Moka au bar avec le fan­tôme de Fix Creek à Lib­by, Mon­ta­na, ou prendre un thé, seul, avec Paul Bowles

Par des­sus l’é­paule, assis dans un fau­teuil, je sens une pré­sence, plus que ça, une odeur qui me rap­pelle des sou­ve­nirs et tout à coup, le visage d’une per­sonne appa­raît dans un long che­mi­ne­ment de pen­sée. Je suis ter­ri­fié à l’i­dée que l’on puisse être ain­si sai­si par ce que j’ap­pelle un fan­tôme et qui prend cette appa­rence, parce que ça n’a pas d’autre nom. D’autres pour­raient appe­ler cela un démon ou un fan­tasme, pour moi c’est un fan­tôme, ce qui ajoute une dimen­sion mys­té­rieuse et folk­lo­rique de châ­teau écossais…

Ghost house

Rick Bass, per­du dans une petite ville du Mon­ta­na, tout près de la fron­tière avec le Cana­da, raconte cette his­toire de fan­tôme pour le moins éton­nante tan­dis qu’il passe l’hi­ver dans un petit cha­let sans commodités :

[…] Presque toutes les nuits j’ai fait le même cau­che­mar ; quel­qu’un gra­vis­sait l’es­ca­lier très len­te­ment, quel­qu’un qui était en colère — et moi, comme cela arrive dans ces rêves affreux, j’é­tais inca­pable de bou­ger, inca­pable d’é­mettre le moindre son, la moindre pro­tes­ta­tion. La per­sonne, la force en ques­tion, était un vieillard qui venait s’as­seoir au bord de mon lit. Il y a eu un nuit par­ti­cu­liè­re­ment mau­vaise — et ça, je l’ai sen­ti plus sûre­ment que j’aie jamais sen­ti quoi que ce soit —, une nuit où la main de ce vieillard assis sur le lit m’a empoi­gné la che­ville, et même s’il ne l’a pas tor­due, il ne vou­lait pas non plus la lâcher. […] En plus de quoi, il y avait une autre chose, autre chose de pire encore que la puis­sante étreinte de cette main ; j’ai sen­ti dans la pièce un cou­rant gla­cé de pure méchan­ce­té, à vous faire dres­ser les che­veux sur la tête et coa­gu­ler le sang — un cou­rant dont l’élec­tri­ci­té est res­tée sus­pen­due dans les airs comme un écho sonore, mais qui en même temps gran­dis­sait, aug­men­tait, comme un chien qui res­pire très fort, un cou­rant qui empi­rait, qui deve­nait de plus en plus menaçant. […]

The Great Beyond

Je n’ai jamais vu son visage et je ne crois pas que je le ver­rai jamais. Je pense que nous avons fait notre paix. Je pense aus­si que le fan­tôme, la force, l’éner­gie, les anciens restes d’é­mo­tion que le vieux Fix éprou­vait pour notre val­lée — tout cela est apai­sé. […] Il y a eu des soirs, cepen­dant, où je suis allé me pro­me­ner dans les bois qui s’é­lèvent der­rière la mai­son, sur un vieux sen­tier de bûche­rons cou­vert d’un dais de grands cèdres et de mélèzes à aiguilles den­te­lées — où j’ai pous­sé plus haut, au delà de l’é­tang, trop loin à l’in­té­rieur des bois — et où j’ai sen­ti quelque chose, quel­qu’un der­rière moi. Je me retour­nais pour scru­ter la piste que je venais de suivre — le vieux sen­tier des bûche­rons vei­né de bleu par des traî­nées de clair de lune brillant entre les ombres dures et noires — et il était évident qu’il n’y avait per­sonne. Et pour­tant, j’en­ten­dais quel­qu’un, je le sen­tais, je le devi­nais, debout en plein milieu de la route, qui m’ob­ser­vait, les yeux bra­qués droit sur moi, comme un ani­mal — les mains sur les hanches peut-être, et une étrange impres­sion de mal­veillance dans l’air. […]
Nous sommes ici, nous sommes vivants. Fix ne l’est plus. Évi­dem­ment qu’il est en colère.

Rick Bass, Win­ter (Notes from Mon­ta­na) 1991

Hier encore, on me demande ce que j’aime et ce que je n’aime pas. J’aime, comme Domi­nique Pinon, ouvrir un livre plu­sieurs mois après les vacances et retrou­ver du sable entre les pages…

Je garde en moi le désir de me perdre dans le désert, dans une tem­pête de sable avec à la main le texte ori­gi­nal de The shel­te­ring sky dont les pages seraient pleines de grains d’un sable fin. Dans l’autre main, une bous­sole qui n’au­ra ser­vi à rien puisque déjà je serais perdu.
Au beau milieu de rien, une mai­son simple sans toit, un puits de lumière venant du zénith, et au centre de la cour, un homme et une théière, un vase et quelques pots, et la sim­pli­ci­té d’un sol de terre battue.

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Shige-chan, Non­Non­Bâ et les yôkai

Non­Non­Bâ est un man­ga qui puise ses racines dans une socié­té japo­naise qu’on connaît mal puisque l’ac­tion de cette œuvre mas­sive (400 pages) se déroule au cœur des années 30. L’au­teur de cette his­toire pro­vin­ciale dont l’ac­tion se situe à Tot­to­ri dans le sud du Japon, Shi­ge­ru Mizu­ki, est né en 1922 et le petit gar­çon qui en est le per­son­nage prin­ci­pal, Shige-chan (par­fois même Gégé) ne font qu’une seule et même personne.
Non­Non­Bâ (Mémé) une grand-mère très pauvre ven­dant quelques menus ser­vices de mai­son contre un peu d’argent, le gîte et le cou­vert et dont la fonc­tion pre­mière est de prier. Son acti­vi­té, c’est la prière ; les gens la rétri­buent pour qu’elle adresse des prières aux esprits ; ain­si, elle connaît par­ti­cu­liè­re­ment bien l’é­ven­tail des monstres et autres esprits (Yôkai(1)妖怪) innom­brables que peut comp­ter l’i­ma­gi­naire shintô.
Ce livre, plu­tôt que de racon­ter une his­toire avec un début et une fin, raconte plu­tôt deux épi­sodes de l’en­fance de l’au­teur autour de la ren­contre, de la sépa­ra­tion, de l’é­moi amou­reux et de l’a­mi­tié, mais aus­si du deuil. Côtoyer les esprits par le tru­che­ment de Non­Non­Bâ per­met de rendre la réa­li­té un peu moins dif­fi­cile, au milieu de ces esprits far­ceurs et facé­tieux, de cet uni­vers des choses qui existent, même si on ne les voit pas.

nononba

On sent dans cette œuvre le souffle de la tra­di­tion orale, mais éga­le­ment des conven­tions sociales par­fois lourdes et héri­tées de périodes sombres qui ont plon­gé l’Ar­chi­pel dans l’obs­cu­ran­tisme depuis le Moyen-Âge, car c’est de là que viennent les yôkai, de ces temps recu­lés. On y entr’a­per­çoit éga­le­ment des sujets graves, comme les ven­deurs d’enfants.
Les per­son­nages, eux, sont plus qu’at­ta­chants. Shige-chan est un petit bon­homme sym­pa­thique qui se bat avec ses copains contre une bande rivale, et qui ne parle pas aux filles, parce que ça rend faible. Tou­te­fois, ses ami­tiés seront fémi­nines. L’é­cole, c’est pas vrai­ment son truc, et il pré­fère pas­ser son temps à des­si­ner, racon­ter des his­toires et peindre. Pour cela, il demande à Non­Non­Bâ de l’ai­der à voir cer­tains esprits pour pou­voir les des­si­ner. Il est entou­ré d’un père abso­lu­ment avant-gar­diste, irres­pon­sable et dépha­sé, qui n’hé­site pas à dire à son fils qui fait mine de vou­loir se tuer après une décep­tion amou­reuse Moi je suis pour lais­ser mes enfants faire ce qu’ils veulent… et à sa femme tu devrais plu­tôt le lais­ser faire… Et d’une mère qui semble com­bler le manque total de dis­cer­ne­ment de son époux. Tou­te­fois, elle n’au­ra de cesse de sou­te­nir le sou­hait de son fils de dessiner.
Une œuvre drôle et sen­sible, qui ne fait pas l’é­co­no­mie des rudesses de la vie et n’hé­site à tirer un trait sur une socié­té qui der­rière ses lour­deurs fait la part belle à l’imaginaire.

Notes:
1) désigne un « être vivant, forme d’exis­tence ou phé­no­mène aux­quels on peut appli­quer les qua­li­fi­ca­tifs extra­or­di­naire, mys­té­rieux, bizarre, étrange et sinistre ». Source Wiki­pe­dia.

Non­Non­Bâ sur du9.org
Tot­to­ri sur Google Maps

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