De l’in­con­vé­nient de ne pas lire les notes en fin d’ouvrage…

De l’in­con­vé­nient de ne pas lire les notes en fin d’ouvrage…

C’est un autre uni­vers, en marge de l’é­cri­ture de l’au­teur, une case à part, une malle un peu fourre-tout par­fois déce­vante lorsque l’on y trouve que des réfé­rences tech­niques qui ne font que nous bar­ber ou nous endor­mir au mieux, qui ne sont bonnes que pour celui qui, plus avant, sou­haite faire des recherches appro­fon­dies et qui sont autant d’obs­tacles à la lec­ture « plai­sir ». Pour­tant, par­fois, je me lance dans la lec­ture des notes avant de com­men­cer le livre et je dois avouer que c’est un monde d’une richesse incroyable. Rien n’y est ordon­né et on navigue sou­vent entre des notions qu’on ne maî­trise abso­lu­ment pas tant qu’on n’a pas lu le texte à pro­pre­ment par­ler. Ce que j’aime sur­tout dans ces notes, c’est l’ab­sence totale de for­ma­lisme, la pos­si­bi­li­té que se laisse l’au­teur de ne plus rien construire et de livrer un texte brut, rem­pli d’abréviations et de sigles. En revanche, force est de consta­ter que si les notes consti­tuent un uni­vers conden­sé, le texte, lui, est sou­vent beau­coup plus délayé.
Edgar Allan Poe écri­vait dans les marges de ses livres, recueillant ain­si la sub­stance de ses lec­tures ; ces Mar­gi­na­lia ont été publiées il y a quelques années aux édi­tions Allia. Des frag­ments qui sont comme la pen­sée brute de l’au­teur, sa face cachée et plus sombre encore. Enrique Vila-Matas quant à lui, a écrit un livre il y a quelques années, Bart­le­by & cie, un livre uni­que­ment com­po­sé de notes de bas de pages, une ency­clo­pé­die dont il ne res­te­rait que la moelle, dépouillée de son texte, de l’i­nu­tile et de l’in­cer­tain, pari pas­ca­lien et lit­té­raire. Livre des agra­phiques et des écri­vains du non, cette petite pépite fait office d’ob­jet lit­té­raire non identifié.
Quant à moi, je conti­nue à lire cer­tains livres par la fin, en éplu­chant les notes avant de lire le texte, et je m’en satis­fais très bien.

Dans ce livre que je viens de com­men­cer, Quat­tro­cen­to de Ste­phen Green­blatt, dans lequel il est ques­tion d’un cer­tain Pog­gio Brac­cio­li­ni, un huma­niste flo­ren­tin dont le nom fran­ci­sé est Le Pogge sur­tout connu pour avoir déter­ré des éta­gères pous­sié­reuses d’un monas­tère per­du un des plus beaux textes de l’An­ti­qui­té romaine : De rerum natu­ra, le très beau poème de Lucrèce. Voi­ci ce qu’on trouve dès la qua­trième note du pre­mier chapitre :

De la nature, V, v. 737–740, op. cit., p. 355. Le « mes­sa­ger ailé » de Vénus est Cupi­don, que Bot­ti­cel­li repré­sente les yeux ban­dés, et poin­tant sa flèche ailée ; Flore, la déesse romaine des fleurs, sème des pétales ras­sem­blés dans les plis de sa robe exquise ; et Zéphyr, le dieu du vent d’ouest fer­tile, étreint la nymphe Chlo­ris. Concer­nant l’in­fluence de Lucrèce sur Bot­ti­cel­li, par l’in­ter­mé­diaire de l’hu­ma­niste Poli­zia­no, voir Charles Demp­sey… etc.

Alors on peut tou­jours faire l’é­co­no­mie des notes de bas de page ou des notes de fin d’ou­vrage ; le texte n’en demeure pas moins com­pré­hen­sible. Sim­ple­ment, on évite le détail, la spé­ci­fi­ca­tion. Pire, on pour­rait pas­ser à côté d’une infor­ma­tion importante.
Je me dis qu’en lisant ces notes j’ai appris qu’un homme du XVè siècle, secré­taire d’un anti­pape, un réprou­vé à qui les Médi­cis ont fait l’hon­neur de com­man­der un superbe mau­so­lée qu’on peut voir aujourd’­hui dans le bap­tis­tère Saint-Jean de Flo­rence, l’an­ti­pape Jean XXIII (je ne savais même pas ce qu’é­tait un anti­pape…), j’ai appris donc que cet homme bat­tait la cam­pagne, bra­vant le mau­vais temps et les détrous­seurs de grands che­min pour retrou­ver les objets de l’An­ti­qui­té qui pour­ris­saient sur les éta­gères des monas­tères les plus recu­lés et que sans la décou­verte du poème de Lucrèce, Bot­ti­cel­li n’au­rait peut-être jamais peint Le prin­temps, un des plus beaux tableaux et des plus connus de la Renaissance.
Fina­le­ment, la curio­si­té ne tient pas à grand-chose…

Le printemps - Sandro Botticelli

Read more
Une soi­rée à la Guillo­tine : lec­tures de poèmes avec le poète chi­nois Yu Jian

Une soi­rée à la Guillo­tine : lec­tures de poèmes avec le poète chi­nois Yu Jian

La Guillo­tine est un lieu unique, située rue Robes­pierre, métro Robes­pierre, à Mon­treuil, une friche indus­trielle recon­ver­tie en lieu de vie pour la poé­sie, un lieu pour qu’elle s’ex­prime libre­ment, avec des vrais gens dedans, qui l’é­crivent, la connaissent, la lisent et la par­tagent. Mon pote Fran­çois m’y a invi­té et comme cela fai­sait quelques années-lumières que nous ne nous étions pas vus, j’ai dit oui. Je connais son goût pour la poé­sie chi­noise, pour la poé­sie tout court, et pour la Chine tout court. Si les pas­sions ne se par­tagent pas, à quoi bon les vivre ? Je suis un être de pas­sion et je suis pas­sion­né par les pas­sions des autres, de voir à quel point leur âme est trans­fi­gu­rée par ce qu’ils y mettent et la manière dont ils font vivre leur res­plen­dis­sante vertu.

Fran­çois m’a donc invi­té à venir écou­ter cette lec­ture de poé­sie de Yu Jian, poète dont il nous dit tout sur l’en­re­gis­tre­ment et qu’il a lui-même tra­duit. Je ne connais­sais pas la poé­sie chi­noise, si ce n’est que quelques bribes qu’il m’a­vait don­né à man­ger au tra­vers de son site (Mâcher mes mots), et je connais­sais encore moins Yu Jian, même s’il m’en avait déjà par­lé. Mais tant qu’on n’est pas confron­tés aux gens, ils ne sont que des ombres. J’ai donc ren­con­tré l’homme, un peu impres­sion­né, lui deman­dant sim­ple­ment s’il pou­vait poser pour une pho­to. La fille assise à côté de moi m’a deman­dé d’un air péné­tré com­ment j’a­vais décou­vert l’au­teur. Elle avait l’air très déçue que je lui réponde « je connais Fran­çois qui connaît Yu Jian ». Elle a ser­ré contre elle son exem­plaire de Un vol publié chez Gal­li­mard. J’ai crû bon d’en rajou­ter une couche. « C’est ce soir que je me fais déflo­rer. Il faut bien com­men­cer un jour. » Elle n’a rien rajou­té. J’ai sou­ri presque exagérément.

Réponses donc, entre le poète, et ses lec­teurs, Phi­lippe, Anne et Fran­çois. Avec l’au­to­ri­sa­tion de Fran­çois qui m’a assu­ré que cela ferait plai­sir à Yu Jian qu’il reste une trace de cette soi­rée sur un enre­gis­tre­ment audio, j’ai donc enre­gis­tré, puis repro­duit ce moment de dou­ceur dans la nuit mon­treuillaise, même si on entend bien le bruit de la cir­cu­la­tion et par­fois pas assez les réci­tants. Voi­ci éga­le­ment, pour ceux qui lisent le chi­nois ou ceux qui veulent avoir le texte inté­gral, le pro­gramme que m’a four­ni François.
Fer­mons les yeux et lais­sons nous por­ter. Mer­ci Yu Jian.

1ère par­tie

[audio:Yu Jian 01.mp3]

Pause musi­cale

[audio:Yu Jian 02.mp3]
Soirée lecture avec Yu Jian - 23 octobre 2014 - 06

Pro­jec­tion de pho­tos de la région de l’auteur

2ème par­tie

[audio:Yu Jian 03.mp3]
Soirée lecture avec Yu Jian - 23 octobre 2014 - 05

Yu Jian

Soirée lecture avec Yu Jian - 23 octobre 2014 - 03

Yu Jian et Anne Segal

Soirée lecture avec Yu Jian - 23 octobre 2014 - 02

Yu Jian et Fran­çois Charton

Read more
Les mys­té­rieuses paroles de l’Apocalypse

Les mys­té­rieuses paroles de l’Apocalypse

Je l’ai déjà dit et le redi­rai au besoin : il faut lire l’A­po­ca­lypse, et lire aus­si l’An­cien Tes­ta­ment. Pas pour leur mes­sage, mais pour leur beau­té intrin­sèque. Par­fois, la parole sacrée prend la forme d’une poé­sie presque éso­té­rique, dans laquelle du sens est révé­lé. Les reli­gions de la révé­la­tion sont per­cluses de ces petits apho­rismes qui ne veulent pas dire grand-chose du sacré, une fois sor­tis de leur contexte, mais qui en eux-mêmes sont d’une beau­té dévo­rante, presque indécente…

« Je vien­drai comme un voleur, et tu ne sau­ras pas à quelle heure je vien­drai sur toi. »

Apo­ca­lypse de Jean, 3:3.

Si vous vou­lez en connaître le sens réel, beau­coup moins pro­saïque, ce sera à vous de cher­cher, mais res­tons-en là… de grâce !!

Le Christ de la Pentecôte - Vitrail de la Cathédrale de Bourges

Le Christ de la Pen­te­côte — Vitrail de la Cathé­drale de Bourges — Pho­to © Les amis de la cathé­drale de Bourges

Read more
Par­tir avec Rim­baud et ne pas reve­nir de Tadjourah

Par­tir avec Rim­baud et ne pas reve­nir de Tadjourah

Quelle idée de m’être lan­cé là-dedans. Sur le coin d’un étal de libraire m’at­ten­dait un jour un livre à la cou­ver­ture oran­gée, un livre por­tant sobre­ment son titre comme une allu­mette ten­due dans la nuit afri­caine, comme pour bali­ser le che­min vers la ville plon­gée dans l’obs­cu­ri­té. Un nom ; Sébas­tien de Cour­tois. Je me suis dit que c’é­tait encore un de ces voya­geurs tout droit sor­tis de Neuilly qui s’est enca­naillé dans les bas-fonds des cales du port de Manille ou dans les bor­dels de Ham­bourg. Mais non, enfin peut-être mais peu importe, ce qui importe c’est que le type est jour­na­liste et a déjà écrit quelques livres sur les Chré­tiens d’O­rient, et là, il parle à mon cœur. Un titre ; Éloge du voyage, sur les traces d’Ar­thur Rim­baud. Évi­dem­ment, ça touche encore son cœur de cible, ça parle direc­te­ment à l’a­ma­teur, celui qui aime le voyage autant que la poé­sie, alors la résis­tance n’o­père pas long­temps et on finit par pas­ser en caisse avec la bave aux lèvres. Comme tout bou­quin qui se res­pecte, j’aime les lais­ser mûrir dans un coin de la mai­son, à l’a­bri de la lumière et de l’hu­mi­di­té, à une tem­pé­ra­ture de 14°C maxi­mum ; on le sort ensuite au grand-jour pour le cham­brer, pour lui faire atteindre gen­ti­ment la tem­pé­ra­ture de 16°C et c’est alors qu’on l’ouvre déli­ca­te­ment et c’est rare qu’on y trouve des mor­ceaux de bou­chon tom­bés dans la robe.
L’é­cri­ture y est bar­bare, rude, une écri­ture sans com­plai­sance et qui parle avec la voix éraillé de ceux qui ont trop cau­che­mar­dé, tel­le­ment cau­che­mar­dé qu’ils ont crié dans leur som­meil, mais c’est une écri­ture pleine de pous­sière du désert, de cette pous­sière qu’on net­toie en se plon­geant dans les eaux dia­bo­liques du Golfe d’A­den, en face de Dji­bou­ti. Les boutres au repos attendent un coup de pein­ture sur leurs cales, une chèvre noire broute deux touffes d’herbes rai­dies par un soleil cui­sant, et pen­dant ce temps, tan­dis que le soleil plonge der­rière le conti­nent afri­cain, des hommes se saoulent en par­lant de la gran­deur pas­sée de la France, comme s’il ne fai­sait pas assez chaud comme ça…

Tadjourah

Rues de Tadjourah

Il y en a qui ne sont jamais ren­trés. Ceux que l’on a oublié, inca­pables de renouer avec leur vie anté­rieure. Les trans­fuges. Le livre d’or de Modi­no en compte une belle bro­chette, les voya­geurs de l’i­ma­gi­naire, les vacan­ciers et les autres, les auteurs que nous connais­sons, Deniau, Pratt, Guil­bert et Gary, venus assis­ter aux funé­railles de la France colo­niale : « Ils sont tous là, écrit Gary dans Les Tré­sors de la Mer Rouge, il ne manque pas un mou­choir blanc sur une nuque de légion­naire, pas un bur­nous rouge de spa­hi, pas un rire dur de ceux qu’on appe­lait jadis les “joyeux”… Vous les ver­rez tous, dans les rues de Dji­bou­ti, pour quelques secondes d’his­toire, ces fan­tômes bien vivants sur­gis d’un monde éva­noui. » Tous ont été ivres sur cette ter­rasse au soleil cou­chant lors­qu’il fait qua­rante-huit degrés en juillet.
« Je n’ai fer­mé que fin 1991, conti­nue Modi­no, lorsque l’in­sur­rec­tion afar a écla­té. L’ar­mée fran­çaise est venue nous éva­cuer en héli­co­ptère. Mon bar a été pillé… »
La révolte afar a été noyée dans le whis­ky de Modino.

Sébas­tien de Cour­tois, Éloge du voyage, sur les traces d’Ar­thur Rimbaud
Edi­tions Nil, 2013

Pho­tos © Visages de l’A­frique de l’est

Read more

Beo­wulf le guerrier

Beo­wulf est un monu­ment de la lit­té­ra­ture anglaise. Venu du fond des âges, c’est un des plus anciens témoi­gnages de la poé­sie anglo-saxonne, d’une époque téné­breuse à che­val entre la tra­di­tion scan­di­nave et les pre­mières heures du chris­tia­nisme outre-manche. Le drame de cette œuvre est qu’il n’en reste plus qu’un témoi­gnage remon­tant à ses ori­gines, aux envi­rons du Xème siècle, mais qui est for­te­ment endom­ma­gé suite à l’in­cen­die en 1731 de la biblio­thèque de son pro­prié­taire, Sir Robert Bruce Cot­ton ; il ne reste plus aujourd’­hui que quatre feuillets, dont la pre­mière page du Cot­ton MS Vitel­lius A XV. On trou­ve­ra ici une tra­duc­tion en fran­çais, pas la meilleure mal­heu­reu­se­ment, par Léon Bot­kine en 1877. Beo­wulf a par ailleurs été lon­gue­ment étu­dié par J.R.R. Tol­kien qui n’a pas hési­té à s’en ser­vir pour écrire Le Sei­gneur des Anneaux. J’ai trou­vé une par­tie de la très belle ver­sion illus­trée de Beo­wulf par le des­si­na­teur belge Mark Seve­rin en 1954, que je repro­duis ici.

Beowulf (1) - illustration par Severin - 1954 (more…)

Read more