Figures du Tétra­morphe, les Quatre Vivants

Figures du Tétra­morphe, les Quatre Vivants

On ne le voit même plus, mais il est par­tout autour de nous. Enfin presque par­tout. Sur­tout dans les églises et au-dehors aus­si, mais notre moder­ni­té nous en a fait perdre le sens. Le Tétra­morphe est une étrange figure mys­tique qu’on trouve dans la Bible, dans l’An­cien Tes­ta­ment (encore lui), asso­ciée au livre d’Ézé­chiel et de sa vision :

Dès les pre­mières lignes de sa pro­phé­tie, Ézé­chiel (Ez 1, 1–14) décrit une vision : « le ciel s’ou­vrit et je fus témoin de visions divines » (Ez 1, 1). « Au centre, je dis­cer­nais quelque chose qui res­sem­blait à quatre êtres vivants » (Ez 1, 5).
« Ils avaient cha­cun quatre faces et cha­cun quatre ailes (…) leurs sabots étaient comme des sabots de bœuf » (Ez 1, 6–7). « Quant à la forme de leurs faces, ils avaient une face d’homme, et tous les quatre avaient une face de lion à droite, et tous les quatre avaient une face de tau­reau à gauche, et tous les quatre avaient une face d’aigle. » (Ez 1, 10).
Il s’a­git de quatre ani­maux iden­tiques dotés cha­cun de quatre pattes de tau­reau, de quatre ailes d’aigle, de quatre mains humaines et de quatre faces dif­fé­rentes d’homme, de lion, de tau­reau et d’aigle. Ces quatre ani­maux ont leur place au pied du trône de la gloire de Dieu. (Wiki­pe­dia)

Cha­cun des Quatre Vivants est figu­ré dans le Nou­veau Tes­ta­ment sous la forme des évan­gé­listes (toutes les expli­ca­tions sont issues de Wikipedia) :

  • Mat­thieu : On lui attri­bue comme sym­bole l’homme ailé (par­fois qua­li­fié à tort d’ange) parce que son évan­gile com­mence par la généa­lo­gie de Jésus, ou, plus exac­te­ment, celle de Joseph, père légal de Jésus. Selon qu’il appa­raît comme col­lec­teur d’impôts, apôtre ou évan­gé­liste, Mat­thieu est repré­sen­té avec des balances de peseur d’or, l’épée du mar­tyre ou le livre de l’Évangile qui, fina­le­ment, est son attri­but le plus ordinaire.
  • Marc : Saint Marc est sym­bo­li­sé par un lion d’a­près l’un des pre­miers ver­sets de son évan­gile qui évoque le désert d’où reten­tit les rugis­se­ments du lion, l’un des quatre ani­maux sym­bo­liques de la vision d’Ézéchiel : « un cri sur­git dans le désert » (Ez 1, 1–14). Le lion sym­bo­li­sant saint Marc est géné­ra­le­ment ailé et par­fois sur­mon­té d’une auréole, ce qui le dis­tingue du lion de saint Jérôme, les ailes sym­bo­li­sant l’é­lé­va­tion spi­ri­tuelle et le halo sym­bo­li­sant la sainteté.
  • Luc : Luc est sym­bo­li­sé par le tau­reau, ani­mal de sacri­fice, parce que son évan­gile com­mence par l’é­vo­ca­tion d’un prêtre sacri­fi­ca­teur des­ser­vant le Temple de Jéru­sa­lem : Zacha­rie, le père de Jean-Baptiste.
  • Jean : Son sym­bole en tant qu’é­van­gé­liste dans la tra­di­tion du Tétra­morphe est l’aigle, d’où le sur­nom « l’aigle de Pat­mos ». Il est repré­sen­té avec une coupe sur­mon­tée d’un ser­pent ou avec une chau­dière rem­plie d’huile bouillante.
Tétramorphe de la Tour Saint-Jacques - Paris

Tétra­morphe de la Tour Saint-Jacques — Paris —  Tour Saint-Jacques 070508 02 » par Vas­silTra­vail per­son­nel. Sous licence Public domain via Wiki­me­dia Com­mons.

Cette figure qui n’est que les quatre faces d’un seul élé­ment trouve son ori­gine dans des repré­sen­ta­tions antiques, notam­ment égyp­tiennes, sous la forme de divi­ni­tés infé­rieures ou d’élé­ments natu­rels. Comme sou­vent dans l’An­cien Tes­ta­ment, les trans­crip­tions des visions pro­viennent de légendes anciennes, transformées.

En ce qui concerne la sym­bo­lique du chiffre 4 expri­mée au tra­vers des Quatre Vivants, on la retrouve dans bon nombre de figures. Tout d’a­bord, le sym­bole d’A­tha­nase. Ce sym­bole connu aus­si sous le nom de Qui­cumque, est un conden­sé de la pen­sée litur­gique ortho­doxe qui reprend les 3 figures de la Tri­ni­té, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ain­si que celle de Dieu, cen­trale. Les liens qui sont faits entre les sphères se com­posent de cette manière, qui pour cha­cune des occur­rences se lit dans les deux sens :

  • Le Saint-Esprit n’est pas le Père
  • Le Père n’est pas le Fils
  • Le Fils n’est pas le Saint-Esprit
  • Le Saint-Esprit est Dieu
  • Le Père est Dieu
  • Le Fils est Dieu

Le sens de lec­ture des Quatre Vivants s’ins­pire aus­si de quatre moments de la vie du Christ ; l’in­car­na­tion de Dieu dans l’homme (Mat­thieu, l’homme ailé), la ten­ta­tion dans le désert (Marc, le lion), l’im­mo­la­tion (Luc, le tau­reau, sym­bole de sacri­fice) et la mon­tée au ciel (Jean, l’aigle). On retrouve aus­si chez Luc (10, 27) les com­po­santes de l’es­sence humaine : l’homme est le sym­bole de l’es­prit, le lion est le sym­bole des pas­sions, le tau­reau est le sym­bole du corps, l’aigle est le sym­bole de l’esprit.

La figure du tétra­morphe est donc un moment pri­vi­lé­gié de sym­bo­lisme litur­gique que l’on trouve sur­tout dans les repré­sen­ta­tions byzan­tines et romanes de l’art chré­tien. En regar­dant par­fois sur cer­tains monu­ments plus proches de nous, sur les bâti­ments gothiques, on arrive par­fois à le retrou­ver, comme plus haut, sur le som­met de la Tour Saint-Jacques à Paris, mais ce sont des sta­tues qui pour le coup datent du XIXè siècle.

Pho­to d’en-tête © José Luis Fil­po Cabana
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Eglise de San­to Domin­go, Soria, Pre­mière vision d’Ézéchiel.

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Le nœud de Gor­dias, l’or de Midas, le Pac­tole et le bous­tro­phé­don — Voyage en pays phrygien

Le nœud de Gor­dias, l’or de Midas, le Pac­tole et le bous­tro­phé­don — Voyage en pays phrygien

La Phry­gie fait par­tie des anciennes régions de l’ac­tuelle Tur­quie, située à l’ouest d’Anka­ra, au sud de Bur­sa et au nord de Konya. Les ori­gines du peuple phry­gien demeurent incer­taines, même si ce qu’on sait d’eux, c’est qu’ils ont réoc­cu­pé d’an­tiques sites hit­tites comme Hat­tu­sa (Hat­tuşaş), Ala­cahöyük ou Alişar, situés un peu plus à l’est de cette aire géo­gra­phique. Glo­ba­le­ment on attri­bue à la Phry­gie l’es­pace situé entre la Lydie et la Cap­pa­doce et une his­toire s’é­ta­lant entre le XXè et le VIIè siècle av. J.-C.

Tumulus de Gordion (Midas Tümülüsü). Photo © Sarah Murray

Tumu­lus de Gor­dion (Midas Tümülüsü). Pho­to © Sarah Mur­ray

Dans la Table des Nations, le peuple phry­gien est asso­cié à Méshek (Moshek), le sixième fils de Japhet (Gn 10:2; 1 Ch 1:5) et l’on pense qu’ils ont par­ti­ci­pé aux grandes des­truc­tions liées aux mys­té­rieux Peuples de la mer. Sa capi­tale est la ville de Gor­dion, fon­dée par un per­son­nage dont on ne sait que la légende ; Gor­dias. Le roi phry­gien, selon cer­tains mythes grecs et selon des textes assy­riens du VIIè siècle av. J.-C, aurait dédié un cha­riot, sym­bole de royau­té, sur lequel il aurait lié autour du timon un nœud d’une com­plexi­té extrême que seul le futur maître de l’A­sie pour­rait défaire ; le fameux nœud gor­dien dési­gnant par ana­lo­gie un pro­blème com­plexe. Celui qui défit le nœud, tou­jours selon la légende aurait été Alexandre le Grand, qui de son épée le tran­cha net, cer­tai­ne­ment un peu éner­vé de n’a­voir pu réus­sir à le dénouer selon les méthodes tra­di­tion­nelles ; en effet, pour défaire un nœud, il faut en trou­ver au moins une des extré­mi­tés, mais celui de Gor­dias était un nœud ren­tré. Tou­jours selon la légende. On ima­gine par­fai­te­ment que cette légende soit venue s’ag­glo­mé­rer au fait qu’A­lexandre ait conquis l’A­sie, lequel n’a cer­tai­ne­ment pas eu besoin de cette his­toire de nœud à tran­cher pour accom­plir ses exploits. On ima­gine aus­si Arthur décou­pant le rocher à la dis­queuse pour s’emparer d’Excalibur.

Tumulus de Gordion lors de son excavation en 1957

Tumu­lus de Gor­dion lors de son exca­va­tion en 1957

Un autre Phry­gien célèbre n’est autre que le fils de Gor­dias, por­tant le nom de Midas (Mita). La légende raconte que la ville de Gor­dion est mise à sac par les armées des Cim­mé­riens et que le bon tyran se sui­cide en buvant du sang de Tau­reau (Pline l’An­cien rap­porte que le sang de tau­reau frais coa­gule et dur­cit rapi­de­ment lors­qu’il est encore frais). La légende la plus connue par­lant de Midas est celle selon laquelle il aurait ren­con­tré le satyre Silène ivre mort, l’au­rait recueilli le temps de cuver son vin et l’au­rait rame­né auprès de Dio­ny­sos, son com­pa­gnon de bois­son et acces­soi­re­ment fils adop­tif du satyre. En récom­pense, le dieu lui aurait don­né la pos­si­bi­li­té de réa­li­ser son vœu le plus cher : Midas, un peu vénal, vou­lut trans­for­mer tout ce qu’il tou­chait en or et fut exau­cé, mais lors­qu’il se ren­dit compte que sa nour­ri­ture et sa bois­son se trans­for­maient éga­le­ment en or, il implo­ra Dio­ny­sos de le gué­rir. Il invi­ta le roi à se laver les mains dans la rivière Pac­tole (Πακτωλός), un petit tor­rent de mon­tagne aux pro­prié­tés auri­fères appe­lé aujourd’­hui Sart Çayı, éga­le­ment à l’o­ri­gine de la richesse du mythique Cré­sus.

 Façade de la tombe de Midas, planche tirée de G. Semper, Der Stil, Munich, 1860


Façade de la tombe de Midas, planche tirée de G. Sem­per, Der Stil, Munich, 1860

La ville de Gor­dion pré­sente éga­le­ment un immense tumu­lus funé­raire dont le riche conte­nu atteste que la richesse de Midas n’est pas qu’une légende, même si on attri­bue de manière qua­si­ment cer­taine cette tombe à son père. A l’in­té­rieur de cet édi­fice funé­raire, on trouve éga­le­ment des élé­ments de main­tien d’é­poque, en bois dans un état de conser­va­tion remar­quable, d’arbres dont on ne trouve plus aujourd’­hui trace dans la région.

L'archéologue Federico Halbherr devant le mur du Code de Gortyne vers 1900

L’ar­chéo­logue Fede­ri­co Halb­herr devant le mur du Code de Gor­tyne (écrit en bous­tro­phé­don) vers 1900

La langue qu’ont adop­té les Phry­giens est lisible sans être par­fai­te­ment com­prise et pro­vient des prin­ci­pau­tés hit­tites et plus anté­rieu­re­ment du phé­ni­cien, tout en adop­tant des simi­li­tudes avec l’al­pha­bet grec. La par­ti­cu­la­ri­té de cette gra­phie consiste dans son écri­ture en bous­tro­phé­don. Ce mot bar­bare venant du grec  βουστροφηδόν signi­fie lit­té­ra­le­ment « bœuf qui tourne », sous-enten­du le mou­ve­ment que fait le bœuf lors­qu’il laboure le champ, qui une fois arri­vé à l’ex­tré­mi­té, repart dans l’autre sens. Une ins­crip­tion en bous­tro­phé­don pré­sente la carac­té­ris­tique de pré­sen­ter une pre­mière ligne écrite à l’en­droit et d’une seconde ligne com­men­çant de la droite et par­tant vers la gauche, en adop­tant de plus un ren­ver­se­ment des lettres en miroir, la troi­sième repart de gauche à droite et écrite à l’en­droit, et ain­si de suite.

Inscription en boustrophédon sur le code de Gortyne - © Agon S. Buchholz

Ins­crip­tion en bous­tro­phé­don sur le code de Gor­tyne — © Agon S. Buchholz

Quant au bon­net phry­gien por­té par les révo­lu­tion­naires fran­çais, il semble que son ori­gine remonte à l’exis­tence d’une tiare en pointe por­tée par le dieu hit­tite de l’o­rage, dont la pointe s’est affais­sée au cours du temps et qui s’est répan­due sur le pour­tour médi­ter­ra­néen. Les Grecs, peu au fait de cette ori­gine, col­por­tèrent cette légende qui veut que le roi Midas qui por­tait cette tiare, le fai­sait pour mas­quer les oreilles d’âne qui lui avaient pous­sé sur la tête. Autant pré­ci­ser que le terme « Phry­gien » dans la bouche d’un Grec ancien n’est pas por­té par la sympathie…

SourcesFatih CimokAna­to­lie biblique, de la Genèse aux Conciles
A Turizm Yayın­ları, İst­anb­ul, 2010

Loca­li­sa­tion sur Google Maps (les noms antiques sont sui­vis de leur nom turc moderne) :

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L’ar­cher scythe du vase de Kul-Oba, la « mala­die fémi­nine » et le peuple d’Ashkenaz

L’ar­cher scythe du vase de Kul-Oba, la « mala­die fémi­nine » et le peuple d’Ashkenaz

Trésor de Kul-Oba, vase en électrum (détail archer) - Musée de l'Ermitage - Saint-Petersbourg

Prince scythe ten­dant l’arc d’Hé­ra­clès. Tré­sor de Kul-Oba, vase en élec­trum — Musée de l’Er­mi­tage — Saint-Peters­bourg. Deuxième moi­tié du IVè siècle avant notre ère.

Dans la Table des Nations, le patriarche Ash­ke­naz est le fils de Gomer, lui-même fils de Japhet, lui-même un des trois fils de Noé (ai-je déjà dit qu’il fal­lait lire l’An­cien Tes­ta­ment pour sa richesse ?). Si Japhet est l’an­cêtre des peuples vivant au nord de la médi­ter­ra­née, Gomer (גמר), l’aî­né de ses fils, est l’an­cêtre du peuple cim­mé­rien (Κιμμέριοι en grecGimir­raya en assy­rien — rien à voir avec Conan le Bar­bare), appa­ren­té aux Thraces ins­tal­lés en Tau­ride et dont le nom est à l’o­ri­gine du mot Cri­mée. Plus géné­ra­le­ment, on attri­bue à Gomer la paren­té des peuples euro­péens de l’ouest. Ash­ke­naz donc, fils de Gomer, est un nom qu’on connait pour dési­gner les Juifs d’Eu­rope de l’est et du nord, et pour les dis­tin­guer des Séfa­rades, les Juifs d’Eu­rope du sud et du Magh­reb, mais avant de dési­gner ces peuples, il est à l’o­ri­gine d’un autre mot : il a don­né en grec Σκὐθαι (Skú­thai), Ish­ku­za ou Asku­zai en assy­rien, et dans le lan­gage moderne, il s’est appa­ren­té au nom du peuple des Scythes. Ces guer­riers redou­tables, dont l’aire d’ex­pan­sion s’é­tend de l’ac­tuelle Ukraine à l’ouest jus­qu’aux contre­forts du Tad­ji­kis­tan et de la Bac­triane à l’est, demeurent connus pour leur orfè­vre­rie très riche, notam­ment par la décou­verte de fabu­leux tré­sors d’or caché dans des tumu­lus funé­raires. On attri­bue au peuple d’Ash­ke­naz la paren­té des peuples scan­di­naves et russes.
Tom­bé par hasard sur la repré­sen­ta­tion ci-des­sus d’un archer, repro­duit sur le vase en élec­trum du tré­sor trou­vé dans le kour­gane de Kul-Oba, je n’ai pu faire autre­ment que de m’ex­ta­sier sur la finesse d’exé­cu­tion de cet homme, dont le geste s’est trans­mis à tra­vers les âges, d’au­tant que ce vase date de la seconde moi­tié du IVè siècle avant notre ère, ce qui révèle un haut niveau de tech­no­lo­gie. Ce qui me semble le plus frap­pant, c’est la maî­trise par­faite de la gra­vure en bas-relief, exces­si­ve­ment bien ren­due dans l’or­don­nan­ce­ment des pos­tures ana­to­miques dans le corps de cet archer repré­sen­té de pro­fil. Ce vase repré­sente en tout quatre scènes.

  1. Une scène mon­trant un homme avec les doigts dans la bouche de l’autre, indi­quant clai­re­ment les soins de den­tis­te­rie connus à cette époque.
  2. La deuxième scène montre un homme en train de pra­ti­quer un ban­dage sur la jambe d’un guer­rier blessé.
  3. La troi­sième montre deux sol­dats en armes assis l’un en face de l’autre. L’un des deux semble être un prince.
  4. La qua­trième repré­sente cet archer, en réa­li­té un prince scythe qui fait réfé­rence non pas au mythe chré­tien des ori­gines du peuple mais au mythe grec, impli­quant Héraclès :

Lorsque le héros Héra­clès se fut accou­plé avec le monstre Échid­na, cette der­nière mit au monde trois gar­çons. Puis vint le moment pour Héra­clès de conti­nuer sa route. Mais le jour du départ, Échid­na deman­da à son amant ce qu’elle devrait faire de leurs enfants, une fois par­ve­nu à l’âge d’homme. Héra­clès prit l’un de ses deux arcs et son bau­drier qu’il don­na à Échid­na. Il ajou­ta que celui des trois qui par­vien­drait à posi­tion­ner le bau­drier et à ban­der l’arc comme lui-même le fai­sait, devien­drait le roi du pays. Les deux autres frères devraient alors s’exiler. Arri­vé à l’âge d’homme, Échid­na ras­sem­bla ses trois enfants, Aga­thyr­sos, Gélo­nos et Scy­thès. Le test pou­vait alors com­men­cer. Seul Scy­thès par­vint à réus­sir les deux épreuves. Comme l’avait exi­gé Héra­clès, Échid­na don­na le pou­voir suprême au vain­queur, tan­dis que ses deux autres enfants s’exilèrent. À ce moment, Scy­thès don­na son nom à cette région et à son peuple. (source Wiki­pe­dia)

J’ai trou­vé éga­le­ment cet extrait du livre de Fatih Cimok rap­por­tant une autre légende, rap­por­tée par Héro­dote dans son Enquête, une légende pour le moins cocasse…

Le pha­raon Psam­mé­tique I (663–609 avant notre ère) les paya pour qu’ils ne dévastent pas son pays.
Lors de leur retour, les Scythes pillèrent Ash­ke­lon, un acte qui, d’a­près Héro­dote, pro­voque la malé­dic­tion de la déesse qui les infli­gea d’une mala­die appe­lée “mala­die fémi­nine”, c’est-à-dire l’ho­mo­sexua­li­té, dont “souffrent encore leurs des­cen­dants” ; cette his­toire a pu ins­pi­rer la remarque de Samuel (I Sm 5:6) que Dieu a infli­gé des hémor­roïdes aux Phi­lis­tins d’Ash­dod pour avoir pro­fa­né l’Arche d’Al­liance.

Fatih Cimok, Ana­to­lie biblique, de la Genèse aux Conciles
A Turizm Yayın­ları, İst­anb­ul, 2010

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Le chant d’Ul­li­kum­mi, la pierre de Rome et Armil­lus, l’Antéchrist

Le chant d’Ul­li­kum­mi, la pierre de Rome et Armil­lus, l’Antéchrist

Le clergé catholique au service de l’Antéchrist (« Unterscheid zwischen der waren Religion Christi und falschen Abgöttischenlehr des Antichrists in den fürnemsten Stücken ») Gravure sur bois en deux parties de Lucas Cranach l’Ancien (1472 – 1553), 1ère moitié du XVIe siècle (reproduit dans : The German Single-Leaf Woodcut : 1550 – 1600, ed. Max Geisberg, New-York, 1974, vol. 2, p. 619)

Le cler­gé catho­lique au ser­vice de l’Antéchrist (« Unter­scheid zwi­schen der waren Reli­gion Chris­ti und fal­schen Abgöt­ti­schen­lehr des Anti­christs in den für­nem­sten Stü­cken »)
Gra­vure sur bois en deux par­ties de Lucas Cra­nach l’Ancien (1472 – 1553), 1ère moi­tié du XVIe siècle (repro­duit dans : The Ger­man Single-Leaf Wood­cut : 1550 – 1600, ed. Max Geis­berg, New-York, 1974, vol. 2, p. 619)

J’ai trou­vé dans le livre de Fatih Cimok (Ana­to­lie Biblique, de la Genèse aux Conciles) une légende fai­sant appel à la fois au Déluge, aux peuples Hour­rites et à un des mythes de la Bible les plus inquié­tant ; celui de l’Antéchrist.
Dans la légende du Déluge, que ce soit celui des Chré­tiens ou celui dont j’ai déjà par­lé lors­qu’il était ques­tion du Mont Ara­rat, il est ques­tion au tra­vers de cette épi­pha­nie d’un moment de puri­fi­ca­tion du mal sur Terre par l’eau, ce que l’on peut tra­duire dans une cer­taine mesure comme une méta­phore à une dif­fé­rente échelle du bap­tême. Mais après le déluge ? Non, il n’est pas ques­tion ici de l’a­pho­risme de Madame de Pom­pa­dour, « Après moi, le déluge… » mais bel et bien de ce qui s’est pas­sé après que la Terre fut enva­hie par l’eau, que Noé se retrou­va per­ché sur Ara­rat et qu’il repeu­pla la terre par sa pro­gé­ni­ture (Table des Nations) en la per­sonne de ses fils, Sem, Cham et Japhet et de leurs enfants.

Monstres nés du Déluge, Chroniques de Nuremberg, 1493

Dans les croyances popu­laires, des monstres sont nés du déluge, comme en témoignent les Chro­niques de Nurem­berg écrites en 1493 par l’hu­ma­niste Hart­mann Sche­del. Il est d’autre part ques­tion dans l’An­cien Tes­ta­ment, d’un pas­sage peu connu (l’An­cien Tes­ta­ment est de toute façon trop peu connu, les Chré­tiens pré­fé­rant s’ex­ta­sier sur la vie par­faite et tra­gique du Christ) du Livre des Nombres. Dans ce livre, il est ques­tion d’une race de géants appe­lés les Nephi­lim (הנּפלים: géant) :

27 Voi­ci ce qu’ils [les chefs des douze tri­bus envoyés par Moïse en mis­sion de repé­rage] racon­tèrent à Moïse : « Nous sommes allés dans le pays où tu nous as envoyés. À la véri­té, c’est un pays où coulent le lait et le miel, et en voi­ci les fruits.
28 Mais le peuple qui habite ce pays est puis­sant, les villes sont for­ti­fiées, très grandes ; nous y avons vu des enfants d’Anak.
29 Les Ama­lé­cites habitent la contrée du midi ; les Héthiens, les Jébu­séens et les Amo­réens habitent la mon­tagne ; et les Cana­néens habitent près de la mer et le long du Jourdain. »
30 Caleb fit taire le peuple, qui mur­mu­rait contre Moïse. Il dit : « Mon­tons, empa­rons-nous du pays, nous y serons vainqueurs ! »
31 Mais les hommes qui y étaient allés avec lui dirent : « Nous ne pou­vons pas mon­ter contre ce peuple, car il est plus fort que nous. »
32 Et ils décrièrent devant les enfants d’Is­raël le pays qu’ils avaient explo­ré. Ils dirent : « Le pays que nous avons par­cou­ru, pour l’ex­plo­rer, est un pays qui dévore ses habi­tants ; tous ceux que nous y avons vus sont des hommes d’une haute taille ;
33 et nous y avons vu les nephi­lim, enfants d’A­nak, de la race des nephi­lim : nous étions à nos yeux et aux leurs comme des sauterelles.

Nombres, 13, 27–33

Albrecht Dürer - Révélation de Saint-Jean (12) Le monstre des mers et la Bête à cornes d'agneau

Albrecht Dürer — Révé­la­tion de Saint-Jean (12) Le monstre des mers et la Bête à cornes d’agneau

Les Nephi­lim, per­son­nages pour le moins mys­té­rieux ont été assi­mi­lés, dans cer­taines inter­pré­ta­tions, à des anges déchus, que le pas­sage du Déluge aurait eu pour mis­sion d’ex­ter­mi­ner en tant que tel. L’hé­breu nephel désigne qui celui qui tombe (ליפול). Dans cette ambiance inquié­tante appa­rait un per­son­nage qu’on retrouve dans nombres de récits éso­té­riques et escha­to­lo­giques, sou­vent inté­gré aux théo­ries com­plo­tistes ; l’Anté­christ. Ce per­son­nage est consi­dé­ré comme un double néfaste du Christ, ayant pour fonc­tion de détour­ner l’œuvre chris­tique et par son impos­ture d’in­flé­chir la marche de l’his­toire pour que celle-ci prenne un mau­vais tour­nant. Je me gar­de­rai bien ici de com­men­ter quoi que ce soit sur cette his­toire que les Chré­tiens connaissent à la lec­ture des Épîtres de Jean et qu’on retrouve aus­si dans la mytho­lo­gie juive sous le nom d’an­ti-mes­sie et dans les hadîth musul­mans sous le nom de Masih ad-Daj­jâl (le faux mes­sie). L’o­ri­gine de ce type de figure peut tou­jours paraître un peu obs­cure, mais il faut regar­der dans la longue his­toire de la reli­gion juive pour en retrou­ver des traces et c’est ici qu’in­ter­vient un autre per­son­nage ; Armi­lus ou Armil­lus, ארמילוס‎ (Armi­los) en hébreu. L’o­ri­gine de ce nom est incon­nue, bien qu’on en retrouve des traces dans le Sefer Zerub­ba­bel, dans l’Apo­ca­lypse du pseu­do-Méthode ain­si que dans le Midrash Vayo­sha où il appa­raît sous la forme d’un roi qui ver­ra son avè­ne­ment à la fin des temps. La plu­part des sources qui citent Armil­lus prennent leurs sources dans des textes méso­po­ta­miens ou syriaques, et pour cause, puis­qu’on sup­pose qu’il est un double d’une autre his­toire, plus ancienne encore et c’est dans cette niche qu’in­ter­vient le mythe de Teshup (Teshub) au sein du Chant d’Ul­li­ku­mi, un chant pro­ve­nant de la civi­li­sa­tion hit­tite (cen­trée sur l’A­na­to­lie), qui s’est elle-même réap­pro­prié une vieille légende hourrite. 

Le peuple des Hour­rites trouve son ori­gine deux mil­lé­naires av. J.-C. dans le bas­sin méso­po­ta­mien et par­lait une langue répu­tée être la plus ancienne langue indo-euro­péenne connue. C’est dans ce recoin de l’his­toire que prend forme la légende d’Ar­mil­lus auprès d’un per­son­nage nom­mé Teshup, roi des dieux du pan­théon hour­rite qui com­plote pour prendre la place de son père, le dieu Kumar­bi, dont le chant épo­nyme a été repris en par­tie par Hésiode dans sa Théo­go­nie. C’est dans cet acte de vou­loir prendre la place de entre le père et le fils bila­té­ra­le­ment que le paral­lèle se fait entre les deux légendes et se forge dans le temps jus­qu’à nos mythes fon­da­teurs au tra­vers d’un phé­no­mène étrange ; la sub­stan­tia­tion dans la pierre et la véné­ra­tion des pierres, comme on peut le voir dans les reli­gions anté-isla­miques. Voi­ci ce qu’en dit Fatih Cimok :

La légende escha­to­lo­gique juive de Armil­lus, l’An­té­christ semble avoir été ins­pi­rée par l’é­po­pée hour­rite du « Chant d’Ul­li­kum­mi ». Le sujet de ce mythe hour­rite est la ten­ta­tive du dieu de l’o­rage, Kumar­bi, de détrô­ner son fils Teshup, qui l’a­vait lui-même évin­cé. Kumar­bi fécon­da « le som­met d’une grande mon­tagne » qui enfan­ta Ulli­kum­mi, un monstre aveugle et sourd fait de dio­rite. Teshup grim­pa au som­met du mont Haz­zi, à l’embouchure de l’O­ronte pour obser­ver ce monstre de pierre pous­sé hors de la mer, aujourd’­hui le golfe d’İsk­end­er­un. A la fin de l’his­toire, les dieux entrèrent en guerre contre le monstre et sem­blèrent l’a­voir vain­cu. Le thème de la nais­sance à par­tir de la roche semble avoir été rap­por­té par les Hour­rites du Nord-Est de la Méso­po­ta­mie. Cette idée était fami­lière aux Sémites occi­den­taux qui révé­raient des rochers ani­més, pou­vant êtres consi­dé­ré comme les mères sym­bo­liques des êtres humains. Ain­si Jéré­mie (2:27) reproche à ses com­pa­triotes de suivre des étran­gers qui disent au bois : « Tu es mon père ! » et à la pierre : « Toi, tu m’as enfan­té ! ». On ren­contre ce concept plu­sieurs fois dans la Bible, par exemple dans Isaïe (51:1–2), Abra­ham et Sarah sont com­pa­rés à des rochers qui ont don­né nais­sance au peuple d’Is­raël : « Regar­dez le rocher d’où l’on vous a tirés… Regar­dez Abra­ham votre père et Sarah qui vous a enfan­tés ». De même on retrouve cette image dans l’é­van­gile selon Saint Mat­thieu (3:9) lorsque Jean le Bap­tiste dit « Dieu peut, des pierres [de l’hé­breu aba­nim] que voi­ci, faire sur­gir des enfants [de l’hé­breu banim] à Abra­ham », et répé­tée dans l’é­van­gile selon Saint Luc (3:8). Selon la légende de Armillus :

Il existe à Rome une pierre de marbre, et elle a la forme d’une jolie fille. Elle fut créée durant les six jours de la Créa­tion. Des gens sans valeur venus des nations viennent et l’a­busent et elle devint enceinte et à la fin des neuf mois elle éclate et un enfant mâle en sort de la forme d’un homme dont la hau­teur est de douze cubes et dont la lar­geur est de deux cubes. Ses yeux sont rouges et tors, les che­veux de sa tête sont rouges comme de l’or, et les empreintes de ses pieds sont vertes et il a deux crânes. Ils l’ap­pellent Armillus.

Fatih Cimok, Ana­to­lie biblique, de la Genèse aux Conciles
A Turizm Yayın­ları, İst­anb­ul, 2010

Une his­toire tout à fait sur­pre­nante qui fait appel aux mys­tères ori­gi­nels de la Créa­tion et aux mythes de la Des­truc­tion. L’Α et l’Ω en somme.

Je suis l’al­pha et l’o­mé­ga, dit le Sei­gneur Dieu, celui qui est, qui était, et qui vient, le Tout Puissant.
Εγώ ειμι το Αλφα και το Ωμεγα, λέγει κύριος ο θεός, ο ων και ο ην και ο ερχόμενος, ο παντοκράτωρ.

Apo­ca­lypse 1:8

Chrisme

Sources :

Image d’en-tête : Ren­contre de la pro­ces­sion des dieux menés par le Dieu de l’O­rage du Hatti/Teshub (à gauche) et la pro­ces­sion des déesses menées par la Déesse-Soleil d’Arinna/Hebat (à droite). Des­sin d’un bas-relief de la Chambre A de Yazılı­kaya par Charles Texier.

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