ri­té, semble se lâcher com­plè­te­ment, dans un gigan­tesque cra­quage fri­sant la por­no­gra­phie d’État, où il dénonce sans états d’âme les tra­vers plus que licen­cieux de l’im­pé­ra­trice d’a­lors, l’in­tri­gante Théo­do­ra.

Voi­ci un extrait per­met­tant de don­ner un peu le ton du reste du texte :

Nulle ne fut jamais plus avide qu’elle de toute espèce de jouis­sances. Sou­vent, en effet, elle assis­tait à ces ban­quets où cha­cun paye sa part, avec dix jeunes gens et plus, vigou­reux et habi­tués à la débauche; après qu’elle avait cou­ché la nuit entière avec tous, et qu’ils s’é­taient reti­rés satis­faits, elle allait trou­ver leurs domes­tiques, au nombre de trente ou envi­ron, et se livrait à cha­cun d’eux, sans éprou­ver aucun dégoût d’une telle pros­ti­tu­tion. Il lui arri­va d’être appe­lée dans la mai­son de quel­qu’un des grands. Après boire, les convives l’exa­mi­naient à l’en­vi; elle mon­ta, dit-on, sur le bord du lit, et; sans aucun scru­pule, elle ne rou­git pas de leur mon­trer toute sa lubri­ci­té. Après avoir tra­vaillé des trois ouver­tures créées par la Nature, elle lui repro­cha de n’en avoir pas pla­cé une autre au sein, afin qu’on pût y trou­ver une nou­velle source de plaisir.

Elle devint fré­quem­ment enceinte, mais aus­si­tôt elle employait presque tous les pro­cé­dés, et par­ve­nait aus­si­tôt à se déli­vrer. Sou­vent en plein théâtre, quand tout un peuple était pré­sent, elle se dépouillait de ses vête­ments et s’a­van­çait nue au milieu de la scène, n’ayant qu’une cein­ture autour de ses reins, non qu’elle rou­gît de mon­trer le reste au public, mais parce que les règle­ments ne per­met­taient pas d’al­ler au delà. Quand elle était dans cette atti­tude, elle se cou­chait sur le sol et se ren­ver­sait en arrière; des gar­çons de théâtre, aux­quels la com­mis­sion en était don­née, jetaient des grains d’orge par-des­sus sa cein­ture; et des oies, dres­sées à ce sujet, venaient les prendre un à un dans cet endroit pour les mettre dans leur bec; celle-ci ne se rele­vait pas, en rou­gis­sant de sa posi­tion; elle s’y com­plai­sait au contraire, et sem­blait s’en applau­dir comme d’un amu­se­ment ordinaire.
Non seule­ment, en effet, elle était sans pudeur, mais elle vou­lait la faire dis­pa­raître chez les autres. Sou­vent elle se met­tait nue au milieu des mimes, se pen­chait en avant, et reje­tant en arrière les hanches, elle pré­ten­dait ensei­gner à ceux qui la connais­saient inti­me­ment, comme à ceux qui n’a­vaient pas encore eu ses faveurs, le jeu de la palestre qui lui était familier.

Elle abu­sa de son corps d’une manière si déré­glée, que les traces de ses excès se mon­trèrent d’une manière inusi­tée chez les femmes, et qu’elle en por­ta la marque même sur sa figure.

A pro­pos d’his­toire, je me replonge dans cette ambiance que j’aime tant lorsque je songe secrè­te­ment à Istan­bul, une ville qui trans­pire une his­toire longue et com­plexe mais dont on ne peut sous­traire toutes les his­toires qui la com­posent. Le monde est ain­si fait que rien ne peut res­ter figé ; l’his­toire est un dérou­le­ment si l’on en croit Hegel, une cycli­ci­té si l’on en croit les reli­gions asia­tiques, mais peu importe, ce que cela dit c’est que la per­ma­nence est une illu­sion de l’es­prit. Le des­tin des Hommes est de tout perdre. L’His­toire est émaillée de ren­ver­se­ments, d’hu­mi­lia­tions, de sacri­lèges, de des­ti­tu­tions, de bou­le­ver­se­ments dou­lou­reux et ce que l’on croit sta­bi­li­sé, apai­sé, n’est en fait que le signe des révo­lu­tions à venir. Il faut s’en convaincre sous peine de tom­ber de haut… Le pré­sent n’est en réa­li­té ni plus ni moins que l’en­tre­lacs de plu­sieurs his­toires pas­sées ou pré­sentes, mais n’a rien d’une imma­nence par­fai­te­ment cir­cons­crite. Pre­nons par exemple l’his­toire de la Tur­quie et plus par­ti­cu­liè­re­ment de la ville d’Is­tan­bul. Elles se com­pose de quatre élé­ments qui font son présent :

  1. Elle est for­te­ment empreinte de son his­toire ancienne qui court sur plu­sieurs siècles. Ses ori­gines grecques, puis chré­tiennes et enfin otto­manes sont autant de jalons qui ont été des chan­ge­ments brusques, donc néces­sai­re­ment impac­tants. Si l’on regarde la manière dont le sul­tan en 1453 lors de la prise de la ville prit soin de conser­ver les struc­tures reli­gieuses exis­tantes et d’ac­cor­der aux popu­la­tions non musul­manes une place res­pec­table dans la nou­velle socié­té, on s’in­ter­roge néces­sai­re­ment sur la poli­tique d’Er­doğan aujourd’hui.
  2. L’his­toire récente est éga­le­ment un fac­teur impor­tant pour com­prendre une ville comme celle-ci. Après l’empreinte lais­sée par Atatürk sur le pays qui, inexo­ra­ble­ment s’est tour­né brus­que­ment vers l’Oc­ci­dent alors que ses racines se trou­vaient en Asie cen­trale, on a l’im­pres­sion que le pays est scin­dé en deux entre les kéma­listes pur jus et une popu­la­tion rurale qui pro­gresse depuis l’A­na­to­lie jusque sur les rives occi­den­tales du Bos­phore et qui fait dire au pho­to­graphe Ara Güler qu’Is­tan­bul, aujourd’­hui, « c’est de la merde ».
  3. L’his­toire poli­tique traine ses cas­se­roles. Le kéma­lisme et les dépla­ce­ments de popu­la­tions turques depuis la Grèce et de Grecs hors de la Tur­quie ont géné­ré un ter­rible sen­ti­ment d’hu­mi­lia­tion et une frac­ture impos­sible à soi­gner entre des popu­la­tions qui avaient l’ha­bi­tude de vivre ensemble. L’is­la­mi­sa­tion radi­cale de la socié­té, l’aug­men­ta­tion des popu­la­tions ana­to­liennes au détri­ment des popu­la­tions tur­co-mon­goles, les coups d’é­tat et la dis­so­lu­tion en 1983 du Refah, un par­ti isla­miste et pro­fon­dé­ment into­lé­rant, et qui a don­né nais­sance à l’AKP d’au­jourd’­hui dont Erdoğan est le plus féroce défen­seur… tout ceci est le ter­reau d’une « archéo­lo­gie du res­sen­ti­ment » qui en train de miner tout dou­ce­ment le pays. Je ne suis guère opti­miste quant à l’a­ve­nir de la Turquie.
  4. Et puis la qua­trième com­po­sante du pré­sent, c’est la « quo­ti­dien­ne­té hos­pi­ta­lière incon­di­tion­née », ce qui motive les gens à se mon­trer hos­pi­ta­lier avec les étran­gers, avec ceux qui ne sont pas d’i­ci et envers qui on se doit d’être bien­veillant. Aujourd’­hui encore, mais peut-être plus pour long­temps, Istan­bul est une ville hos­pi­ta­lière, car c’est une ville de pas­sage, une ville neutre et car­re­four, une ville dont les habi­tants sont fiers et qu’ils repré­sentent encore fiè­re­ment comme étant un phare pour les peuples. C’est mal­heu­reu­se­ment ce qui fera la fin de son histoire.
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Car­net de voyage en Tur­quie : Les val­lées aux églises de Çavuşin et la route des thermes de Bayramhacı

Car­net de voyage en Tur­quie : Les val­lées aux églises de Çavuşin et la route des thermes de Bayramhacı

Épi­sode pré­cé­dent : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (car­net de voyage en Tur­quie — 15 août) : La Cap­pa­doce vue des airs et les cités sou­ter­raines de Tat­la­rin et Derinkuyu

Bul­le­tin météo de la jour­née (jeu­di 16 août 2012) :

10h00 : 24°C / humi­di­té : 49% / vent 4 km/h
14h00 : 28°C / humi­di­té : 19% / vent 15 km/h
22h00 : 21°C / humi­di­té : 30% / vent 4 km/h

Il est encore tôt lorsque j’ouvre les yeux. Le calme mati­nal de la Cap­pa­doce m’en­va­hit et creuse en moi un abîme de bon­heur sourd. Ni volets, ni rideaux, mon regard tombe sur les myriades de bal­lons qui enva­hissent la plaine dans la lumière du soleil levant. Un bal­let silen­cieux emplit le ciel rou­geoyant, des dizaines de bulles flot­tant dans un air frais, tan­dis que je reste la tête sur l’o­reiller à admi­rer la suc­ces­sion de pla­teaux de tuf qui s’é­tend à perte de vue sur l’ho­ri­zon. Je me suis endor­mi hier soir sur les pages d’A­min Maa­louf ; ce ne serait pas éton­nant que mes rêves aient vaga­bon­dé aux côtés de Saladin.

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 001 - Ballons depuis la chambre

L’hô­tel est inté­gra­le­ment en pierre vol­ca­nique, une pierre à la fois rugueuse et cha­leu­reuse et je ne manque à aucun ins­tant de poser ma main des­sus pour en sen­tir la rugo­si­té. Je me fais cou­ler un bain chaud pour dérouiller mes muscles abi­més par la des­cente de la val­lée, avant de des­cendre déjeuner.

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 003 - Çavuşin

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 008 - Çavuşin, la citadelle

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 010 - Çavuşin

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 016 - Çavuşin, le cimetière

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 018 - Çavuşin, le cimetière

Je me rends à Çavuşin, à quelques kilo­mètres seule­ment de la sor­tie de Göreme en pre­nant la route vers Ava­nos, avec la ferme inten­tion de mar­cher dans les grandes val­lées que l’on voit du ciel et dans les­quelles se cachent des petites églises creu­sées à l’é­cart du monde dans le tuf de la mon­tagne. C’est une ran­don­née qui s’en­vi­sage sur la jour­née, sur­tout si l’on veut prendre le temps. Je pen­sais, en ce mois d’août ren­con­trer pas mal de monde mais encore une fois, j’ai l’im­pres­sion d’être seul au monde. Je n’au­rai ren­con­tré dans la Güllü Dere (la val­lée aux roses, le mot dere dési­gnant plus le lit d’un ruis­seau assé­ché qu’une val­lée à pro­pre­ment par­ler) en tout et pour tout qu’un couple d’Al­le­mands avec leur môme dans leur pous­sette (inutile de dire qu’ils ont vite fait demi-tour…) et un couple de Fran­çais avec leur fils avec qui j’ai fait un bout de chemin.
Çavuşin, ça signi­fie pour moi un bourg pai­sible, une grande place avec une épi­ce­rie, des camions et des remorques pein­tur­lu­rés et sur les pare-brises, au-des­sus des poi­gnées de portes des voi­tures, sur les auto­col­lants des pare-soleil, une ins­crip­tion sup­po­sée atti­rer la chance, ici écrite en alpha­bet latin : Bis­mil­la­hir­rah­ma­nir­ra­him. Mais c’est aus­si la cita­delle, avec ses habi­ta­tions tro­glo­dytes, et tout en haut la basi­lique Saint-Jean Bap­tiste, qui a peut-être conte­nu un jour les reliques de l’A­gneau de Dieu… Peut-être… Cette par­tie de la ville était encore habi­tée jus­qu’en 1964, date à laquelle elle a été éva­cuée. En 1975, une grande par­tie de l’é­di­fice s’est effon­drée. Çavuşin c’est aus­si une petite mos­quée où j’ai rare­ment enten­du le muez­zin chan­ter et des petites églises dans la ville, ouvertes aux quatre vents, et des mai­sons grecques en pierre, déco­rées d’or­ne­ments en forme de coquillage ou d’é­toiles. Sur la grande place, lors­qu’on conti­nue le che­min sur la droite, on arrive en bor­dure d’un cime­tière, un très vieux cime­tière où par endroits ne sub­sistent plus que des stèles fichées en pleine terre, sans ins­crip­tions, ron­gées par le vent et la pous­sière, d’autres sont amar­rées sur la pente de la col­line, tour­nées vers La Mecque. Au milieu des tombes musul­manes, des stèles chré­tiennes sur­mon­tées d’une croix, dont une porte un nom pour­tant bien turc : Ali Kara mort en 1952. Ali le noir.

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 021 - Çavuşin

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 022 - Çavuşin, le cimetière

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 028 - Çavuşin, Güllü Dere (vallée aux roses)

Cette val­lée porte le nom de Zin­danönü et mène vers les trois val­lées qui sont comme un Graal au terme de ce voyage ; Güllü Dere (la val­lée aux roses), Kızıl Çukur (le fos­sé rouge) et Mes­ken­dir. On y voit d’é­normes mame­lons ren­flés de tuf blanc, des pics, des cou­lées d’oxydes qui ont colo­ré la roche de roses et de verts. Je retourne sur mes pas pour aller cher­cher la voi­ture que j’ai lais­sée dans le centre pour la garer sur un immense par­king vide. Cela me vau­dra de faire une ren­contre sur­pre­nante avec la gen­dar­me­rie (jan­dar­ma) à mon retour.

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 031 - Çavuşin, Güllü Dere (vallée aux roses) - üç haçlı kilise (église des trois croix)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 034 - Çavuşin, Güllü Dere (vallée aux roses) - üç haçlı kilise (église des trois croix)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 039 - Çavuşin, Güllü Dere (vallée aux roses) - üç haçlı kilise (église des trois croix)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 043 - Çavuşin, Güllü Dere (vallée aux roses) - üç haçlı kilise (église des trois croix)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 050 - Çavuşin, Güllü Dere (vallée aux roses) - üç haçlı kilise (église des trois croix)

Je m’en­gouffre dans la val­lée ; il fait déjà chaud, le soleil est haut dans le ciel. Quelques arbres ché­tifs, des abri­co­tiers sur­tout, pro­mettent une ombre qu’il est de bon ton d’ac­cep­ter. Le che­min se rétré­cit, passe sous des arches de pierre creu­sées par la main de l’homme. J’ar­rive devant la pre­mière église, l’église des Trois Croix (Üç haçlı kilise), laquelle me laisse un peu per­plexe. En dehors d’un écri­teau, rien ne laisse pen­ser qu’on est ici au pied d’une église, laquelle n’est visible depuis le che­min que par la pré­sence d’une ouver­ture sur l’ex­té­rieur qui per­met de voir une immense croix insé­rée dans une man­dorle gra­vée au pla­fond, ouver­ture cau­sée par l’ef­fon­dre­ment d’une par­tie de la façade. L’ac­cès se fait par une pente ardue et c’est pra­ti­que­ment allon­gé sur le sol que j’ar­rive à esca­la­der en met­tant les pieds dans les encoches. J’a­voue ne pas être tota­le­ment ras­su­ré et la pers­pec­tive de tom­ber cinq mètres plus bas ne m’en­chante guère, mais le spec­tacle en vaut la peine. A l’in­té­rieur, ce sont des gra­vures datant du VIIè siècle et des pein­tures ulté­rieures (fin IXè siècle) qui ornent ses parois, notam­ment une vision triom­phante du Christ, entou­rée de ché­ru­bins tétra­morphes et de séra­phins, des élé­ments au plus proche de la tra­di­tion paléo­chré­tienne et byzan­tine. C’est un tra­vail d’une rare finesse, ron­gé par le temps, abî­mé par des mains indé­li­cates, hos­tiles à l’i­ma­ge­rie chré­tienne. L’im­pres­sion d’être coin­cé dans ce lieu tota­le­ment impro­bable, iso­lé du monde, donne une belle idée de la manière dont vivaient reclus les moines qui habi­tait ces trous de sou­ris pour se pro­té­ger de leurs per­sé­cu­teurs. Dans cette val­lée pas com­plè­te­ment iso­lée au final, on trouve des ter­rasses culti­vées, des ceps de vignes taillés, des petits abri­co­tiers, tout un monde de cultures à l’a­bri du vent dans ces édens naturels.

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 054 - Çavuşin, Güllü Dere (vallée aux roses)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 061 - Çavuşin, Güllü Dere (vallée aux roses)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 063 - Çavuşin, Güllü Dere (vallée aux roses)

Je des­cends de l’é­glise par le gou­let et manque de déva­ler plus vite que pré­vu, mais heu­reu­se­ment que j’ai de bonnes chaus­sures. Un peu plus loin se trouve une autre église, l’église Saint-Jean (Ayvalı kilise), mais elle est mal­heu­reu­se­ment fer­mée en ce moment pour res­tau­ra­tion. Le val­lon se referme, le che­min devient de plus en plus étroit. Il y a des pigeon­niers par­tout, et cer­taines falaises montrent des striures qui laissent pen­ser que des ouver­tures ont été creu­sées, mais rien n’est moins certain.
Le guide bleu dit qu’on peut faire demi-tour pour atteindre la val­lée sui­vante, ou alors prendre le che­min de crête pour arri­ver de l’autre côté. C’est ici que je tombe sur un couple de Fran­çais avec leur fils d’une ving­taine d’an­nées, visi­ble­ment pas très content d’être là, qui se deman­daient s’ils allaient faire demi-tour ou ten­ter la crête. Lui regarde vers le haut et estime que c’est pos­sible. Elle, pas très spor­tive, me dit que son mari a l’ha­bi­tude de faire des treks et qu’il est content dès que ça grimpe. Le fils, lui, est beau­coup plus sur la réserve, et il souffle comme un ado à qui on demande de se lever un dimanche matin, et ne se voit pas du tout grim­per. Allez, on va faire un bout de che­min ensemble. On s’en­traide pour grim­per dans les endroits les plus glis­sants, on se donne la main et on finit par se rendre compte qu’en étant mon­té si haut, on ne pour­ra plus redes­cendre de ce côté-là. Quitte ou double. D’au­tant que je n’ai pas vrai­ment l’im­pres­sion que le che­min soit si pra­ti­cable que ça. Tant pis, on y est. Le che­min devient de plus en plus étroit et raide, les gra­villons glissent sous les chaus­sures. Lui monte à toute vitesse et der­rière je traîne la patte pour essayer de le suivre. Une fois qu’il est sur la crête, il estime qu’on peut redes­cendre faci­le­ment de ce côté. On attend sa femme et son fils qui peinent. Une fois arri­vé en haut, j’ai une sur­pre­nante vision, à la lisière de ces deux val­lées, je vois devant moi toute la plaine de Göreme. Je reste là quelques ins­tants et nous déci­dons avec les autres de nous sépa­rer. Lui a envie de trot­ter, moi j’ai juste envie de prendre mon temps dans ce décor à cou­per le souffle, d’au­tant qu’un petit vent me rafrai­chit après la mon­tée. Je ne sais pas com­bien de temps je reste assis là, sur la crête, avant de redes­cendre, mais je me laisse enva­hir par la dou­ceur de cet air, de la fra­grance d’herbes incon­nues et rares, et sur­tout le silence… Un silence incom­pa­rable, mys­tique, presque d’ins­pi­ra­tion divine. Je com­prends pour­quoi des hommes sont venus jus­qu’i­ci pour se reti­rer du monde.

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 067 - Çavuşin, Güllü Dere (vallée aux roses)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 069 - Çavuşin, Güllü Dere (vallée aux roses)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 074 - Çavuşin, Güllü Dere (vallée aux roses)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 076 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 079 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge)

Il faut bien redes­cendre main­te­nant. Je pen­sais que ce serait plus simple de mon­ter, mais ce n’est qu’une blague… alors que les Fran­çais sont des­cen­dus comme s’ils avaient un train à prendre, je me rends compte que je n’ar­ri­ve­rai pas à aller au même rythme. Je des­cends quand-même une par­tie des gou­lets sur les fesses tel­le­ment ça glisse. Et puis soyons hon­nête, je suis un peu pris par le ver­tige… La val­lée s’ouvre à nou­veau, cer­tains endroits sont lit­té­ra­le­ment brû­lés par le soleil, il n’y a plus que de l’herbe sèche, des cailloux qui roulent sous les chaus­sures, pay­sage qui s’ef­frite sous mes pas et que je contri­bue lar­ge­ment à éro­der. J’i­ma­gine sans dif­fi­cul­té ce que repré­sen­te­rait une averse dans ce pay­sage. L’eau qui n’est pas absor­bée par le soleil doit ruis­se­ler en tor­rents dans les gou­lets et se concen­trer dan­ge­reu­se­ment. Dans cette val­lée au nom évo­ca­teur, le fos­sé rouge (Kızıl Çukur), les falaises prennent des teintes colo­rées étranges, de rouge, de jaune vif cou­leur de souffre, de vert tendre, de rose doux.

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 080 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 083 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 087 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge)

Ici et là, on trouve des croix taillées dans les parois de la roche, des ouver­tures creu­sées pour conte­nir une simple pièce minus­cule dont on peut se poser la ques­tion de l’usage.

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 097 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 100 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 102 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge)

Je prends tout mon temps pour des­cendre et admi­rer ce pay­sage sen­sa­tion­nel… pour tom­ber sur un bar… Après cette des­cente impro­bable, tom­ber sur un bar avec une ter­rasse où se pré­lassent quelques per­sonnes, dont les Fran­çais, en train de siro­ter un jus d’o­range et de pam­ple­mousse à l’ombre d’un para­sol, cela a quelque chose de sur­réa­liste. Le type qui monte ici à pied ses caisses de fruits me demande d’où je viens. Quand je lui dis que je suis pas­sé la crête, il me féli­cite mais me dit qu’un che­min en contre­bas est beau­coup plus facile pour relier les deux val­lées. D’un côté, je me mau­dis, mais de l’autre, je n’au­rais pas vu ce superbe spec­tacle à che­val entre les deux val­lons. Je lui prends un grand jus et lui demande s’il connaît le che­min pour aller voir la Direk­li Kilise, une des plus belles églises de la val­lée, mais qui reste appa­rem­ment dif­fi­cile à trou­ver. Il me dit qu’un Fran­çais lui en a deman­dé le che­min un peu plus tôt, mais il était tel­le­ment aimable qu’il l’a envoyé dans une autre direc­tion. Il est en train de me dire que je suis plus aimable que l’autre et que peut-être je mérite de voir ça… Je ver­rai bien une fois sur place ce qu’il pen­sait de moi.

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 104 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge) - haçlı kilise (église à la croix)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 105 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge) - haçlı kilise (église à la croix)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 106 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge) - haçlı kilise (église à la croix)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 107 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge) - haçlı kilise (église à la croix)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 109 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge) - haçlı kilise (église à la croix)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 112 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge) - haçlı kilise (église à la croix)

Avant de repar­tir, je prends le temps de visi­ter la petite église qui sur­plombe le bar, Haçlı kilise (église à la croix) où l’on trouve une très belle abside en forme de quart de sphère et des pein­tures excep­tion­nel­le­ment conser­vées. Une énorme croix est gra­vée au pla­fond de la nef. Je redes­cends le che­min en pre­nant soin de bien suivre les expli­ca­tions du tenan­cier du bar. Des pans entiers de rochers se sont effon­drés, lais­sant place à des creux taillées, des pièces désor­mais éven­trées, expo­sées aux quatre vents, patri­moine irré­cu­pé­rable qui va s’é­teindre avec la val­lée. De nom­breux pigeon­niers par­courent les falaises à des hau­teurs hal­lu­ci­nantes et on a du mal à s’i­ma­gi­ner com­ment font les pro­prié­taires pour aller récu­pé­rer la fiente qui ser­vi­ra d’en­grais. Cer­tains sont peints de très jolis motifs arabes, quelques mots écrits à la pein­ture verte, cou­leur de l’is­lam, achèvent de don­ner un air tendre à ces petites niches. Des damiers, des fleurs, des motifs cir­cu­laires, contournent l’in­ter­dic­tion des repré­sen­ta­tions humaines ou ani­males dans l’art de l’islam.

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 118 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 124 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 129 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 137 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge) - Pigeonniers

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 145 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge) - Direkli Kilise (église aux colonnes)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 146 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge) - Direkli Kilise (église aux colonnes)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 147 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge) - Direkli Kilise (église aux colonnes)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 149 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge) - Direkli Kilise (église aux colonnes)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 150 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge) - Direkli Kilise (église aux colonnes)

En conti­nuant ma des­cente, j’ar­rive devant l’é­glise superbe. De dehors, une simple falaise, quelques ouver­tures, rien qui ne laisse sup­po­ser le tré­sor qui se trouve der­rière la paroi ; une église blanche, toute blanche, imma­cu­lée, plon­gée dans l’obs­cu­ri­té des siècles. Ici, aucune fresque, pas un seul récit biblique des­si­né sur les murs, mais des colonnes ! Plus récente que les autres, elle a été construite en pleine période ico­no­claste et c’est la rai­son pour laquelle aucune image n’y figure. L’es­pace déga­gé est immense au vu de la struc­ture de la roche. Une colon­nade monte sur deux étages, avec des fenêtres don­nant sur l’ex­té­rieur. Cette église aux colonnes (Direk­li Kilise ou Sütun­lu Kilise) est un tel bijou qu’on pour­rait sans com­plexe lui don­ner le titre de cathé­drale de Cap­pa­doce ! L’im­pres­sion d’es­pace du lieu, sa blan­cheur, sa lon­gueur, font de ce lieu un havre de paix incroyable, à des kilo­mètres de la vie des hommes. Un cou­rant d’air mys­tique me par­court l’é­chine, une sorte d’ex­tase sen­suelle qui me dit de ne plus par­tir d’i­ci. La magie opère com­plè­te­ment. Dehors il fait chaud, et ici il fait si bon que je me repose un peu avant de reprendre la route. Je me sens comme un pèle­rin sur la route de Jéru­sa­lem, érein­té par la route, mais tel­le­ment heureux.

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 139 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge) - Pigeonniers

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 142 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge) - Pigeonniers

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 159 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge) - Pigeonniers

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 164 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge) - Pigeonniers

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 167 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge) - Pigeonniers

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 170 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge)

Au dehors, ce ne sont que pigeon­niers peints… A ma grande sur­prise, sur l’un deux, je vois des­si­né un che­val, et un homme !!! C’est à peine croyable ! Et puis sur un autre, un oiseau et un homme et une femme se fai­sant face ! Je n’en reviens pas. Cer­taines églises ont vu les visages de leurs repré­sen­ta­tions bif­fés, sca­ri­fiés, effa­cés, et ici dehors des musul­mans peignent des êtres humains sur leurs pigeon­niers… Je sou­ris à cette idée par­fai­te­ment… ico­no­claste. Plus loin, je tombe sur une église effon­drée. Ici c’est sur quatre étages que sont construites les colon­nades !!! Les hommes n’ont pas man­qué d’au­dace. Les bâtis­seurs (ou plu­tôt les exca­va­teurs) se sont sur­pas­sés dans ces chefs‑d’œuvre sou­ter­rains… Plus j’a­vance vers le début de la val­lée, plus il y a d’ombre, de plus en plus d’a­bri­co­tiers s’en­che­vêtrent dans la val­lée étroite. Des pieds de vigne portent sur eux de petites grappes d’un rai­sin sombre. La falaise fait des vagues blanches cré­meuses, et cer­taines me font pen­ser à des mon­tagnes de polen­ta… La falaise haute est creu­sée de cen­taines de trous. La fin de la val­lée est lar­dée de cônes de tuf.

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 176 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge) - Pigeonniers

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 182 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 187 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 197 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge)

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 208 - Çavuşin, Kızıl Çukur (vallée rouge)

J’ar­rive au bout de ma ran­don­née, épui­sé, un peu triste presque de voir cet épi­sode se ter­mi­ner, tel­le­ment il fut intense et riche en émo­tions spi­ri­tuelles. Je n’au­rai pas le temps de visi­ter la troi­sième val­lée (Mes­ken­dir) qui vaut appa­rem­ment le coup aus­si avec son tun­nel et l’é­glise aux rai­sins (Üzümlü Kilise). Mais rien ne m’empêchera de reve­nir un jour accom­plir une seconde fois cette ran­don­née magique. Je rejoins ma voi­ture, seule sur le par­king, je jette mon sac sur le siège pas­sa­ger, délace mes chaus­sures pour chan­ger de chaus­settes et his­toire de m’aé­rer les pieds. J’en­tends une voi­ture s’ar­rê­ter à côté de moi, les por­tières claquent, bruits de chaus­sures… En rele­vant le nez, je suis sur­pris de voir un uni­forme. Deux types armés, ran­gers et béret, me parlent en anglais. Sur le 4x4 qui est garé à côté est écrit en blanc « Jan­dar­ma ». C’est votre voi­ture ? Je lui répon­drai bien quelque chose, mais non, je la joue humble, mieux vaut ne pas rigo­ler avec eux. Il me demande les papiers de la voi­ture. Évi­dem­ment je ne sais pas où ils sont, mais j’es­saie quand-même le pare-soleil ; ils tombent sur le siège. Après avoir regar­dé l’é­tat des pneus d’un air dis­trait, il me tend les papiers en me disant de ne pas garer ma voi­ture ici, il y a des voleurs qui s’en prennent aux voi­tures iso­lées. Je ne dis rien mais la voi­ture est pas­sa­ble­ment pour­rie, c’est un tacot, une Renault Sym­bol (oui, je sais) hors d’âge, c’est une voi­ture de loca­tion imma­tri­cu­lée à Deniz­li et je n’y avais rien lais­sé du tout. Mais je les remer­cie et leur dit que de toute façon j’ai fini ma jour­née, que je rentre. Ils me saluent en tou­chant leur béret et je ne demande pas mon reste.

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 212 - Avanos

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 214 - Avanos

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 215 - Avanos

Je file vers Ava­nos où je me pro­mène un peu dans le ville et où je retrouve les Fran­çais, dou­chés, chan­gés, en train de boire une Efes Pil­sen à la ter­rasse d’un café. Per­son­nel­le­ment je sens la trans­pi­ra­tion et j’ai de la pous­sière par­tout col­lée sur la peau, les chaus­sures dans un état lamen­table ; ma jour­née n’est pas ter­mi­née. Je passe voir Meh­met dans son ate­lier ; il m’offre un thé. Son fils Oğuz est en train de creu­ser des motifs à main levée dans la terre “consis­tance cuir” des pho­to­phores qui seront bien­tôt cuits.

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 217 - Bayramhacı

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 218 - Bayramhacı

Quelque chose a atti­ré mon atten­tion sur le guide tou­ris­tique. A quelques kilo­mètres de là, on trouve des sources chaudes situées dans un com­plexe ther­mal, dans une toute petite ville por­tant le nom de Bay­ram­hacı. Je n’ai pour me repé­rer que les vagues indi­ca­tions du guide. Le GPS n’est pas aus­si fin pour trou­ver l’en­droit et la nuit com­mence à tom­ber. Par chance, l’en­droit est ouvert tard le soir. Je m’en­fonce dans le pay­sage lunaire à l’est d’A­va­nos, sur la route qui se dirige vers Kay­se­ri. La route est nue, plate, elle ne dit rien qui vaille. Tout ici me semble étran­ger, ne res­semble à rien de ce que je connais et l’i­dée de m’é­car­ter des routes prin­ci­pales pro­voque tou­jours chez moi une sorte d’an­goisse qui me décom­pose de l’in­té­rieur. Mais il me semble que j’aime cette sen­sa­tion puisque je la recherche, je me nour­ris de mes propres peurs et les trans­cende à chaque fois en pas­sant à l’acte. Ce n’est pas une angoisse blo­quante, mais la sen­sa­tion de se construire grâce au saut dans l’in­con­nu. Un simple pan­neau sur le bord de la route indique la direc­tion de Bay­ram­hacı et me fait tour­ner brus­que­ment. C’est une route pous­sié­reuse qui finit par se réduire à un simple che­min de terre. Le gou­dron dis­pa­raît tout bon­ne­ment sous les roues de la voi­ture. Le pay­sage change du tout au tout. Sur l’autre rive de ce qui me paraît être au pre­mier abord un lac se trouve un pay­sage lunaire, un pla­teau de tuf colo­ré. En fait, je vais me rendre compte assez vite que c’est une rete­nue d’eau arti­fi­cielle assez récente. Tel­le­ment récente qu’elle n’ap­pa­raît pas sur les cartes d’é­tat-major, mais seule­ment sur les pho­tos satel­lites. Le jour tombe, ren­dant l’at­mo­sphère du lieu impro­bable. Je conti­nue ma route et arrive dans le petit bourg de Bay­ram­hacı, à l’en­trée duquel se trouve un cali­cot au-des­sus de la route : Bay­ram­hacı Köyüne Hoş Gel­di­niz (Bien­ve­nue dans le vil­lage de Bay­ram­hacı). La ville est toute blanche, abso­lu­ment déserte, les mai­sons de pierre blanche, des mai­sons grecques, sont ornées de grilles en fer for­gé peint en bleu. Rien n’est indi­qué, il n’y a de pan­neaux nulle part, si ce n’est pour indi­quer des direc­tions qui me semblent presque fan­tai­sistes. J’ar­rive à la porte d’un hôtel qui pour­rait bien être ma des­ti­na­tion, mais tout semble fer­mé. L’en­droit ne manque pas de charme, il donne sur le lac et après un bon rafrai­chis­se­ment pour­rait avoir du charme. Le pro­blème c’est l’i­so­le­ment. Il faut vrai­ment se perdre pour arri­ver ici. Mais je ne désarme pas, je conti­nue de cher­cher et je finis par trou­ver un pan­neau qui indique (un comble dans un endroit aus­si recu­lé) Hot Springs. C’est un grand bâti­ment peint en jaune au bout de la route. Un chien m’ac­cueille en aboyant. Je prends un sac dans lequel je mets mon maillot de bain et une ser­viette et je me dirige vers la bâtisse.

Un type m’ac­cueille dans un anglais bal­bu­tiant et me fait payer le droit d’en­trée. 5TL. Il me dit que les cabines se trouvent au bord du bas­sin et me laisse entrer. C’est une immense pis­cine où nagent une dizaine de Turcs. Nagent ou bar­botent plu­tôt. Évi­dem­ment, tous les regards se tournent vers moi. Sou­rire. Je m’en­gouffre dans la cabine et je mets mon maillot de bain. Il com­mence à faire un peu frais. Der­rière le mur, on a une vue superbe sur le lac, le vil­lage tout blanc et sa mos­quée au mina­ret jaune qui pour­fend le ciel. Un pay­sage sublime vu d’un lieu impro­bable. Le bas­sin est divi­sé en deux par­ties ; un bas­sin à 35°C, l’autre, plus grand à 30°C. Se détendre là après une bonne jour­née de marche, c’est appa­rem­ment une idée que je ne suis pas le seul à avoir eu puisque peu de temps après, une dizaine de jeunes Fran­çais (et de Fran­çaises) enva­hit le bas­sin. C’est cer­tai­ne­ment le seul endroit du coin où les femmes sont accep­tées dans le même espace que les hommes. Bien évi­dem­ment, cela n’é­vite en rien aux hommes de se rin­cer l’œil au contact des belles étran­gères et je soup­çonne que le lieu soit répu­té pour ça.

A l’in­té­rieur du bâti­ment se trouve le ham­mam. Un car­ré car­re­lé de plaques de ce très beau marbre blanc qu’on trouve par­tout s’ouvre sur un bas­sin noir dont on ne voit pas le fond, ce qui le rend assez inquié­tant. Une forte odeur d’œuf pour­ri prend à la gorge, ce qui est signe que les sources sont char­gées en souffre. L’en­droit est étrange, énig­ma­tique. On s’at­ten­drait presque à voir sur­gir de là une bête vis­queuse venant des entrailles de la terre. Il y a deux hommes au bord de la pis­cine, qui me regardent. J’es­saie de ras­sem­bler toute la digni­té dont je suis capable en entrant tout dou­ce­ment dans l’eau dont la tem­pé­ra­ture oscille en 40 et 45°C, mais à un moment, je dois lâcher quelques mots de fran­çais, du style “putain qu’elle est chaude…” puisque le type le plus jeune me dit : « Vous êtes Français ? »
— Oui ! La sur­prise doit se lire sur mon visage. Vous aus­si, lui demandé-je ?
— Non, nous sommes Belges. Je vous pré­sente mon père, Mehmet.
Je dois avouer que je suis un peu sur­pris. Tous les deux vivent en Bel­gique, ils sont venus pas­ser leurs vacances ici, et le fils m’ex­plique qu’ils viennent sou­vent ici, lui depuis qu’il est tout petit, et qu’un peu plus haut, il y a une autre source chaude où l’eau jaillit à plus de 60°C. Le père ne parle pas un mot de fran­çais, pas plus qu’il ne parle fla­mand. Le fils me demande si j’ap­pré­cie les Turcs, ce à quoi je réponds que je les trouve tel­le­ment gen­tils… Et je rajoute qu’ils sont tel­le­ment plus agréables que les Français.
— Ça, ce n’est pas très com­pli­qué… me dit-il en se marrant.
— Je suis bien d’ac­cord avec vous. J’ai par­fois honte de dire que je viens de France de peur qu’on me mette une éti­quette “pas aimable” dans le dos.
Nous res­tons là à dis­cu­ter au bord de la pis­cine où la cha­leur est dif­fi­ci­le­ment supportable.
Je retourne prendre un peu le frais dans la pis­cine exté­rieure, je prends mon temps, je flotte, je fais des bulles. Le temps s’est arrê­té dans cette pis­cine chaude, per­due au milieu de la Cap­pa­doce. La nuit est tom­bée désor­mais. Je retourne faire un tour dans le ham­mam ; le fils et son père sont par­tis, ils ont été rem­pla­cés par deux hommes et un bébé. Je ne sais pas pour­quoi mais le plus grand des deux me parle tout de suite en fran­çais. Celui-ci vient de Trappes, dans les Yve­lines. C’est bien le comble ça, de retrou­ver un Turc qui vit à côté de chez moi. Il m’ex­plique qu’il met deux jours à venir ici en voi­ture et qu’il passe par la Grèce désor­mais et arrive en bateau, ça lui revient moins cher que de pas­ser par la route, car dans ce cas il tra­verse la Bul­ga­rie et n’ar­rête pas de se faire racket­ter par les auto­ri­tés. Son frère est en train de man­ger un fruit sur le bord de l’eau, alors que le soleil n’est pas encore cou­ché et que le muez­zin n’a pas encore fait l’ap­pel à la rup­ture du jeûne. Il me dit qu’il n’y a que les vieux qui font le ramadan…

Je finis de faire trem­pette dehors, sous un ciel étoi­lé et les puis­sants halo­gènes qui éclairent la pis­cine. Les fran­çaises nagent tan­dis que les Turcs tentent de les imi­ter en bavant… C’est assez drôle de les regar­der se côtoyer dans cet endroit. La situa­tion est assez coquasse. Main­te­nant qu’il fait nuit, je retourne sur Ava­nos où je cherche un endroit pour dîner. Sur la route, je passe devant un pan­neau qui indique le pas­sage de tor­tues… Je trouve un petit res­tau­rant encore ouvert, Ava­nos Top­kapı Res­to­ran, à la déco­ra­tion vert anis, où flotte une bonne odeur de viande mari­née et grillée. Le corps déten­du, fati­gué, j’en­gouffre un Ada­na Kebap savou­reux avec un verre de thé.

Turquie - jour 21 - Vallées de Cappadoce  - 220 - Avanos de nuit

La ville est calme le soir, il fait doux dans ces mon­tagnes. Le pont qui tra­verse le Kızılır­mak est illu­mi­né de bleu et la belle mos­quée toute neuve res­plen­dit dans la nuit. Il est tard, je suis rom­pu. A l’hô­tel, c’est Abdul­lah qui tient la récep­tion. Il me demande d’at­tendre cinq minutes et revient avec un sou­rire énorme et une assiette de pas­tèque cou­pée en mor­ceaux. Nous man­geons ensemble notre pas­tèque sur le bal­con, sous le ciel déli­cat de la Cap­pa­doce, heu­reux comme s’il venait de neiger…

Voir les 221 pho­tos de cette jour­née sur Fli­ckr.

Épi­sode sui­vant : Car­net de voyage en Tur­quie : L’église cachée (Saklı Kilise), la val­lée de Pan­carlık et le rama­dan à İstanbul 

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Les mys­té­rieuses paroles de l’Apocalypse

Les mys­té­rieuses paroles de l’Apocalypse

Je l’ai déjà dit et le redi­rai au besoin : il faut lire l’A­po­ca­lypse, et lire aus­si l’An­cien Tes­ta­ment. Pas pour leur mes­sage, mais pour leur beau­té intrin­sèque. Par­fois, la parole sacrée prend la forme d’une poé­sie presque éso­té­rique, dans laquelle du sens est révé­lé. Les reli­gions de la révé­la­tion sont per­cluses de ces petits apho­rismes qui ne veulent pas dire grand-chose du sacré, une fois sor­tis de leur contexte, mais qui en eux-mêmes sont d’une beau­té dévo­rante, presque indécente…

« Je vien­drai comme un voleur, et tu ne sau­ras pas à quelle heure je vien­drai sur toi. »

Apo­ca­lypse de Jean, 3:3.

Si vous vou­lez en connaître le sens réel, beau­coup moins pro­saïque, ce sera à vous de cher­cher, mais res­tons-en là… de grâce !!

Le Christ de la Pentecôte - Vitrail de la Cathédrale de Bourges

Le Christ de la Pen­te­côte — Vitrail de la Cathé­drale de Bourges — Pho­to © Les amis de la cathé­drale de Bourges

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Le jeune Saint Jean-Bap­tiste au bélier de Cara­vage et l’i­gnu­do de Michel-Ange

Le jeune Saint Jean-Bap­tiste au bélier de Cara­vage et l’i­gnu­do de Michel-Ange

Cara­vage, que d’autres, moins intimes pré­fé­re­ront appe­ler par son vrai nom, Miche­lan­ge­lo Meri­si, a peint ce tableau aux alen­tours de 1602. De dimen­sions modestes (129 x 94 cm), l’œuvre a été com­man­dée par le riche Ciria­co Mat­tei et fait par­tie d’un ensemble de sept pein­tures repré­sen­tant Jean-Bap­tiste à dif­fé­rents moments de sa vie. Cer­tains d’entre eux sont consi­dé­rés comme ayant une ori­gine contro­ver­sée, n’é­tant peut-être pas peints par le maître lui-même. Le modèle est connu, c’est un jeune gar­çon du nom de Cec­co, qu’on retrouve dans plu­sieurs des toiles du peintre, comme par exemple le Bac­chus (1596) ou la voca­tion de Saint-Mat­thieu (ca. 1599).

Michelangelo Merisi da Caravaggio - le jeune Saint Jean-Baptiste au bélier - 1602 - 129 x 95 - Rome, Musei Capitolini, Pinacoteca

Miche­lan­ge­lo Meri­si da Cara­vag­gio — le jeune Saint Jean-Bap­tiste au bélier — 1602 — 129 x 95 — Rome, Musei Capi­to­li­ni, Pinacoteca

La licence artis­tique repré­sente sou­vent Jean-Bap­tiste avec ses deux attri­buts : la peau de bête et le bâton croi­sé, mais ici Cara­vage décide de retour­ner à la tra­di­tion du Livre en n’a­dop­tant pas la peau de mou­ton mais la peau de cha­meau. Quant au bâton croi­sé, il n’est pas pré­sent, ou plu­tôt il n’est qu’é­vo­qué au tra­vers d’un mor­ceau de bois gros­sier qu’on retrouve coin­cé sous le pied gauche du saint. C’est sur ces points qu’on peut dire que l’œuvre du Cara­vage n’est plus une œuvre sacrée, mais trans­ver­sale entre sacré et pro­fane. Ce qui frappe éga­le­ment, c’est que la repré­sen­ta­tion tra­di­tion­nelle de Jean-Bap­tiste le fait être accom­pa­gné d’un agneau, sym­bole du mar­tyre du Christ à venir, « l’a­gneau de Dieu » étant le sur­nom même de Jean-Bap­tiste. En l’oc­cur­rence, ce n’est pas un agneau mais bel et bien un bélier. On soup­çonne alors Cara­vage d’a­voir vou­lu faire un pont entre les deux tes­ta­ments avec l’é­vo­ca­tion du bélier du sacri­fice d’A­bra­ham. Ain­si, il rap­proche la figure du frère du Christ et Isaac, fils d’A­bra­ham. Mais le bélier porte en lui un autre sym­bole ; celui de la débauche. La posi­tion du jeune homme enla­çant cet ani­mal à la ver­tu dou­teuse peut être inter­pré­tée comme un sym­bole de luxure, bien loin du sacré sup­po­sé du thème pic­tu­ral. On peut arguer éga­le­ment que la pré­sence d’un bélier, le décor sombre mais buco­lique du fond du tableau, ain­si que la che­ve­lure hir­sute du per­son­nage fait plus pen­ser à une scène orgiaque de mytho­lo­gie qu’à une scène reli­gieuse. On se demande d’ailleurs pour­quoi on trouve un mor­ceau de tis­su blanc, peut-être un drap, inter­ca­lé entre son étole et son corps. La feuille de rai­sin est autant un sym­bole de sacri­fice, rap­pe­lant le rachat du pêché ori­gi­nel… que la vigne de Dio­ny­sos… Autant de petits indices qui laissent sup­po­ser qu’on n’est pas vrai­ment en pré­sence d’une œuvre rele­vant du sacré.

Michelangelo Merisi da Caravaggio le jeune Saint Jean-Baptiste au bélier (composition) - 1602 - 129x95 - Rome, Musei Capitolini, Pinacoteca

Miche­lan­ge­lo Meri­si da Cara­vag­gio le jeune Saint Jean-Bap­tiste au bélier (com­po­si­tion) — 1602 — 129x95 — Rome, Musei Capi­to­li­ni, Pinacoteca

En ce qui concerne la pein­ture elle-même, on remarque que la tableau se joue sur des lumières à la fois plus dif­fuses, moins tran­chées que dans cer­tains des plus grands tableaux de Cara­vage, comme jus­te­ment la voca­tion de Saint-Mat­thieu qui reste un chef-d’œuvre du clair-obs­cur. On reste ici sur une palette très orange, avec une étole cen­sée être rouge tirant sur le ver­millon, et une car­na­tion en lumière jaune. L’har­mo­nie de teinte reste très ser­rée entre la peau du Saint, la laine et les cornes de l’a­ni­mal, l’é­tole et le fond.

En ce qui concerne la com­po­si­tion, on peut déga­ger trois grandes lignes, des obliques par­tant du bas du côté gauche et qua­si­ment paral­lèle. La plus basse suit le mou­ve­ment de la jambe droite, la seconde le bas­sin et la cuisse gauche, et la plus haute le creux du bras gauche replié sur lequel il prend appui jus­qu’au bras droit enser­rant le col de l’a­ni­mal. Un autre grand ligne est une oblique par­tant du genou, remon­tant sur la hanche et enfin l’o­mo­plate. Le tout com­pose les lignes prin­ci­pales d’un hexa­gone central.

Une autre grande ligne sépare le tableau en deux, pas­sant par l’or­teil du saint, sa hanche et l’œil du bélier, une grande ligne direc­trice qui pose l’axe prin­ci­pal du sujet et une fois de plus fait prendre au bélier une place pri­mor­diale dans le sujet.

En ce qui concerne la posi­tion du sujet, on en retrouve trace dans une œuvre anté­rieure, pré­ci­sé­ment dans une des plus grandes œuvres de la chré­tien­té ; le pla­fond de la cha­pelle Six­tine peint par Miche­lan­ge­lo Buo­na­rot­ti, datant de 1509. La posi­tion du jeune Saint Jean-Bap­tiste est une cita­tion directe d’un des per­son­nages com­po­sant le groupe de la Sibylle d’E­ry­thrée, un ignu­do (nu). Ce per­son­nage, repré­sen­té ci-des­sous, pos­sède une mus­cu­la­ture puis­sante, comme presque tous les per­son­nages de cette fresque, mais il a en plus subi une rec­ti­fi­ca­tion, une dimi­nu­tion du volume de son bras droit. On observe que celui-ci est repré­sen­té dans une posi­tion par­fai­te­ment impro­bable ; la tor­sion entre ses hanches et ses épaules ne pro­duit pas de tor­sion des muscles du buste et des abdo­mi­naux.  On sait que Michel-Ange avait pris le par­ti de peindre ces per­son­nages comme des figures idéales. Cara­vage, lui, prô­nait une bonne pein­ture qui imite la nature, une repro­duc­tion fidèle et non pas une idéa­li­sa­tion de la forme. Ain­si, cette scène est-elle cer­tai­ne­ment un pied-de-nez à Michel-Ange plu­tôt qu’une cita­tion directe en forme d’hom­mage, sen­ti­ment ren­for­cé par le sou­rire nar­quois et le regard fron­tal (pour ne pas dire effron­té) du modèle, qui semble comme se moquer du peintre de la cha­pelle Sixtine.

Michelangelo Buonarotti - Ignudo - Chapelle Sixtine - 1509 - 756x1180

Miche­lan­ge­lo Buo­na­rot­ti — Ignu­do — Cha­pelle Six­tine — 1509 — 756 x 1180

Cet ignu­do se situe très exac­te­ment entre les scènes de Noé ren­dant grâce à Dieu et le Déluge, dans le pre­mier quart gauche du plafond.

Michelangelo Buonarotti - Chapelle Sixtine - Plafond - 1509

Miche­lan­ge­lo Buo­na­rot­ti — Cha­pelle Six­tine — Pla­fond — 1509

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