Mar 21, 2017 | Livres et carnets, Sur les portulans |
L’humour et la connaisÂsance prĂ©Âcise de la marine de Kipling… Un enchanÂteÂment dont j’arrive encore Ă me rĂ©jouir Ă chaque insÂtant, surÂtout avec cette forme d’huÂmour très anglais, très subÂtil, on en resÂsort avec le souÂrire alors que la situaÂtion ne s’y prĂŞte pas vraiment…
L’HalioÂtis avait le choix et ce qu’il choiÂsit dĂ©clenÂcha le dĂ©nouement.
EscompÂtant son moindre tirant d’eau, il essaya de se tirer dans le nord vers un bas fond propice.
L’obus, qui arriÂva en traÂverÂsant la cabine du preÂmier mĂ©caÂniÂcien, fut un cent-vingt-cinq Ă charge, non d’éclatement mais de tir.
On avait visĂ© pour qu’il pasÂsât en traÂvers de sa route et c’est Ă©viÂdemÂment pourÂquoi il Ă©tait venu flanÂquer par terre le porÂtrait de la femme – fort jolie fille d’ailleurs – du preÂmier mĂ©canicien.
Il rĂ©duiÂsit en bois Ă alluÂmettes la toiÂlette d’acajou de cet offiÂcier, franÂchit le couÂloir de la chambre des machines, et, frapÂpant un grillage, tomÂba juste devant la machine avant, oĂą il Ă©claÂta, couÂpa net les bouÂlons reliant la bielle avec la maniÂvelle antĂ©Ârieure. On se doute des consĂ©quences. […]
En bas, on entenÂdait qu’il se pasÂsait quelque chose.
Ça ronÂflait, ça cliÂqueÂtait, ronÂronÂnait, gronÂdait, tocquetait.
Le bruit ne dura guère plus d’une minute.
C’était les machines qui, sous l’inspiration du moment, s’adaptaient aux circonstances.
M. WarÂdrop, un pied sur le grillage supĂ©Ârieur, se penÂcha pour prĂŞÂter l’oreille et laisÂsa Ă©chapÂper un groÂgneÂment douloureux.
On ne stoppe pas en trois secondes des machines marÂchant Ă douze nĹ“uds Ă l’heure, sans y jeter du dĂ©sarroi.
Dans un nuage de vapeur, l’HalioÂtis chasÂsa sur son erre en geiÂgnant comme un cheÂval blessĂ©.
Rien Ă faire.
L’obus à charge réduite avait réglé la situation.
Rudyard Kipling,
in Un beau dimanche anglais.
TraÂduit par Albert Savine, 1931,
Albin Michel
Le texte oriÂgiÂnal est disÂpoÂnible sur le proÂjet GutenÂberg, sous le titre The Devil and the deep sea, in The day’s work.
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Sep 6, 2014 | Histoires de gens, Livres et carnets |
Je ne m’en lasse pas. MonÂsieur le Consul Auguste FranÂçois a touÂjours un bon mot Ă l’atÂtenÂtion de ses amis. Le 13 avril 1900, il est quesÂtion de cigare, un cigare qu’on traite d’une drĂ´le de manière, un cigare qui lui sert d’embarcation.
Lettre d’AuÂguste FranÂçois Ă Jean-BapÂtiste Beau, Wou-TchĂ©ou-Fou, 2 janÂvier 1899
Mon cher ami,
Je suis bien convainÂcu que vous n’aÂvez pas manÂquĂ© de vous demanÂder aujourd’Âhui : « Que fait cet aniÂmal de FranÂçois en ce saint jour du VenÂdreÂdi anniÂverÂsaire de la mort du SeiÂgneur ? » Alors je rĂ©ponds Ă votre quesÂtion, et voici.
ImaÂgiÂnez un cigare, un peu long et pluÂtĂ´t blond : Ă©viÂdez-le par la penÂsĂ©e, de façon Ă ne lui conserÂver que ses feuilles d’enÂveÂloppe ; celles-ci, au lieu de tabac de la Havane, proÂviennent de latoÂniers (PalÂma latoÂnia, en latin). MetÂtez ce cigare Ă l’eau, ce qui est une sinÂguÂlière manière de traiÂter un cigare, mais c’est ainÂsi, vous n’y pouÂvez rien, ni moi non plus. HĂ© bien c’est lĂ -dedans que je vis. On ne s’y tient pas debout, la staÂtion assise et tolĂ©Ârable, si on n’en abuse pas ; la posiÂtion norÂmale y est l’hoÂriÂzonÂtale. Avec le soleil qui tape lĂ -desÂsus, on y jouit, Ă l’inÂtĂ©Ârieur, d’une temÂpĂ©ÂraÂture qui n’est pas de beauÂcoup infĂ©Ârieure Ă celle d’un bon cigare alluÂmĂ© et grâce Ă la cuiÂsine qui se praÂtique Ă l’un des bouts, on y est ausÂsi comÂplèÂteÂment enfuÂmĂ© qu’on peut le dĂ©sirer. […]
PerÂsonÂnelÂleÂment, j’auÂrais bien aimĂ© connaĂ®tre cet homme…
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Sep 5, 2014 | Histoires de gens, Livres et carnets |
VoiÂci un perÂsonÂnage hors du comÂmun. Auguste FranÂçois, nĂ© Ă LunĂ©Âville en 1857, est deveÂnu consul un peu par hasard après avoir Ă©tĂ© rĂ©sident de France au TonÂkin. Son expĂ©Ârience la plus signiÂfiÂcaÂtive, il l’a vĂ©cue en Chine sous la dynasÂtie Qing, dans les xian de Guangxi et du YunÂnan. Il en rapÂporÂteÂra un matĂ©Âriel voluÂmiÂneux, entre phoÂtoÂgraÂphies et Ă©crits, il tourÂneÂra mĂŞme quelques petits films qu’on consiÂdère comme Ă©tant les preÂmiers tĂ©moiÂgnages filÂmĂ©s en Chine.
Il existe une assoÂciaÂtion (AAF) chez qui on peut trouÂver quelques renÂseiÂgneÂments mais la quaÂsi-totaÂliÂtĂ© de ses phoÂtos et de ses carÂnets sont aujourd’Âhui conserÂvĂ©s au MusĂ©e GuiÂmet ou au MusĂ©e du Quai BranÂly, donc inacÂcesÂsibles au profane.
Auguste FranÂçois en 1900 au Tonkin
Ce qui m’a tout de suite interÂpelÂlĂ© chez cet homme, c’est ces yeux clairs, perÂçants, ce regard, Ă la fois froid et espiègle, un tanÂtiÂnet fronÂdeur, et une dĂ©sinÂvolÂture rafÂfiÂnĂ©e, fusil Ă peine reteÂnu dans un main, l’autre dans la poche. Et il souÂrit alors qu’il vient de sauÂver ses camaÂrades du masÂsacre. A cette appaÂrence, on ne peut se dire que l’homme est un drĂ´le, qu’il va nous entraĂ®Âner sur les pentes scaÂbreuses du calemÂbour et du bon mot. Les lettres qu’il Ă©crit Ă son ami Jean-BapÂtiste Beau en sont un bel exemple.
Lettre d’AuÂguste FranÂçois Ă Jean-BapÂtiste Beau, Wou-TchĂ©ou-Fou, 2 janÂvier 1899
Mon cher ami,
En consulÂtant mon calenÂdrier ce matin, j’ai appris que nous Ă©tions au 9e jour de la 12e lune; j’ai vu ensuite que le jour Ă©tait proÂpice pour se raser la tĂŞte et coudre des habits, mais dĂ©ploÂrable pour se couÂper les ongles des mains et des pieds, qu’on pouÂvait sans crainte construire sa maiÂson et mĂŞme y disÂpoÂser la poutre maĂ®Âtresse de sa toiÂture, mais qu’il ne falÂlait pas ce jour-lĂ remonÂter sa penÂdule, ni consulÂter les esprits, ni manÂger du chien. Par contre, c’est un jour fameux pour prendre un bain et pour Ă©crire Ă ses amis. AinÂsi insÂtruit de ce que je peux entreÂprendre dans cette 9e jourÂnĂ©e de la 12e lune, je me suis dit : « Tu vas prendre un tube sĂ©rieux et puis tu Ă©criÂras Ă cet aniÂmal de Beau, sans crainte de l’inÂdisÂpoÂser ou de l’enÂnuyer. » Si j’aÂvais touÂjours consulÂtĂ© mon calenÂdrier, j’auÂrais choiÂsi les jours proÂpices et j’auÂrais connu les moments opporÂtuns pour dire que GĂ©rard est une canaille, car bien Ă©viÂdemÂment c’est indiÂquĂ© dans mon almaÂnach. Or voyez comme cela se trouve, que ce 9e jour de la 12e lune coĂŻnÂciÂdait avec le 1er janÂvier et en mĂŞme temps, en suiÂvant ma route sur ma carte, j’arÂriÂvais au derÂnier trait de carÂmin, c’est-Ă -dire le preÂmier que je traÂçais l’an derÂnier en quitÂtant Wou-TchĂ©ou-Fou ; et en effet, le sifÂfleÂment des vapeurs me confirÂmait que j’éÂtais renÂdu dans ce port ouvert oĂą je vouÂdrais voir Ă©leÂver une staÂtue Ă GĂ©rard. La matière pour la couÂler ne manque pas ici et il aurait lĂ une staÂtue odoÂrante et bien appropriĂ©e.
Donc, mon cher ami, puisque nous renouÂveÂlons l’anÂnĂ©e, « Kong-Chi, Kong-Chi ». C’est du chiÂnois. N’alÂlez pas vous mĂ©prendre sur le sens de ces deux vocables. Ce n’est pas une injoncÂtion que je vous adresse, mais des comÂpliÂments et des souÂhaits que je forme pour votre sanÂtĂ©. Il en est donc qui s’apÂpliquent au bon foncÂtionÂneÂment de vos intesÂtins mais enfin, vous me connaisÂsez trop pour penÂser que je les forÂmuÂleÂrai d’une manière ausÂsi crue.
in AvenÂtuÂriers du monde,
Ă©diÂtions L’iconoclaste, 2013
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Nov 1, 2010 | Livres et carnets |
Vous convoiÂtez sĂ©rieuÂseÂment les rayons des libraiÂries afin que votre plume soit enfin rĂ©comÂpenÂsĂ©e de ses efforts par la publiÂcaÂtion de vos Ă©crits ? Vous attenÂdez depuis des annĂ©es d’être cerÂtiÂfiĂ© du label uniÂverÂsel de “GRANÂTÉÂCRIÂVAIN” ? Ce petit livre ausÂsi “à l’anÂcienne” qu’un pot de mouÂtarde, impriÂmĂ© sur papier vĂ©lin non masÂsiÂcoÂtĂ© est fait pour vous.
ThierÂry MauÂgeÂnest y a colÂlecÂtĂ© une cinÂquanÂtaine de fiches praÂtiques afin de vous dĂ©liÂvrer les meilleurs conseils pour que vous puisÂsiez enfin Ă©crire le livre dont vous rĂŞviez. EnriÂchi de moult extraits des plus beaux chefs-d’œuvres de la litÂtĂ©ÂraÂture franÂçaise, vous y trouÂveÂrez forÂcĂ©Âment votre compte.
Nature morte par Willem Kalf
Lorsque vous effecÂtuez un calÂcul dans votre roman, vĂ©riÂfiez touÂjours si votre compte est bon… au risque de comÂmettre d’imÂparÂdonÂnables Ă©tourderies :
Le chaÂmeau Ă©tait lanÂcĂ©, et rien ne pouÂvait plus l’arÂrĂŞÂter. Quatre mille Arabes couÂraient derÂrière, pieds nus, gesÂtiÂcuÂlant, riant comme des fous, et faiÂsant luire au soleil six cent mille dents blanches1…
Alphonse DauÂdet, TarÂtaÂrin de Tarascon
1 — Ce qui fait cent-cinÂquante dents par bouche !
Afin de soiÂgner son style, LĂ©auÂtaud conseillait de supÂpriÂmer tous les mais, les pourÂtant, les en effet, les d’ailleurs et les cepenÂdant. Mais ces termes se retrouvent pourÂtant sous la plume de grands Ă©criÂvains. En effet, BalÂzac usait de beauÂcoup de cepenÂdant, d’en effet et de pourÂtant, pourÂtant ses romans sont par ailleurs fort bien Ă©crits. Mais LĂ©auÂtaud vouÂlait dire cepenÂdant que le pourÂtant, le d’ailleurs, ou l’en effet, pourÂtant utiles par ailleurs, sont en effet du plus mauÂvais effet lorsÂqu’un Ă©criÂvain, pourÂtant prĂ©ÂveÂnu, en abuse. D’ailleurs, ce ne sont pas ces termes mais l’uÂsage excesÂsif de ceux-ci qui alourÂdit en effet la prose. Vous ne devrez pourÂtant pas banÂnir pour autant tous les cepenÂdant, les mais ou les d’ailleurs, mais veiller cepenÂdant, comme le prĂ©ÂcoÂnise en effet LĂ©auÂtaud, Ă ne pas en abuÂser par ailleurs.
Un livre qui vous disÂtraiÂra en toutes cirÂconsÂtances… Mais en ce qui concerne le clou du livre, c’est Ă dire les rillettes de Proust, je ne vends aucuÂneÂment la mèche, il va falÂloir acheÂter le livre…
ThierÂry MauÂgeÂnest, Les rillettes de Proust, et autres fanÂtaiÂsies littĂ©raires
JBZ & Cie
A suivre dans la mĂŞme colÂlecÂtion, le brĂ©Âviaire des petits plaiÂsirs honÂteux…
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Jul 29, 2010 | Histoires de gens, Livres et carnets |
Nasr Eddin HodÂja ne prend pas de vacances. Au contraire, il est touÂjours d’attaque…
PhoÂto © TurÂkish CultuÂral Foundation
Nasr Eddin a Ă©tĂ© inviÂtĂ© par un marÂchand qui vouÂdrait se tarÂguer dans la ville de l’aÂvoir eu Ă sa table. Le HodÂja a accepÂtĂ© car la femme de cet homme a la rĂ©puÂtaÂtion d’être très belle et de faire admiÂraÂbleÂment la cuisine.
A la fin d’un sucÂcuÂlent repas, quand on en est Ă se laver les mains, le marÂchand interÂpelle son hĂ´te :
— Ô Nasr Eddin ! Toi qui as des lumières sur toute chose, dis-moi si à ton avis il y a des excuses qui blessent plus que l’offense.
Nasr Eddin ne rĂ©pond pas mais sans crier gare il lui admiÂnistre une forÂmiÂdable claque sur le cul.
— Par Allah ! fais l’autre en surÂsauÂtant, tu as perÂdu la tĂŞte !
— Je te prĂ©Âsente mes excuses, dit Nasr Eddin l’air confus, j’ai cru que c’éÂtait les fesses de ton Ă©pouse.
Sublimes paroles et idioÂties de Nasr Eddin HodÂja,
trad. J.-L. MauÂnouÂry, PhĂ©Âbus LibretÂto, 1990
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