Bey­routh centre-ville — Ray­mond Depardon

Bey­routh centre-ville — Ray­mond Depardon

Bey­routh centre-ville est le récit pho­to­gra­phique de Ray­mond Depar­don dans un Bey­routh en pleine guerre. En quelques pho­tos noir & blanc, il plante le décor d’un Bey­routh idyl­lique en 1965, qu’il visite pour la pre­mière fois. Tout semble beau, les pay­sages, les gens, la jet-set un peu futile, la gen­tillesse des gens. Lors­qu’il revient, nous sommes en 1978, il vient d’en­trer à l’a­gence Mag­num et part faire son pre­mier grand repor­tage avec des bobines cou­leurs. Et là, tout a changé…
Avec ses cli­chés au plan res­ser­ré, un cadrage tou­jours très strict mal­gré par­fois l’ur­gence de la situa­tion, Depar­don monte un repor­tage uni­que­ment ponc­tué de quelques phrases laco­niques, comme à son habi­tude, qui rend la lec­ture fié­vreuse et ten­due, comme un jour sous les bombes et les tirs de mitrailleuses…

Un jour, dans une zone tenue par le PNL, en des­cen­dant de voi­ture avec mes appa­reils pho­to, une dizaine de com­bat­tants m’a encer­clé. Je n’ai pas eu le temps d’a­voir peur. J’a­vais pris l’ha­bi­tude de par­ler fort et de me pré­sen­ter en fran­çais. J’ai bien enten­du le cran de sûre­té des kalach­ni­kov sau­ter, ils me bra­quaient, la balle était enga­gée dans le canon, nous avons par­lé. J’é­tais calme, j’ai expli­qué que je sou­hai­tais sim­ple­ment les pho­to­gra­phier ; les minutes étaient longues, les crans de sûre­té sont reve­nus en posi­tion d’attente.
Puis sou­dain j’ai de nou­veau enten­du les crans de sûre­té sau­ter, la balle enga­gée dans le canon : « Il faut nous photographier ! »

 

Il y revient encore en 1991 et les images qu’il en rap­porte lui donne l’im­pres­sion d’une terre dévas­tée, vidée de son huma­ni­té. Un témoi­gnage fort, au bord du cata­clysme, inédit jusque là, d’un conflit qui reste à ce jour encore, tota­le­ment incompréhensible…

Ray­mond Depar­don, Bey­routh centre-ville
Points 2010
Mag­num Pho­tos pour les clichés,
tous dis­po­nibles sur le site de l’a­gence.

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Car­net de Homs — Jona­than Littell

Car­net de Homs — Jona­than Littell

Le livre du jour­na­liste fran­co-amé­ri­cain Jona­than Lit­tell, Car­net de Homs, est un réqui­si­toire ter­ri­fiant racon­tant de l’in­té­rieur ce qui s’est pas­sé à Homs en jan­vier 2012, juste avant le défer­le­ment de bombes qui a rava­gé le quar­tier de Baba Amr. Ecrit dans l’ur­gence, ce ne sont que des notes, vague­ment mises en forme, qui évoquent à quel point la popu­la­tion sur place est sur les dents et se sent oppri­mée. Il y raconte les tor­tures des agents du gou­ver­ne­ment sur place et en arrière-fond le sou­hait à peine mas­qué de la part d’El-Assad de faire crou­ler son pays dans une guerre civile qui aurait tout l’air d’être un conflit confes­sion­nel. On res­sort de là esso­ré, plein de pous­sière, des sco­ries de cette atmo­sphère dégueu­lasse. Lit­tell porte un regard sans conces­sion, n’hé­si­tant pas à dénon­cer ceux qui de l’in­té­rieur pro­fitent de la situa­tion, mais brosse aus­si le por­trait de femmes et d’hommes cou­ra­geux qui se battent dans l’in­dif­fé­rence totale des grands de ce monde.
Apo­théose de ce témoi­gnage, la confron­ta­tion entre son com­pa­gnon de route, le pho­to­graphe Mani (un homme for­mi­dable) et Pierre Pic­ci­nin, un type qui se dit jour­na­liste et qui pen­dant long­temps a sou­te­nu le régime en place, au moins jus­qu’en février 2012, et qui lors de ces échanges sou­tient que les acti­vistes de l’ASL ne sont que des ter­ro­ristes dont le but est de désta­bi­li­ser El-Assad. Lit­tell demande à un moment à Mani d’en­voyer la pho­to d’un enfant égor­gé « au connard de Gem­bloux ». Depuis, Pic­ci­nin semble avoir retour­né sa veste, mais il faut tou­jours se méfier des apostats.

Homs!!!

Pho­to © Free­dom House

Au beau milieu de la guerre qui frappe par­tout et tout le monde, des plus enga­gés aux plus inno­cents, sour­de­ment et aveu­gle­ment, on trouve des moments de cha­leur dans l’hi­ver syrien, qui rap­pellent que ce peuple est plus grand grand que celui qui les étrangle.

2h30 du matin. Je n’ar­rive tou­jours pas à dor­mir. Dans la grande pièce de devant, celle des sol­dats ASL, ça chante depuis des heures. je me lève et je vais voir. Une ving­taine d’hommes sont assis tout autour contre le mur, fument des ciga­rettes et boivent du thé ou du maté, et chantent à tour de rôle, a cap­pel­la. Je ne com­prends pas les paroles, bien sûr, mais on dirait des chants d’a­mour, peut-être aus­si des chan­sons sur la ville. Les voix tremblent, gémissent, sou­pirent, quand un finit, un autre recom­mence. Un homme sur­tout mène le chant, un homme d’une qua­ran­taine d’an­nées, au visage étroit, bar­bu, un peu roux, les yeux rusés, entiè­re­ment éden­té sauf pour une inci­sive iso­lée dans la mâchoire du bas. Il chante avec une émo­tion intense, concen­trée, et semble connaître toutes les chan­sons qu’on lui demande. Quand il marque une pause, un autre reprend. Les autres écoutent, ponc­tuent, par­fois battent des mains. Per­sonne n’in­ter­rompt per­sonne, il n’y a aucune concur­rence ou com­pé­ti­tion, cha­cun chante pour le plai­sir de chan­ter et écou­ter pour le plai­sir d’é­cou­ter, tous ensemble.

Jona­than Lit­tell, Car­nets de Homs
Gal­li­mard, NRF, 2012

Children chanting Syrian freedom songs. Aleppo.

Pho­to © Free­dom House

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1943, la grosse déconne…

Churchill, Roosevelt et Staline

Au cours du dîner, le 29 novembre (1943), Sta­line sug­gé­ra au pas­sage que si, à la fin de la guerre, on raflait et liqui­dait quelques cin­quante mille chefs des forces armées alle­mandes, c’en serait fini une fois pour toutes de la puis­sance mili­taire de l’Al­le­magne. Chur­chill fut inter­lo­qué par l’am­pleur des liqui­da­tions envi­sa­gées par Sta­line. Il répon­dit sim­ple­ment que le par­le­ment et l’o­pi­nion n’ac­cep­te­raient jamais de telles exé­cu­tions mas­sives. Mais Roo­se­velt répon­dit plus cha­leu­reu­se­ment à Sta­line et, voyant Chur­chill contra­rié (tel était du moins le sou­ve­nir de ce der­nier), le pré­sident amé­ri­cain ajou­ta que les Alliés devraient en exé­cu­ter non pas cin­quante mille, mais « juste qua­rante-neuf mille ». […] La dérive de cette conver­sa­tion inquié­ta si bien Chur­chill qu’il quit­ta la salle, mais un Sta­line jovial lui cou­rut après et pro­tes­ta que, bien enten­du, ce n’é­tait qu’une plaisanterie.

1943, Confé­rence de Téhé­ran, les trois lar­rons de Yal­ta se retrouvent pour par­ler de l’a­près-guerre, quand tout sera ter­mi­né. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’am­biance est déten­due, mais der­rière la plai­san­te­rie, peut-on être cer­tain qu’il n’y avait pas un fond de véri­té, quand on sait que Sta­line avait déjà fait exé­cu­ter des sol­dats et des offi­ciers russes accu­sés de couar­dise face à l’en­ne­mi. Niki­ta Khroucht­chev lui-même, alors géné­ral de l’ar­mée, fit exé­cu­ter plus de 15.000 de ses propres sol­dats sur le front.

in Les entre­tiens de Nurem­berg, Leon Goldensohn
Intro­duc­tion et pré­sen­ta­tion de Robert Gellatelly
Champs Flam­ma­rion Histoire

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L’é­li­mi­na­tion — Rithy Panh

L’é­li­mi­na­tion — Rithy Panh

Je ne sais pas pour­quoi je me suis rué sur ce bou­quin. Il m’ar­rive par­fois de retour­ner un livre pour en lire la qua­trième de cou­ver­ture et de res­ter accro­ché sur quelques mots. En l’oc­cur­rence, ce livre, s’il n’a­vait été recou­vert d’un ban­deau où figure la pho­to du cinéaste, vêtu d’une veste noire, d’un kra­ma blanc écru, les traits tirés et le regard comme per­du dans le vague, une épaisse fumée de cigare l’en­ve­lop­pant, je ne l’au­rais peut-être pas retour­né, il serait res­té en-dehors de mon champ. La pho­to dit déjà le drame.

Rithy Panh, l'elimination

Rithy Panh, je ne le connais pas, à part de nom. Je sais de lui qu’il a réa­li­sé un film, un grand film sur les années sombres où les khmers rouges ont lit­té­ra­le­ment exter­mi­né la popu­la­tion du Cam­bodge, un film au titre qui ne laisse aucu­ne­ment de place au doute : S21, la machine de mort khmère rouge. En réa­li­té, je ne savais rien des khmers rouges, je ne savais rien du Cam­bodge, et je ne savais rien de ce qui s’y était pas­sé, et je ne dis pas qu’au­jourd’­hui j’en sais beau­coup plus mais au moins je connais cette his­toire, l’his­toire de cet homme bri­sé par un pas­sé trop lourd à porter.
L’é­li­mi­na­tion, c’est le récit mêlé de son expé­rience d’en­fant dont le sou­ve­nir lui rap­pelle Phnom Penh, la capi­tale encore vivante et qui sera vidée de sa popu­la­tion, et des heures d’un pro­cès qui aurait pu faire date si les vrais res­pon­sables avaient été jugés et punis, celui du res­pon­sable du S21, le bureau de sécu­ri­té, centre de tor­ture et d’exé­cu­tion de la méca­nique mor­telle mise en place par un régime pris de folie meur­trière. Le res­pon­sable, à tous les sens du terme, c’est Kaing Guek Eav, plus connu sous le nom de Duch ou Douch.

Kaing Guek Eav - Douch à son procès

Kaing Guek Eav (Douch) à son pro­cès en 2012
Pho­to © Ho New / Reuters

L’his­toire de Rithy Panh, c’est sim­ple­ment l’his­toire d’un jeune gar­çon pris dans la folie de l’his­toire de son peuple, c’est l’his­toire de sa famille, d’un drame qui lui a ôté son père qui finit par ces­ser de croire en des jours meilleurs et se laisse mou­rir de déses­poir, un ins­pec­teur de l’é­du­ca­tion éru­dit, édu­qué, et selon l’au­teur l’ar­ché­type de l’homme tour­né vers la moder­ni­té, vers ce que l’homme a en lui du plus pré­cieux pour sa propre préservation.

C’é­tait la défaite de l’En­cy­clo­pé­die. Plu­tôt l’an­cien monde, élé­men­taire, ter­rien, que la connais­sance, froide et difficile.

Ce drame lui a éga­le­ment ôté sa mère, une femme admi­rable, aimante, qui don­na tout à ses enfants pour qu’ils s’en sortent, mais elle renonce le jour où sa fille décède. D’autres mour­ront, des êtres proches, des incon­nus, des dizaines, des mil­liers de morts jalonnent ce livre, des mil­liers d’êtres inno­cents empor­tés par la folie meur­trière d’un idéo­logue fou por­té par ses théo­ries vaseuses et une absence totale de visi­bi­li­té sur ses fins, l’hor­rible Saloth Sâr (Pol Pot) avec son visage figé et son sou­rire de sta­tue de cire.
Face au bour­reau Douch, Rithy Panh n’ar­rive à tirer que des expli­ca­tions floues, pom­peuses et vides de sens, des repen­tances, des aveux du bout des lèvres ponc­tués de phrases qui le dégagent de toute res­pon­sa­bi­li­té, lui, l’exé­cu­tant, le petit pro­fes­seur de mathé­ma­tiques deve­nu un immonde bureau­crate tor­tion­naire qui ne pou­vait être en tort, car il était en accord avec l’idéologie…

Je com­prends qu’on change de nom et de pré­nom dans la clan­des­ti­ni­té. Mais réduire l’autre à un geste, à une méca­nique, à une par­celle de son corps, ce n’est pas pro­pa­ger la révo­lu­tion. C’est déshu­ma­ni­ser. C’est tenir l’être dans son poing.
Jus­qu’à la libé­ra­tion, je suis res­té le « cama­rade chauve », et c’é­tait très bien ain­si : je ne por­tais plus le nom de mon père, trop connu. J’é­tais sans famille. J’é­tais sans nom. J’é­tais sans visage. Ain­si j’é­tais vivant, car je n’é­tais plus rien.

Le récit de Rithy Panh, c’est le récit de la déshu­ma­ni­sa­tion la plus totale, alors on pense imman­qua­ble­ment à Pri­mo Levi, Robert Anthelme ou Elie Wie­sel… C’est pré­ci­sé­ment cela l’é­li­mi­na­tion, L’Ang­kar (l’or­ga­ni­sa­tion), c’est l’é­li­mi­na­tion car vous n’êtes plus rien. Une des scènes les pires qui me reste est celle de ce jeune gar­çon dont la jambe s’in­fecte et sur laquelle il voit des vers grouiller.

Nous savions intui­ti­ve­ment que c’é­tait la fin : l’ir­rup­tion de la vie ani­male dans la vie humaine. Il est mort le lendemain.

S21 - Tuol Sleng

S21 (Tuol Sleng, la col­line du man­guier sauvage),
ancien lycée recon­ver­ti en centre de torture
Pho­to © Chris Gra­vett

J’ai lu ce livre en peu de temps, absor­bé dans ces pages qui me disaient que je devais savoir, que je devais ter­mi­ner, mal­gré les haut-le-cœur, mal­gré la nau­sée qui prend devant la déchéance qu’on fait subir à un peuple, qu’on exé­cute froi­de­ment, qu’on tor­ture et qu’on viole. Un mil­lion sept cent mille (le chiffre paraît lui-même dément) Cam­bod­giens sont morts direc­te­ment ou indi­rec­te­ment des consé­quences de cet assas­si­nat orga­ni­sé par une poi­gnée de fous. 1 Cam­bod­gien sur 5, mort… au nom d’une révo­lu­tion sans classe, une révo­lu­tion bor­née, idiote, sans raison.

Sans doute est-ce cela, un révo­lu­tion­naire : un homme qui a du riz dans son assiette ; et qui cherche un enne­mi dans le regard de l’autre.

Il faut avoir lu ce livre, pour la trace qu’il laisse, pour le futur des nations, pour être en paix avec soi mal­gré le déchi­re­ment qu’il pro­cure à l’in­té­rieur, pour appor­ter la paix aux morts, pour se regar­der en face, pour ne pas faire comme si on ne savait pas, pour lui, pour Rithy Panh et pour les autres qui se sont vu des­ti­tuer leur droit à être des êtres humains, pour peut-être cau­che­mar­der et fina­le­ment ouvrir à nou­veau les yeux sur un monde qui pro­duit des monstres, mais au moins, on ne pour­ra pas dire qu’on ne savait pas…

Duch: Je suis jour et nuit avec la mort.
Je lui réponds: Moi aus­si. Mais nous ne sommes pas du même côté.

Rithy Panh avec Chris­tophe Bataille, L’élimination
Édi­tions Grasset

EDIT : on me souffle dans l’o­reillette qu’il existe un blog autour d’un pro­jet sur la recons­truc­tion du Cam­bodge et de la mémoire des années sombre, un pro­jet d’Émilie Arfeuil et Alexandre Lie­bert qui se nomme Scars of Cam­bo­dia.

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Trop­po natu­rale, bom­bar­da­to, dis­trut­to… L’Ins­pi­ra­tion de Saint-Mat­thieu, le tableau mau­dit de Miche­lan­ge­lo Merisi

J’a­vais déjà par­lé d’un tableau de Miche­lan­ge­lo Meri­si (Cara­vage), la Voca­tion de Saint-Mat­thieu, fai­sant par­tie d’un trip­tyque rela­tant trois moments impor­tants de la vie de Mat­thieu avec Saint-Mat­thieu et l’ange et le Mar­tyre de Saint-Mat­thieu, des­ti­né à déco­rer l’au­tel de la cha­pelle Conta­rel­li de l’église Saint-Louis-des-Fran­çais de Rome. Avant que ne vienne au jour la ver­sion que l’on peut admi­rer actuel­le­ment de l’ins­pi­ra­tion de Saint-Mat­thieu, Cara­vage avait pro­duit une toile de grande taille (232 x 183cm) repré­sen­tant l’ange gui­dant la main de Saint-Matthieu.
Bien.
Seule­ment, les choses ne sont pas aus­si simples. Il ne suf­fit pas d’a­voir le vent en poupe, d’être un peintre avec pignon sur rue et de peindre ce qui nous semble bon pour évo­quer la com­mande et res­pec­ter le cahier des charges, d’a­voir un talent incroyable et une audace de génie pour s’en sor­tir. Alors pour ten­ter de com­prendre ce qui cloche, appre­nons à regar­der ce que nous avons sous les yeux pour voir ce que nous ne voyons pas.

Nous voyons deux per­son­nages. La pre­mier, le plus impor­tant est Saint-Mat­thieu, le second est l’ange qui ins­pire l’a­pôtre pour lui dic­ter ce qui sera l’E­van­gile — par­don­nez-moi l’ex­pres­sion, mais c’est quand-même un gros mor­ceau. Étu­dions ce que nous voyons pour éven­tuel­le­ment en ana­ly­ser les pos­tures. L’homme est assis sur un curule, por­tant gau­che­ment (1) le livre sur lequel il écrit, genoux croi­sés (2), le pied ten­du vers le spec­ta­teur (3), les jambes cou­vertes de pous­sière (4), la main mal assu­rée et épaisse (5) gui­dée par celle de l’ange (6), l’air un peu — par­don­nez-moi — ahu­ri, pataud (7), genoux et coudes nus (8). Disons-le net­te­ment, nous avons ici 8 argu­ments suf­fi­sants pour réprou­ver cette œuvre d’art et l’empêcher d’être éle­vée au rang de pein­ture d’au­tel (du point de vue de l’Église, naturellement).

(1) Le fait que Mat­thieu porte le livre gau­che­ment le rend mal­adroit et indique clai­re­ment que c’est le genre d’ob­jet qu’il n’est pas habi­tué à manipuler.
(2) Les genoux croi­sés révèle une cer­taine désin­vol­ture, une « épais­seur » qui ne sied pas à un évangéliste.
(3) Ce pied ten­du peint avec un rac­cour­ci fait clai­re­ment appa­raître un débor­de­ment de la toile et pro­jette le pied en direc­tion du spec­ta­teur dans une trop grande proximité.
(4) Mat­thieu a les jambes cou­vertes de pous­sière (même si on le voit peu sur cette repro­duc­tion), comme un vul­gaire homme du peuple.
(5) Tout indique que Mat­thieu, s’il sait comp­ter au vu de son métier, a l’air d’a­voir un peu de mal à écrire…
(6) Impres­sion ren­for­cée par le fait que l’ange guide sa main au point qu’on se demande si ce n’est pas lui qui écrit avec la main de Matthieu.
(7) L’air naïf qui lui est impri­mé n’est pas à son avan­tage. C’est un peu comme s’il s’é­mer­veillait de cette écri­ture qui nait sous la plume que sa main tient, gui­dée par celle de l’ange.
(8) Genoux et coudes sont nus, ce qui n’est guère conve­nable, quand bien même Mat­thieu serait un homme simple et humble…

L’im­pres­sion don­née par la toile fait de Mat­thieu un per­son­nage beau­coup trop natu­rel, trop proche du qui­dam pour figu­rer dans une église de la sorte. Le tableau est reje­té par ses com­man­di­taires, jugé ton peu bien­séant, trop­po natu­rale… Meri­si sera obli­gé d’en conduire une autre ver­sion, beau­coup moins atta­chante, et sur­tout beau­coup plus conventionnelle.

La pre­mière ver­sion, dont il n’existe aucune repro­duc­tion en cou­leur a été por­tée dis­pa­rue, consi­dé­rée comme détruite, suite aux bom­bar­de­ments mas­sifs dont a été vic­time Ber­lin en 1945, notam­ment sur le Kai­ser Frie­drich Museum, aujourd’­hui Bode-Museum.

S’il n’a­vait pas été refu­sé, il serait aujourd’­hui en bonne place dans une église de Rome…

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