Les mys­tères de la Gue­ni­zah du Caire

Les mys­tères de la Gue­ni­zah du Caire

Dans les anciens royaumes boud­dhistes, il n’est pas rare de trou­ver des caches ou des salles annexes rem­plies des sta­tues de Boud­dha ou de bod­hi­satt­vas qui ont été offerts en offrande au temple, et que les textes — ou l’é­thique — inter­disent de détruire ou de se débar­ras­ser. Il se trouve sim­ple­ment que la place finit par man­quer. De la même manière, les syna­gogues sont en règle géné­rale, si la place le per­met, équi­pées d’une petite salle ser­vant de remise pour les objets cultuels ou les écrits sur les­quels figurent au moins un des sept noms de Dieu. Puis­qu’il est inter­dit d’ef­fa­cer le nom de Dieu ou de détruire le docu­ment sur lequel il est ins­crit, il faut donc remi­ser le docu­ment dans un lieu sacré, mais à l’é­cart de l’es­pace prin­ci­pal de culte. Ain­si existent ces petites salles dans les syna­gogues qu’on appellent gue­ni­za ou gue­ni­zah (גניזה). Si le terme hébreu désigne un endroit de mise en dépôt, il signi­fie éga­le­ment pré­ser­va­tion.

Synagogue Ben Ezra (intérieur) - Le Caire

Syna­gogue Ben Ezra (inté­rieur) — Le Caire

La gue­ni­zah la plus connue est celle que l’on nomme gue­ni­zah du Caire, que l’on trouve dans une petite syna­gogue du Caire, la syna­gogue Ben Ezra. Cette syna­gogue, lieu de culte juif situé en terre d’is­lam, porte en elle une his­toire par­ti­cu­lière ; située dans un vieux quar­tier cai­rote, au des­sus du por­tail sud de la Cita­delle de Baby­lone, à deux pas du Nil, elle est construite sur le lieu exact où Moïse aurait été recueilli dans son panier aqua­tique. On trouve éga­le­ment dans les envi­rons l’é­trange et célèbre église sus­pen­due (Al-Kanî­sah al-Mu’al­la­qah) qui fut autre­fois le siège du patriar­cat copte, ain­si que le monas­tère Saint-Georges, haut lieu de l’or­tho­doxie d’Égypte. Non loin de là, on trou­vé éga­le­ment l’É­glise d’Abou Ser­ga, lieu sup­po­sé où Marie, Joseph et l’en­fant Jésus se réfu­gièrent lor­qu’­Hé­rode ordon­na l’exé­cu­tion des enfants du Royaume. En clair, dans ce Vieux Caire sont ras­sem­blées toutes les reli­gions du livre.

Les Juifs gui­dés par Jéré­mie lors de l’exode baby­lo­nienne sous Nabu­cho­do­no­sor II, y construi­sirent la pre­mière syna­gogue dans laquelle ils dépo­sèrent à l’in­té­rieur de la gue­ni­zah la Torah inache­vée du scribe Esdras (Ezra — עזרא הסופר). A plu­sieurs reprises dans son his­toire, le lieu fut dévas­té puis recons­truit, mais éton­nam­ment, la gue­ni­zah fut pré­ser­vée, ain­si que les docu­ments qui s’y trouvent. Ain­si, ce sont plus de 250 000 docu­ments, rédi­gés en hébreu, qu’on a pu mettre à jour dans cette petite salle.

Solomon Schechter étudiant les manuscrits de la guenizah de la synagogue Ben Ezra au Caire

Solo­mon Schech­ter étu­diant les manus­crits de la gue­ni­zah de la syna­gogue Ben Ezra au Caire

Le doc­teur Solo­mon Schech­ter, un éru­dit mol­dave exi­lé ensuite aux États-Unis où il fon­da le conser­va­tisme juif amé­ri­cain se fixa comme objec­tif de recen­ser les ouvrages conser­vés ici. A par­tir de 1896, il pas­sa son temps à décor­ti­quer les lignes, dans la pous­sière nocive de ce lieu éteint et secret qui alté­ra pro­fon­dé­ment sa san­té et fit des décou­vertes excep­tion­nelles. La plus impor­tante pièce de cette col­lec­tion se trouve être pré­ci­sé­ment la Torah inache­vée d’Ez­ra, mais éga­le­ment le contrat de mariage d’un rab­bin égyp­tien ayant vécu au XIIIème siècle, Avra­ham Maï­mo­nide, fils de Moïse Maï­mo­nide, célèbre rab­bin anda­lou, une Torah écrite sur une peau de gazelle remon­tant au Vème siècle AEC et enfin, deux exem­plaires d’un extrait du Manus­crit de Qum­rân qui n’a­vait pas encore été décou­vert lors du recensement.

Lettre autographe d’Avraham Maïmonide, conservée à la Gueniza du Caire

Lettre auto­graphe d’Avraham Maï­mo­nide, conser­vée à la Gue­ni­za du Caire

Tous ces docu­ments ont per­mis d’a­voir une vision pro­fonde des mœurs juifs en terre d’is­lam puisque nombre d’entre eux per­mettent de connaître la manière dont on par­lait l’a­rabe au début de la conquête de l’Égypte par les peuples arabes, mais éga­le­ment, puisque beau­coup de ces docu­ments sont des actes de la vie quo­ti­dienne admi­nis­tra­tive, de com­prendre com­ment évo­luait cette socié­té dans ces rap­ports de coha­bi­ta­tion entre les dif­fé­rentes reli­gions. La syna­gogue telle qu’on peut la voir aujourd’­hui a été réno­vée il y a peu, mais la majeure par­tie du bâti­ment est iden­tique à la syna­gogue recons­truite en 1115, ce qui en fait une des plus anciennes syna­gogues du monde. Aujourd’­hui, la tota­li­té des docu­ments sont dis­per­sés et conser­vés dans des biblio­thèques amé­ri­caines ou anglaises.

Synagogue Ben Ezra - Le Caire

Syna­gogue Ben Ezra — Le Caire

Synagogue Ben Ezra (localisation) - Le Caire

Loca­li­sa­tion de la Syna­gogue Ben Ezra du Caire sur Google Maps

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Doğu din­leme n°3 : Mor Karbasi

Doğu din­leme n°3 : Mor Karbasi

Troi­sième album de cette jolie fille venue de Jéru­sa­lem, à la croi­sée des cultures médi­ter­ra­néennes. Ascen­dances perses, maro­caines, juives, elle mêle sa voix cris­tal­line et légè­re­ment trem­blante à une langue que vous aurez peut-être du mal à recon­naître, même si on y res­sent clai­re­ment des accents espa­gnols. En effet, cette langue est le ladi­no, la langue uti­li­sée par les Juifs espa­gnols dans leur longue errance, jus­qu’au bas des murailles de Constantinople.

Mor Karbasi

Mor Kar­ba­si chante l’op­pres­sion des séfa­rades sur des airs qui frisent le fla­men­co ou le fado, passe par l’é­mo­tion sur des musiques aux accents égyp­tiens ou maro­cains, avec une grâce superbe qui ne peut lais­ser de marbre et qui fait d’elle la cour­roie de trans­mis­sion de cette langue qui tend à disparaître.

  • 2008 : The Beau­ty and the Sea
  • 2011 : Daugh­ter of the Spring
  • 2013 : La Tsa­di­ka

Site offi­ciel : morkarbasi.com/

ℑ — Doğu din­leme n°2 : Mer­can Dede

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Le chant d’Ul­li­kum­mi, la pierre de Rome et Armil­lus, l’Antéchrist

Le chant d’Ul­li­kum­mi, la pierre de Rome et Armil­lus, l’Antéchrist

Le clergé catholique au service de l’Antéchrist (« Unterscheid zwischen der waren Religion Christi und falschen Abgöttischenlehr des Antichrists in den fürnemsten Stücken ») Gravure sur bois en deux parties de Lucas Cranach l’Ancien (1472 – 1553), 1ère moitié du XVIe siècle (reproduit dans : The German Single-Leaf Woodcut : 1550 – 1600, ed. Max Geisberg, New-York, 1974, vol. 2, p. 619)

Le cler­gé catho­lique au ser­vice de l’Antéchrist (« Unter­scheid zwi­schen der waren Reli­gion Chris­ti und fal­schen Abgöt­ti­schen­lehr des Anti­christs in den für­nem­sten Stü­cken »)
Gra­vure sur bois en deux par­ties de Lucas Cra­nach l’Ancien (1472 – 1553), 1ère moi­tié du XVIe siècle (repro­duit dans : The Ger­man Single-Leaf Wood­cut : 1550 – 1600, ed. Max Geis­berg, New-York, 1974, vol. 2, p. 619)

J’ai trou­vé dans le livre de Fatih Cimok (Ana­to­lie Biblique, de la Genèse aux Conciles) une légende fai­sant appel à la fois au Déluge, aux peuples Hour­rites et à un des mythes de la Bible les plus inquié­tant ; celui de l’Antéchrist.
Dans la légende du Déluge, que ce soit celui des Chré­tiens ou celui dont j’ai déjà par­lé lors­qu’il était ques­tion du Mont Ara­rat, il est ques­tion au tra­vers de cette épi­pha­nie d’un moment de puri­fi­ca­tion du mal sur Terre par l’eau, ce que l’on peut tra­duire dans une cer­taine mesure comme une méta­phore à une dif­fé­rente échelle du bap­tême. Mais après le déluge ? Non, il n’est pas ques­tion ici de l’a­pho­risme de Madame de Pom­pa­dour, « Après moi, le déluge… » mais bel et bien de ce qui s’est pas­sé après que la Terre fut enva­hie par l’eau, que Noé se retrou­va per­ché sur Ara­rat et qu’il repeu­pla la terre par sa pro­gé­ni­ture (Table des Nations) en la per­sonne de ses fils, Sem, Cham et Japhet et de leurs enfants.

Monstres nés du Déluge, Chroniques de Nuremberg, 1493

Dans les croyances popu­laires, des monstres sont nés du déluge, comme en témoignent les Chro­niques de Nurem­berg écrites en 1493 par l’hu­ma­niste Hart­mann Sche­del. Il est d’autre part ques­tion dans l’An­cien Tes­ta­ment, d’un pas­sage peu connu (l’An­cien Tes­ta­ment est de toute façon trop peu connu, les Chré­tiens pré­fé­rant s’ex­ta­sier sur la vie par­faite et tra­gique du Christ) du Livre des Nombres. Dans ce livre, il est ques­tion d’une race de géants appe­lés les Nephi­lim (הנּפלים: géant) :

27 Voi­ci ce qu’ils [les chefs des douze tri­bus envoyés par Moïse en mis­sion de repé­rage] racon­tèrent à Moïse : « Nous sommes allés dans le pays où tu nous as envoyés. À la véri­té, c’est un pays où coulent le lait et le miel, et en voi­ci les fruits.
28 Mais le peuple qui habite ce pays est puis­sant, les villes sont for­ti­fiées, très grandes ; nous y avons vu des enfants d’Anak.
29 Les Ama­lé­cites habitent la contrée du midi ; les Héthiens, les Jébu­séens et les Amo­réens habitent la mon­tagne ; et les Cana­néens habitent près de la mer et le long du Jourdain. »
30 Caleb fit taire le peuple, qui mur­mu­rait contre Moïse. Il dit : « Mon­tons, empa­rons-nous du pays, nous y serons vainqueurs ! »
31 Mais les hommes qui y étaient allés avec lui dirent : « Nous ne pou­vons pas mon­ter contre ce peuple, car il est plus fort que nous. »
32 Et ils décrièrent devant les enfants d’Is­raël le pays qu’ils avaient explo­ré. Ils dirent : « Le pays que nous avons par­cou­ru, pour l’ex­plo­rer, est un pays qui dévore ses habi­tants ; tous ceux que nous y avons vus sont des hommes d’une haute taille ;
33 et nous y avons vu les nephi­lim, enfants d’A­nak, de la race des nephi­lim : nous étions à nos yeux et aux leurs comme des sauterelles.

Nombres, 13, 27–33

Albrecht Dürer - Révélation de Saint-Jean (12) Le monstre des mers et la Bête à cornes d'agneau

Albrecht Dürer — Révé­la­tion de Saint-Jean (12) Le monstre des mers et la Bête à cornes d’agneau

Les Nephi­lim, per­son­nages pour le moins mys­té­rieux ont été assi­mi­lés, dans cer­taines inter­pré­ta­tions, à des anges déchus, que le pas­sage du Déluge aurait eu pour mis­sion d’ex­ter­mi­ner en tant que tel. L’hé­breu nephel désigne qui celui qui tombe (ליפול). Dans cette ambiance inquié­tante appa­rait un per­son­nage qu’on retrouve dans nombres de récits éso­té­riques et escha­to­lo­giques, sou­vent inté­gré aux théo­ries com­plo­tistes ; l’Anté­christ. Ce per­son­nage est consi­dé­ré comme un double néfaste du Christ, ayant pour fonc­tion de détour­ner l’œuvre chris­tique et par son impos­ture d’in­flé­chir la marche de l’his­toire pour que celle-ci prenne un mau­vais tour­nant. Je me gar­de­rai bien ici de com­men­ter quoi que ce soit sur cette his­toire que les Chré­tiens connaissent à la lec­ture des Épîtres de Jean et qu’on retrouve aus­si dans la mytho­lo­gie juive sous le nom d’an­ti-mes­sie et dans les hadîth musul­mans sous le nom de Masih ad-Daj­jâl (le faux mes­sie). L’o­ri­gine de ce type de figure peut tou­jours paraître un peu obs­cure, mais il faut regar­der dans la longue his­toire de la reli­gion juive pour en retrou­ver des traces et c’est ici qu’in­ter­vient un autre per­son­nage ; Armi­lus ou Armil­lus, ארמילוס‎ (Armi­los) en hébreu. L’o­ri­gine de ce nom est incon­nue, bien qu’on en retrouve des traces dans le Sefer Zerub­ba­bel, dans l’Apo­ca­lypse du pseu­do-Méthode ain­si que dans le Midrash Vayo­sha où il appa­raît sous la forme d’un roi qui ver­ra son avè­ne­ment à la fin des temps. La plu­part des sources qui citent Armil­lus prennent leurs sources dans des textes méso­po­ta­miens ou syriaques, et pour cause, puis­qu’on sup­pose qu’il est un double d’une autre his­toire, plus ancienne encore et c’est dans cette niche qu’in­ter­vient le mythe de Teshup (Teshub) au sein du Chant d’Ul­li­ku­mi, un chant pro­ve­nant de la civi­li­sa­tion hit­tite (cen­trée sur l’A­na­to­lie), qui s’est elle-même réap­pro­prié une vieille légende hourrite. 

Le peuple des Hour­rites trouve son ori­gine deux mil­lé­naires av. J.-C. dans le bas­sin méso­po­ta­mien et par­lait une langue répu­tée être la plus ancienne langue indo-euro­péenne connue. C’est dans ce recoin de l’his­toire que prend forme la légende d’Ar­mil­lus auprès d’un per­son­nage nom­mé Teshup, roi des dieux du pan­théon hour­rite qui com­plote pour prendre la place de son père, le dieu Kumar­bi, dont le chant épo­nyme a été repris en par­tie par Hésiode dans sa Théo­go­nie. C’est dans cet acte de vou­loir prendre la place de entre le père et le fils bila­té­ra­le­ment que le paral­lèle se fait entre les deux légendes et se forge dans le temps jus­qu’à nos mythes fon­da­teurs au tra­vers d’un phé­no­mène étrange ; la sub­stan­tia­tion dans la pierre et la véné­ra­tion des pierres, comme on peut le voir dans les reli­gions anté-isla­miques. Voi­ci ce qu’en dit Fatih Cimok :

La légende escha­to­lo­gique juive de Armil­lus, l’An­té­christ semble avoir été ins­pi­rée par l’é­po­pée hour­rite du « Chant d’Ul­li­kum­mi ». Le sujet de ce mythe hour­rite est la ten­ta­tive du dieu de l’o­rage, Kumar­bi, de détrô­ner son fils Teshup, qui l’a­vait lui-même évin­cé. Kumar­bi fécon­da « le som­met d’une grande mon­tagne » qui enfan­ta Ulli­kum­mi, un monstre aveugle et sourd fait de dio­rite. Teshup grim­pa au som­met du mont Haz­zi, à l’embouchure de l’O­ronte pour obser­ver ce monstre de pierre pous­sé hors de la mer, aujourd’­hui le golfe d’İsk­end­er­un. A la fin de l’his­toire, les dieux entrèrent en guerre contre le monstre et sem­blèrent l’a­voir vain­cu. Le thème de la nais­sance à par­tir de la roche semble avoir été rap­por­té par les Hour­rites du Nord-Est de la Méso­po­ta­mie. Cette idée était fami­lière aux Sémites occi­den­taux qui révé­raient des rochers ani­més, pou­vant êtres consi­dé­ré comme les mères sym­bo­liques des êtres humains. Ain­si Jéré­mie (2:27) reproche à ses com­pa­triotes de suivre des étran­gers qui disent au bois : « Tu es mon père ! » et à la pierre : « Toi, tu m’as enfan­té ! ». On ren­contre ce concept plu­sieurs fois dans la Bible, par exemple dans Isaïe (51:1–2), Abra­ham et Sarah sont com­pa­rés à des rochers qui ont don­né nais­sance au peuple d’Is­raël : « Regar­dez le rocher d’où l’on vous a tirés… Regar­dez Abra­ham votre père et Sarah qui vous a enfan­tés ». De même on retrouve cette image dans l’é­van­gile selon Saint Mat­thieu (3:9) lorsque Jean le Bap­tiste dit « Dieu peut, des pierres [de l’hé­breu aba­nim] que voi­ci, faire sur­gir des enfants [de l’hé­breu banim] à Abra­ham », et répé­tée dans l’é­van­gile selon Saint Luc (3:8). Selon la légende de Armillus :

Il existe à Rome une pierre de marbre, et elle a la forme d’une jolie fille. Elle fut créée durant les six jours de la Créa­tion. Des gens sans valeur venus des nations viennent et l’a­busent et elle devint enceinte et à la fin des neuf mois elle éclate et un enfant mâle en sort de la forme d’un homme dont la hau­teur est de douze cubes et dont la lar­geur est de deux cubes. Ses yeux sont rouges et tors, les che­veux de sa tête sont rouges comme de l’or, et les empreintes de ses pieds sont vertes et il a deux crânes. Ils l’ap­pellent Armillus.

Fatih Cimok, Ana­to­lie biblique, de la Genèse aux Conciles
A Turizm Yayın­ları, İst­anb­ul, 2010

Une his­toire tout à fait sur­pre­nante qui fait appel aux mys­tères ori­gi­nels de la Créa­tion et aux mythes de la Des­truc­tion. L’Α et l’Ω en somme.

Je suis l’al­pha et l’o­mé­ga, dit le Sei­gneur Dieu, celui qui est, qui était, et qui vient, le Tout Puissant.
Εγώ ειμι το Αλφα και το Ωμεγα, λέγει κύριος ο θεός, ο ων και ο ην και ο ερχόμενος, ο παντοκράτωρ.

Apo­ca­lypse 1:8

Chrisme

Sources :

Image d’en-tête : Ren­contre de la pro­ces­sion des dieux menés par le Dieu de l’O­rage du Hatti/Teshub (à gauche) et la pro­ces­sion des déesses menées par la Déesse-Soleil d’Arinna/Hebat (à droite). Des­sin d’un bas-relief de la Chambre A de Yazılı­kaya par Charles Texier.

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Et pour­quoi pas alors un lieu où pour­raient se retrou­ver des Juifs et des musulmans ?

Si un jour vous allez à Istan­bul, vous pour­rez voir à quel point les Turcs musul­mans ont été res­pec­tueux des lieux de prière chré­tiens en les conver­tis­sant en mos­quées lors­qu’en 1453 ils conquirent la Rome d’O­rient, en répan­dant sur le sol de l’eau de rose et en badi­geon­nant d’une simple épais­seur de chaux blanche les repré­sen­ta­tions non conformes à l’es­prit de la reli­gion. Moham­med Aïs­saoui, dans L’étoile jaune et le crois­sant, nous parle de l’Al­gé­rie qui accueillait des Juifs et en par­ti­cu­lier d’O­ran où se trouve une des plus grandes syna­gogues d’A­frique du Nord ; si elle fut confis­quée en 1972, elle fut sim­ple­ment conver­tie en mos­quée, dans le res­pect des confes­sions, ce qui laisse l’au­teur son­geur sur ces lieux qui n’ont pas de mémoire et qui auraient voca­tion à rap­pro­cher les Hommes.

Synagogue d'Oran

Syna­gogue d’Oran

Ain­si, cette grande syna­gogue d’O­ran a été trans­for­mée en mos­quée sans aucune retouche. Ça ne remonte pas à si long­temps — c’é­tait en 1975. Je croyais que les lieux avaient une âme, un esprit. Qu’ils pou­vaient être purs, ou impurs. Je suis éton­né de voir le ven­dre­di une foule de musul­mans entrer dans cette syna­gogue… par­don, dans cette mos­quée. Ain­si, les lieux n’au­raient pas de mémoire. Une syna­gogue peut deve­nir une mos­quée, et ça n’a l’air de gêner per­sonne — alors que vous n’ar­ri­vez pas à faire man­ger un musul­man dans une assiette déjà uti­li­sée par un Juif. Et vice versa.

Intérieur de la synagogue d'Oran

Inté­rieur de la syna­gogue d’Oran

La légende dit que l’on aurait ame­né dans cette syna­gogue des pierres de Jéru­sa­lem. On y met les pieds, on prie, on espère. Des Juifs y ont prié, espé­ré… Puis, des musul­mans y ont prié, espé­ré. Et pour­quoi pas alors un lieu où pour­raient se retrou­ver des Juifs et des musul­mans ? Par­fois les hommes me sidèrent.
A Alger aus­si, des syna­gogues ont été trans­for­mées en mosquées.
Dans les docu­ments retrou­vés aux archives d’O­ran, je lis des phrases qui sur­pren­draient aujourd’­hui, et je sou­ris. Un exemple, déni­ché dans une sorte d’at­las de l’é­poque : « En 1938, la France compte 25 mil­lions de sujets musul­mans. » Ça me fait sou­rire, parce que les nos­tal­giques de l’an­cien empire colo­nial n’y avaient pas pen­sé. « La France compte 25 mil­lions de musul­mans », la phrase effraie­raient cer­tains aujourd’hui…

Moham­med Aïs­saoui, L’étoile jaune et le croissant
Gal­li­mard, 2012

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Moham­med V, pro­tec­teur des Juifs au Maroc

Moham­med V, pro­tec­teur des Juifs au Maroc

C’é­tait un roi comme les autres après tout, peut-être un peu plus qu’un roi puis­qu’il fut aus­si sul­tan, mais aus­si parce qu’il est consi­dé­ré comme le père fon­da­teur de la nation maro­caine moderne et qu’il fut déco­ré par le géné­ral de Gaulle. Moham­med Aïs­saoui, dans son livre L’é­toile jaune et le crois­sant, nous fait une brève des­crip­tion de l’at­ti­tude qu’eut Moham­med V envers les Juifs ins­tal­lés au Maroc depuis des géné­ra­tions. Si la France atten­dait de lui qu’il eut un rôle pré­pon­dé­rant dans les rafles qui auraient per­mis aux Alle­mands de dépor­ter les res­sor­tis­sants maro­cains de confes­sion juive, le monarque se com­por­ta en juste, ce qui fait de lui un poten­tiel can­di­dat au titre de « juste par­mi les nations » auprès du mémo­rial de Yad Vashem, ce qui ferait de lui le pre­mier musul­man de l’his­toire (car il y en eut d’autres) à por­ter ce titre.

Le sultan chérifien Mohammed V du Maroc

Le sul­tan ché­ri­fien Moham­med V du Maroc

Par son com­por­te­ment durant la Seconde Guerre mon­diale, Moham­med V fait la fier­té des Maro­cains et de tous les Magh­ré­bins qui n’ont jamais ver­sé dans l’an­ti­sé­mi­tisme. On connaît la légende du roi du Dane­mark qui aurait por­té l’é­toile jaune durant l’Oc­cu­pa­tion — mais ce n’est qu’une légende. On connaît moins celle du roi du Maroc, celle-là cor­ro­bo­rée par des faits. Alors sous pro­tec­to­rat fran­çais, le sul­tan a refu­sé que les Juifs de l’empire ché­ri­fien arborent l’é­toile jaune comme en France et comme vou­lait le lui impo­ser le gou­ver­ne­ment de Vichy. A l’é­poque, il y avait 200 000 Juifs au Maroc, le résident géné­ral Noguès repré­sen­tant de Vichy avait fait pré­pa­rer 200 000 étoiles jaunes. Serge Ber­du­go a racon­té que le sul­tan aurait alors répon­du à Noguès qu’il lui fal­lait rajou­ter une cin­quan­taine d’é­toiles jaunes : pour lui et les membres de sa famille. La phrase attri­buée à Moham­med V qui revient le plus sou­vent lorsque l’on évoque les années d’Oc­cu­pa­tion au Maroc est : « Les Juifs maro­cains sont mes sujets, et comme tous les autres sujets, il est de mon devoir de les pro­té­ger. » Il est clair que le sul­tan du Maroc a fait preuve de résis­tance face aux nazis, au moins une résis­tance pas­sive, en pre­nant par exemple tout son temps pour signer les décrets, et qu’il a pro­té­gé comme il a pu les Juifs de son royaume.

Moham­med Aïs­saoui, L’é­toile jaune et le croissant
Gal­li­mard, 2012

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