Florence est une ville qui permet qu’on se perde sans avoir peur, sans craindre quoi que ce soit. Je ne sais pas ce qui pourrait être le pire à Florence. Ce midi là, en sortant du restaurant, l’estomac gonflé de produits du crû, l’air un peu perdu et absent, encore un peu absorbé par les vapeurs du spumante, je passe par la Piazza della Signoria et je m’éclipse dans les petites rues. Je n’ai aucun but pour cet après-midi, rien de spécial, quelques idées qui traînent ça et là.
Je me retrouve au pied de la Badia fiorentina dans laquelle je suis entré la veille pour retrouver cette impression de paix qui m’a saisi. La lumière entre par des fenêtres hautes qui donne au lieu une touche irréelle, quelque chose du divin qui viendrait s’interposer entre l’église et moi. Je m’assois là quelques instants pour goûter ce silence qui n’existe nulle part ailleurs sur terre.
Je me réveille à 3h00 du matin comme avec la gueule de bois, la bouche sèche et une grande envie de boire. Je soupçonne que ce soit la pizza arrosée au Chianti qui ait bousculé mes habitudes culinaires, alors j’essaie de me rendormir et je me réveille à nouveau deux heures plus tard en ayant l’impression de n’être pas du tout reposé. Dans ma cellule de moine au plafond haut, j’ai comme le vertige, et je finis quand-même par me rendormir.
Je vais prendre mon petit déjeuner dans la salle commune où je me gave de petits cakes et d’un lait chaud qu’on croirait directement sorti du pis de la vache. Et puis du café, plusieurs tasses de café. L’Italie, c’est un peu le pays du café, alors quand vous demandez un café et qu’on vous amène un pisse d’âne digne d’un fast-food, vous levez les mains au ciel et vous dites tout haut « ma che cosa è ? ». La dame qui fait le service m’explique qu’il y a une différence substantielle entre café et expresso. Le café, c’est le café américain (tiens ? ils savent faire du café les Américains ?) qui n’est autre que le café cafetière qu’on connait chez nous et l’expresso c’est ce qui est l’âme de l’Italie, une décoction passée au percolateur à toute vitesse sur une petite dose de café qui a à peine le temps de se charger en caféine…
Je compte me diriger vers San Marco ce matin, revoir les fresques de Fra Angelico et notamment celle de la cellule 13 qui porte ce nom très poétique, Noli me tangere qui est à mon sens une des plus belles et des plus chargées en sens des fresques du moine dominicain. Je repasse donc devant San Lorenzo, nimbée de soleil, mais je me sens comme dévié et finalement je me dis que je vais entrer dans la basilique. Il y a un peu de queue mais je prends sur moi et je me sens dépité lorsque je me rends compte que l’entrée est payante… J’en parlerai plus tard, mais deux choses m’ont passablement énervé à Florence ; le fait qu’il faille payer pour entrer dans les églises et le fait qu’on ne puisse faire de photo nulle part à l’intérieur des monuments qui sont justement payants.
San Lorenzo donc, je n’y étais jamais entré. C’est encore Brunelleschi qui est coupable de cette architecture qui déploie sa perspective vers un chœur profond, autour de colonnes massives. C’est ici qu’on se rend compte à quel point les maîtres italiens se sont emparés de leur passé et ont porté l’idéal classique à son apogée. Je dis que c’est ici, mais c’est aussi dans plusieurs autres monuments florentins.
La nef est une des plus lumineuses qu’on puisse trouver dans une église et on pourra remarquer que cette impression de grandeur est accentuée par l’utilisation de cette pierre superbe aux reflets bleus qu’est la pietra serena, pierre endémique de la région de Florence. (more…)
Quittant la place du Duomo dont les cloches se mettent à valser dans tous les sens, je descends la Via de Calzaioli qui mène vers l’autre cœur de la ville, la Piazza della Signoria avec son Palazzo Vecchio, majesteux édifice de pierre moyenâgeux bardé d’écussons. Dans cette rue donc, je vois un visage dont je n’avais pas souvenir, une Florence de façade, semi-vitrine de luxe des quartiers riches, mais je me rabroue un peu vite en me disant que depuis le Moyen-Âge, cette ville a toujours été riche, sinon la création artistique n’y aurait pas été si foisonnante. Dans cette rue donc, je tombe sur un bâtiment somptueux, une sorte d’oratoire carré aux façades remplies de statues enchâssées dans leur niche finement ciselée. C’est Orsanmichele. Orsanmichele doit son nom étrange au fait qu’il est construit sur l’emplacement de l’ancien Saint-Michel-au-jardin (San Michele in orto ou Orto San Michele et donc par élision, Or’ San Michele) et ce n’est pas vraiment une église, mais plutôt un oratoire qui a servi également d’entrepôt et donc de marché au grain. L’intérieur contient un tabernacle assez riche que l’on doit à Orcagna, mais ce qui est surtout remarquable, ce sont toutes ces statues de saints qui ornent sa façade qui sont en réalité les saints protecteurs des corporations de marchands de la ville (on en revient à ce que je disais tout à l’heure). Certaines d’entre elles ont été réalisées par Donatello, Ghiberti et Giambologna. Le bâtiment lui-même, malgré son aspect monolithique, semble d’une légèreté impressionnante au regard des dentelles de sculptures qui ornent les niches et les arcades.
Dès mon arrivée, j’ai l’impression d’arriver dans un autre monde. Un personnage campe fermement sur le quai de la gare, le regard sévère, les pieds solidement ancrés sur le sol, les bras croisés. C’est comme un rappel qu’ici encore, la vie est rythmée par la religion…
Je jette un coup d’œil à l’architecture un rien futuriste de l’édifice qui date de 1934 et je me vois projeté des années en arrière, lorsque nous sommes arrivés avec notre petit groupe dans cette même gare, au même endroit. J’avais simplement 20 ans de moins.
En sortant du bâtiment, on se trouve nez à nez avec la très majestueuse église Santa Maria Novella dans laquelle se trouvent de petits trésors de la peinture renaissante. Pour l’instant, l’heure est à la prise de pouvoir, je veux aller déposer ma valise à l’hôtel. Il se trouve à deux pas de la gare dans une ruelle interdite à la circulation, la via Faenza.
Sur un mur, quelqu’un me demande si je vis bien. Oui, tout se passe bien pour l’instant, merci.
Dans la veine des compositeurs un peu confidentiels se trouve un homme qui fut en son temps un compositeur prodigue, même si son rôle resta plutôt anecdotique. En effet, Antonio Bertali ne reçut que le titre de maître de chapelle au cours de sa carrière. Tandis que les compositeurs allemands ou autrichiens de l’époque avaient tendance à s’expatrier vers l’Italie pour y recevoir une formation des plus grands maîtres, Bertali, lui, décida de quitter sa Vérone natale pour rejoindre Vienne et se mettre au service de l’empereur Ferdinand III. Si son œuvre s’est perdue pour partie dans la nature, il reste tout de même un des fondateurs des bases de l’opéra italien. Voici une très belle sonate docue en trois mouvements, extraite de l’album Valoroso produit en 2004, sous la direction de Philippe Pierlot avec le Ricercar Consort. A écouter sans modération.