Café du matin #5

Café du matin #5

Café du matin

#5

Café froid

Le rêve de soleil et de cha­leur me reprend. Il est là, il me taraude.

Il va de pair avec la fin de l’hi­ver, de cet hiver hor­rible, humide, triste, long inter­mi­nable, qui même une fois le prin­temps arri­vé conti­nue de sévir.

La pluie froide qui tombe par inter­mit­tence, entre deux nuages qui s’é­cartent pour lais­ser pas­ser un rayon de soleil.

Les grê­lons comme des noi­settes qui cognent au vasis­tas que je regarde d’en bas pour les voir arri­ver de haut avec l’im­pres­sion qu’ils vont me frap­per le visage.

Pffff, je n’en peux plus de ce prin­temps qui ne veut pas arriver.

Deux jour­nées chaudes nous ont été dis­tri­buées comme on jette des caca­huètes à un singe, et puis plus rien.

Il fait froid. J’ai froid. Je n’ar­rive pas à me réchauf­fer. Je n’ai rien dans la tête.

Allez viens, on reste sous le plaid, sur le lit, on ne répond pas au télé­phone… On éteint la télé et on écoute ce qui se passe dehors, mais on n’ouvre pas si quel­qu’un sonne. On reste blot­ti l’un contre l’autre. On se tient chaud. Il n’y a rien ni per­sonne qui puisse nous déran­ger. Et on ne sor­ti­ra de là que quand on aura faim.

Bon, ok, ça ne dure­ra que vingt minutes… C’est tou­jours ça de pris…

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Café du matin #4

Café du matin #4

Café du matin

#4

Café punk

Sor­did details fol­lo­wing… Qu’est ce qui peut bien me mettre de bonne humeur comme ça ? Le sale gosse est de sor­tie, avec son tee-shirt sur lequel une gei­sha fait un doigt d’hon­neur, chaus­sures et jeans de punk, il faut vous faire un dessin ?

J’ai tou­jours rêvé d’être une gei­sha, et sur­tout de faire un doigt d’hon­neur en étant une geisha.

Entre autres choses.

J’ai aus­si tou­jours rêvé d’être un punk, avec des épingles à nour­rice lar­dées dans le lobe des oreilles. Qui fait des doigts d’hon­neur. Tout est une ques­tion de posture.

Mais j’ai aus­si tou­jours rêvé d’être une cham­pionne de lan­cer de poids, Sovié­tique de pré­fé­rence, ou est-Alle­mande. Bul­gare, à la rigueur.

Un cham­pion de lutte turque, mes cuisses mus­clées engon­cées dans une grosse culotte de peau noire et le corps inté­gra­le­ment enduit d’huile d’o­live. Rien moins que ça. Quoi qu’il en soit, avec une grosse mous­tache. Acces­soire indispensable.

J’au­rais aimé être plein de choses, en réa­li­té. J’au­rais aimé et j’au­rais pu.

J’au­rais un peu moins aimé être Gérard Depar­dieu, par contre. Ou Pou­tine. Ça peut s’entendre.

En revanche, être pécheur au large des côtes du Viet­nam, ça, oui.

Être ramas­seur de coquillages sur une plage du Cotentin.

Laveur de voi­ture dans une sta­tion-ser­vice du Colorado.

Tou­te­fois… tou­te­fois… s’il y a une chose que je n’au­rais pas aimé être, c’est une fonc­tion­naire de soixante ans, dont la voix dou­ce­reuse et le flegme com­pas­sé ne sau­rait cacher plus long­temps son aigreur, sur­tout si elle porte un short et des col­lants cou­leur chair pour venir au travail…

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Café du matin #3

Café du matin #3

Café du matin

#3

Café tor­ride

Qua­rante-cinq degrés à l’ombre de ton corps fris­son­nant. J’ai les doigts rouges et gon­flés sur mon cla­vier, gourds d’être res­té trop long­temps dehors par quelques degrés en-des­sous de zéro, res­té trop long­temps à lire et à te cher­cher alors que tu n’é­tais pas là. Les pieds humides et froids, l’âme déchi­rée comme la glace qui fond et s’é­crase sur le sol gelé, avec le même bruit, la même lourdeur.

Ton regard fuit, de chaque côté, et je me dis que tu cherches quel­qu’un, quelque chose, qui visi­ble­ment n’est pas là, ou t’é­chappe. J’es­saie de voir mais je ne trouve rien. Il n’y a que ton visage dans l’ombre, les yeux fron­cés à cause du soleil écra­sant et der­rière toi, la porte qui sur­plombe les marches sur les­quelles tu t’es assise dans cette rue qui conti­nue à vivre autour de toi. J’en­tends un chien qui aboie, devine la sil­houette d’un homme qui passe sans même te regar­der, ima­gine une scène que je ne peux qu’es­quis­ser mais qui se délite à chaque fois qu’une légère inflexion de la réa­li­té vient bous­cu­ler l’ordre des choses que j’a­vais construit. La réa­li­té donne sou­vent tort aux men­songes que l’on éla­bore, c’en est même l’es­sence, l’i­ma­gi­na­tion se fra­casse sur des murs bien réels, mais si on n’a plus pour soi les men­songes que repré­sentent les rêves, alors autant tout arrê­ter main­te­nant et se lais­ser aller à se plon­ger dans une tri­via­li­té mor­dante, létale.

Il est 24h57. L’an­gé­lus élec­trique sonne tou­jours à cette heure-ci, et le silence se fait. Tout autour, dans la rue, dans l’es­prit. En toi, en moi. Il y a juste besoin d’at­tendre que ça se ter­mine. Non, ce n’est pas une paren­thèse absurde et contrai­gnante, juste un petit moment pen­dant lequel on s’as­treint à ne rien dire. Je sou­ris. Et j’attends.

J’at­tends.

Je t’at­tends.

Tu es belle avec ton che­mi­sier jaune qui flotte dans l’air brû­lant, petite abeille arpen­tant les rues poussiéreuses.

Je regarde ton visage qui se terre dans l’ombre de cette rue enso­leillée, tes longs doigts aux ongles peints en noir posés sur ton front pour évi­ter la lumi­no­si­té trop forte, accen­tuée par le mur blanc de l’autre côté de la rue. Tes yeux se froncent encore plus, tu as du mal à les gar­der ouverts.

Qua­rante-cinq degrés à l’ombre de ton corps fris­son­nant. Et moi je conti­nue d’a­voir froid. Mes doigts sont morts, mon esprit est en feu…

Pho­to de Moham­mad Usaid Abba­si sur Uns­plash

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Café du matin #2

Café du matin #2

Café du matin

#2

Café à mer

Café du matin, je ne sais plus com­bien. Une crème oran­gée, mous­seuse, qui reste sur les parois de la tasse tan­dis que je bois la der­nière goutte dans un léger bruit de bouche qui me per­met d’as­pi­rer tout ce qui peut res­ter dans la tasse.

Un fre­lon asia­tique s’est intro­duit dans la mai­son. Son bour­don­ne­ment lourd de grosse bête volante qui pro­longe mon mal de crâne a fini par ces­ser, et il a dis­pa­ru dans la cui­sine, cer­tai­ne­ment lové dans un des pots des plantes qui sur­plombent le plan de travail.

Un coup d’œil dans le miroir de l’en­trée, j’ai les che­veux pla­qués sur le crâne, les yeux rou­gis de n’a­voir pas assez dor­mi, la peau fri­pée comme un vieux sac en papier, l’im­pres­sion que l’o­deur des draps me colle à la peau, mais que se passe-t-il ? Qui est cette per­sonne en face de moi ? Il va me fal­loir encore quelques heures de som­meil pour sup­por­ter cette jour­née. Ou alors attendre que ma peau se res­serre. Que les petits vais­seaux écla­tés dans le blanc de mes yeux se rétractent. Que je prenne une bonne douche qui efface les traces de cette nuit agi­tée sous mon crâne. Que je fasse dégon­fler ces pau­pières qui me donnent un air de laman­tin endor­mi. Tem­pête sous mon crâne.

Il fait beau ce matin, le soleil me chauffe le dos. L’air est chaud, je le sens lors­qu’il pénètre mes pou­mons, alors qu’il est à peine midi. Mois d’a­vril qui ne pro­met rien du tout, la semaine pro­chaine sera fraiche, il fau­dra res­sor­tir les petits pulls pour le matin. Et de quoi se pro­té­ger de la pluie.

Le vent chasse les pétales du ceri­sier qui a fleu­ri tôt cette année, en une nuée qui res­semble à des flo­cons de neige. Sou­ve­nir d’un café allon­gé sur les hau­teurs du cime­tière d’Eyüp Sul­tan, un café turc ser­ré, que je bois jus­qu’à cette étroite limite qui sépare le liquide du marc. C’est presque un art. Il ne me manque plus que le fes otto­man vis­sé sur le crâne pour répondre au cliché.

Pro­fite, ça ne va pas durer…

Après une après-midi cani­cu­laire pas­sé à arpen­ter les rues pen­tues de Fener et de Balat, je me suis assou­pi dans les grands poufs d’un café ins­tal­lé sur les rives de la Corne d’or, écra­sé par la cha­leur et trans­pi­rant comme un bœuf entur­ban­né. Sur le moment, on en souf­fri­rait presque, mais la sen­sa­tion de bien-être qui per­dure n’a aucun équivalent.

Il y avait aus­si un grand café le long du Bos­phore, là où les vapur déversent désor­mais le flot des Stam­bou­liotes à Kaba­taş, le Kap­tan­lar Aile Çay Bah­çe­si, le jar­din de thé des capi­taines, où des enfants sau­taient dans les eaux froides et tour­men­tées, sou­vent dans le plus simple appa­reil, et où l’on pou­vait boire des jus de fruits frais et du thé noir bien fort. Tout ceci n’existe plus. Il ne reste là que le béton encore frais qui forment de longs quais sans âme.

Dans une après-midi lan­gou­reuse, je retrace ces moments de ma vie où la joie d’être au monde écrase tout le reste, et je finis par m’en­dor­mir sur le cana­pé du jar­din, les che­veux en bataille et les routes de la soie de Fran­ko­pan posé sur le ventre. Avec ça et l’a­mour, je peux mou­rir tranquille.

Der makam‑i ‘Uzzal usules Devr‑i kebir

by Hes­pe­rion XXI et Jor­di Savall | Can­te­mir Dimi­trie (1673–1723)

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Café du matin #1

Café du matin #1

Café du matin

#1

Café aigre

Alors voi­là, on boit son café tran­quille, pre­mier café du matin… la jour­née risque d’être belle, légè­re­ment voi­lée mais belle, la pre­mière vraie jour­née chaude de la sai­son, il va cer­tai­ne­ment faire chaud, du moins de quoi sor­tir en tee-shirt sans risque d’a­voir le moindre fris­son sur les tétons sous le tis­su. Encore une occa­sion de ratée de s’ex­pri­mer avec pudeur.

Même pas eu le temps d’al­ler ache­ter un crois­sant à la bou­lan­ge­rie, celui qu’on croque gou­lû­ment et qu’on mouille avec une gor­gée de café pour le faire fondre dans la bouche, avec en arrière-fond le pépie­ment gar­ru­lant des per­ruches qui frondent au-des­sus des tilleuls. Oui, parce que la fenêtre est ouverte. On entend aus­si la dis­queuse qui tron­çonne les cana­li­sa­tions d’as­sai­nis­se­ment qui vont bien­tôt dis­pa­raître sous terre. Ce sont ces petits bon­heurs comme ça qui vous enchantent le coeur, qui vous passent de la pom­made sur les plaies.

C’est toute une jour­née qui se des­sine comme ça, per­sonne pour faire chier, per­sonne à emmer­der, une petite soli­tude de sale gosse qui se com­plait dans son bureau iso­lé au fond du cou­loir. C’est fou comme ces petits plai­sirs vous font votre jour­née, comme de s’en­dor­mir sur le tapis d’une mos­quée à Istan­bul lorsque dehors il fait 40°C.

Et puis tout d’un coup, le mes­sage arrive, celui qui vous des­sine sur le visage un petit sou­rire sar­do­nique, l’an­nonce d’un concert, cer­tai­ne­ment une oeuvre de Wag­ner avec tam­bour et trom­pette, façon orchestre de garde-cham­pêtre, un peu dis­son­nant, mais qui garde sa superbe, un esprit gogue­nard et pri­me­sau­tier à la fois. Une odeur de feu de bois dans une che­mi­née dans une pièce humide, de quoi réchauf­fer l’âme et l’es­prit. Une petite sucre­rie, comme un lou­koum qu’on fait fondre sous la langue avant de lam­per une chaude gor­gée de thé noir. Un délice arrogant…

J’ai hâte. Je ne suis inféo­dé à per­sonne, je reste libre et pour tout dire, j’ai envie de rire un coup.

Le goût du café sur mes lèvres, l’hor­loge de l’é­glise qui sonne une heure, mais je sais pas laquelle, un vent léger, la satis­fa­tion d’a­voir bien bos­sé et d’a­van­cer contre le vent, un jus de mangue ache­té chez le traî­teur d’en face qui coule dans ma gorge comme un nec­tar bien­fai­sant, quelque chose d’aus­si rafi­né qu’un pan­neau de bois sculp­té par un artiste seld­jou­kide… rien ne m’ar­rê­te­ra plus désor­mais, il va ya voir du gra­buge… j’a­vais pré­ve­nu, je suis un sale gosse.

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