Par­fois, il est ques­tion de Dieu, par­fois non

Par­fois, il est ques­tion de Dieu, par­fois non

Par­fois,
il est ques­tion de Dieu

Par­fois non…

Le hasard n’existe pas, m’a-t-on déjà dit plu­sieurs fois. Il n’existe pas, n’existent que des cor­res­pon­dances. Le monde entier ne peut être que le fait du hasard, d’un chaos sans ordre régi par des lois pré-éta­blies, pas plus qu’il ne peut être fait d’une déter­mi­na­tion ori­gi­nelle qui pré­ten­drait que tout est pré­vu, orga­ni­sé, et donc se pré­vau­drait d’un com­men­ce­ment et d’une fin qui sont déter­mi­nables par avance, mêmes si les cri­tères qui le consti­tuent sont émi­nem­ment complexes.

Seule­ment des cor­res­pon­dances. C’est ain­si qu’au fil de mes lec­tures, je récolte les fils d’une seule et même bobine, et même si par­fois je suis le seul à éta­blir des rap­ports, le prin­ci­pal c’est que, pour moi, cela garde sa cohérence.

Pho­to © Fusion of horizons

Eglise de la Theo­to­kos Pam­ma­ka­ris­tos (Θεοτόκος ἡ Παμμακάριστος, — Très sainte mère de Dieu, en turc : Fethiye Camii – mos­quée de la conquête)

Ευλογήσατε τον Κυρίον

by Greek Byzan­tine Choir | Mathi­ma­ta Mais­to­ros Koukouzele

Par­mi toutes les célé­bri­tés que le Pera Palas peut s’e­nor­gueillir d’a­voir héber­gées, deux figurent émergent, par leur renom­mée autant que par la marque qu’elles ont lais­sées à l’hô­tel, cha­cune nim­bée de mys­tère. La pre­mière est bien sûr Mus­ta­fa Kemal Atatürk, fon­da­teur de la Tur­quie moderne. Il avait ses habi­tudes à la chambre 101, lorsque, avant la guerre d’in­dé­pen­dance, au moment où la Tur­quie était occu­pée, il se sen­tait plus pro­té­gé dans la foule d’un hôtel que chez lui. Sa chambre, aujourd’­hui bap­ti­sée « Musée Atatürk », est ouverte aux visi­teurs et per­met d’ad­mi­rer trente-sept de ses objets per­son­nels, par­mi les­quels du linge, des lunettes de soleil, des pan­toufles et un tapis de prière en soie bro­dé de fil d’or, d’o­ri­gine indienne, offert par un maha­rad­jah de pas­sage. A la mort d’A­tatürk, le tapis atti­ra toutes les atten­tions, non seule­ment parce qu’il consti­tuait un objet de qua­li­té, mais parce que sa com­po­si­tion appa­rais­sait comme une pré­dic­tion. Sur le tapis est tis­sée une montre, dont l’heure indique neuf heures sept. Or, le 10 novembre 1938, au palais Dol­ma­bah­çe, Atatürk est mort à neuf heures cinq. Il y a plus : le tapis repré­sente dix chry­san­thèmes. Et voi­là que deux autres indices appa­raissent. « Chry­san­thème », en turc, se dit kasım­patı , et kasım veut dire « novembre »… Il y en avait dix… et Atatürk est mort le 10 novembre. A neuf heures cinq plu­tôt que neuf heures sept. Com­ment expli­quer ce mys­tère ? A mon sens, (il ne s’a­git là que de simples hypo­thèses), de deux choses l’une : soit le tout consti­tue un extra­or­di­naire ensemble de coïn­ci­dences, ce qui peut arri­ver, soit le maha­rad­jah aurait dû com­man­der son tapis en Suisse (ou dans le Jura fran­çais, soyons ouverts) et l’heure aurait été exacte.

Dic­tion­naire amou­reux d’Is­tan­bul, Metin Ardi­ti
Plon, Gras­set, 2022

J’ai cette sale habi­tude de tou­jours lire plu­sieurs livres en même temps, de lire tout ce qui me passe sous la main, de sur­jouer mon propre uni­vers, et dans cet autre livre que je suis en train de lire, Pour­quoi Byzance ?, du grand médié­viste fran­çais, spé­cia­liste du monde byzan­tin, Michel Kaplan, je trouve ce texte qui fait appel à l’ac­tua­li­té avec une force frap­pante (le livre a été publié en 2016). Je n’ai gar­dé qu’une petite par­tie de cette longue démons­tra­tion qui démontre que l’his­toire de la Rus­sie est émaillée de l’é­mer­gence d’au­to­crates, qui, tous autant qu’ils sont, que ce soit Ivan IV le Ter­rible, Pierre le Grand, Nico­las II, ou même Pou­tine, repré­sentent tous les héri­tiers d’un pou­voir byzan­tin qui a lais­sé des traces aus­si bien dans les manières de s’im­po­ser et de gou­ver­ner que dans cette pos­ture en tant que repré­sen­tant de Dieu sur terre. Le mot Tsar, ou Czar, celui qui est lieu­te­nant de Dieu sur terre, vient direc­te­ment du latin par l’in­ter­mé­diaire du grec, du mot César, qui a éga­le­ment don­né le terme alle­mand Kai­ser. Sa démons­tra­tion est édi­fiante, mais cette révé­la­tion l’est encore plus et sonne aujourd’­hui pré­ci­sé­ment comme un revers de l’his­toire qui devrait… rendre à César…

Au début du XIè siècle, les rela­tions poli­tiques et com­mer­ciales se dis­tendent entre Constan­ti­nople et Kiev, car le com­merce de Constan­ti­nople se tourne de plus en plus vers l’Oc­ci­dent. Mais les rela­tions intel­lec­tuelles et sur­tout reli­gieuses res­tent intenses entre Kiev et Constan­ti­nople. Jus­qu’au milieu du XIè siècle, les titu­laires de la métro­pole de Kiev, créée peu après le bap­tême col­lec­tif, sont envoyés de Constan­ti­nople ; par la suite, ils sont de plus en plus sou­vent russes, mais l’Em­pe­reur byzan­tin gar­dait la pos­si­bi­li­té de pour­voir le poste. La Rus­sie est donc née à Kiev et fai­sait alors non pas par­tie de l’Em­pire byzan­tin, qui ne pré­ten­dait pas contrô­ler la prin­ci­pau­té, mais de l’oikou­mène byzan­tin, cette com­mu­nau­té à voca­tion uni­ver­selle qui était l’un des fon­de­ments idéo­lo­giques de la puis­sance byzan­tine. La cathé­drale de Kiev, dont la déno­mi­na­tion de Sainte-Sophie ne doit évi­dem­ment rien au hasard, fut construite à par­tir de 1037 sur un plan byzan­tin amé­na­gé (cinq nefs et treize cou­poles) ; elle est déco­rée de mosaïques byzan­tines, fabri­quées à Constan­ti­nople et mon­tées sur place. Elle échap­pa de peu à la des­truc­tion que lui pro­met­tait Sta­line, qui céda à l’ins­tante demande de Romain Rol­land de conser­ver ce chef‑d’œuvre, témoi­gnage de la pre­mière splen­deur russe. […]
Quant aux rela­tions de l’Église russe actuelle avec Vla­di­mir Vla­di­mi­ro­vitch Pou­tine, cha­cun juge­ra et l’His­toire ensuite ; mais il semble bien que la même idéo­lo­gie de l’au­to­cra­tie soit à l’œuvre. En matière d’ab­so­lu­tisme et d’ar­bi­traire, Basile II appa­raît en com­pa­rai­son comme un amateur.

Michel Kaplan, Pour­quoi Byzance ?
Gal­li­mard, 2016

Et pour en ter­mi­ner avec Dieu (tiens, ça me rap­pelle quelque chose), je viens de lire cet article de Télé­ra­ma sur un repor­ter de guerre dont j’aime le style, Omar Ouah­mane, qu’on entend fré­quem­ment sur les radios de Radio France :

Je suis 100% athée ! Une fois qu’on a réglé la ques­tion de Dieu, on peut se concen­trer sur les hommes. J’ai vu trop de guerre, trop de sang. Com­ment croire que Dieu existe ? Il est par­ti en RTT ? Moi, je ne fais pas le même pari que Pas­cal. Ça doit être mon côté prise de risque.

Télé­ra­ma n°3772 du 27 avril 2022

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His­toire de Byzance (Chro­nique de Jean Sky­lit­zès de Madrid)

His­toire de Byzance (Chro­nique de Jean Sky­lit­zès de Madrid)

Ce manus­crit grec (Gr. Vitr.26–2) sur par­che­min datant du XIè siècle est l’un des manus­crits les plus pré­cieux de la Biblio­thèque natio­nale d’Es­pagne, pré­cieux pour la richesse de son enlu­mi­nure. Le tra­vail réa­li­sé par Ioannes Scy­lit­za (Jean Sky­lit­zès, Ἰωάννης ὁ Σκυλίτζης), est l’his­toire des empe­reurs byzan­tins entre 811 et 1057, cou­vrant les évé­ne­ments du cou­ron­ne­ment de Michel Ier Rhan­ga­bé (Μιχαήλ Α΄ Ραγκαβέ) en 811 jus­qu’au règne de Michel VI en 1056–1057. Le manus­crit contient 577 minia­tures réa­li­sées par plu­sieurs artistes. La plu­part des scènes sont accom­pa­gnées d’une légende qui explique leur signi­fi­ca­tion et les minia­tures illus­trent les pas­sages dans le texte, et offrent une vision des for­te­resses, de scènes de guerre, de scènes de vie à la cour, des des­crip­tions des châ­ti­ments cor­po­rels (et Dieu sait que les Byzan­tins étaient raf­fi­nés dans ce domaine), ain­si que d’autres scènes plus élé­gantes de nature reli­gieuse, telles que les bap­têmes et l’or­di­na­tion des patriarches. Les pre­mières enlu­mi­nures, dans des tons clairs, se dis­tinguent par leur sim­pli­ci­té et leur réa­lisme. Elles sont sui­vies par des scènes plus com­plexes des­si­nés avec des lignes dures, par­fois avec les traits gro­tesques du natu­ra­lisme, puis par de grandes com­po­si­tions de concep­tion vigou­reuse et vivante, avec des cos­tumes simples, des corps bien mode­lés, et un réa­lisme popu­laire. Le manus­crit a pro­ba­ble­ment été écrit à Palerme, en Sicile. Il appar­te­nait au monas­tère de San Sal­va­dor de Faro de Mes­sine jus­qu’à la fin du XVIè siècle, puis a été dépla­cé à la cathé­drale de Mes­sine. En 1690, il devint la pro­prié­té des ducs de Uce­da, jus­qu’à ce que Phi­lippe V confisque le conte­nu de la riche biblio­thèque ducale, avant d’en­trer à Biblio­thèque natio­nale de Madrid.

Le texte en grec ancien, agré­men­té des 577 minia­tures de toute beau­té (même si cer­taines sont abî­mées et sou­vent vio­lentes dans les repré­sen­ta­tions), est dis­po­nible en ligne sur World Digi­tal Libra­ry ou sur le site de la BNE (Biblio­te­ca Digi­tal Hispá­ni­ca). Outre sa grande valeur, c’est un docu­ment ines­ti­mable concer­nant la vie à Byzance à cette époque. C’est géné­ra­le­ment cette réfé­rence que l’on uti­lise pour illus­trer le feu gré­geois, ce mélange incen­diaire qui fit trem­bler toux ceux qui dai­gnaient appro­cher Constan­ti­nople par voie de mer, notam­ment pen­dant les guerres arabo-byzantines.

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Empe­reurs infor­tu­nés de Byzance (6) : les grap­toi et les man­di­bules de Méthode

Afin de bou­cler le cha­pitre sur les empe­reurs de Constan­ti­nople et de jeter un voile sur cette période trouble qui n’eut presque que pour unique objet ce qu’on appe­la la que­relle des images, nous allons ter­mi­ner avec l’un des pires artistes de l’i­co­no­clasme, l’empereur Théo­phile (qui, selon l’é­ty­mo­lo­gie, veut tout de même dire qui aime Dieu, ou qui est aimé de Dieu — ça n’aide en rien à com­prendre, c’est juste pour pré­ci­ser). Celui-ci est mort dans son lit après avoir été bles­sé lors de la prise de sa ville natale par le calife, cal­me­ment, loin du tumulte des choses poli­tiques et des com­plots our­dis, et l’his­toire retien­dra de lui qu’il œuvra pour ten­ter de réduire la cor­rup­tion dans son empire.

Deux poètes venus de Pales­tine à la demande du patriarche de Jéru­sa­lem afin de le convaincre de ces­ser de per­sé­cu­ter les chré­tiens ado­ra­teurs des images firent les frais de sa cruau­té ; Théo­phane et Théo­dore, par­ti­cu­liè­re­ment viru­lents dans leurs poèmes et dans leurs pro­pos finirent atta­chés dans une cel­lule où le bour­reau se char­gea de leur lais­ser un joli sou­ve­nir. (more…)

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Empe­reurs infor­tu­nés de Byzance (5) : Léon III l’I­sau­rien, à l’o­ri­gine de la que­relle des images

Avant-der­nier volet avant de conclure avec le sujet ; voi­ci un retour en arrière avec le père du pré­cé­dent. Second siège de Constan­ti­nople, 717–718. Les Sar­ra­zins du calife omeyyade tentent de prendre d’as­saut la ville, pro­té­gée par la muraille de Théo­dose sur la terre et par la chaîne de Gala­ta inter­di­sant l’en­trée dans la Corne d’Or. L’hi­ver 717 est consi­dé­ré comme un des pires dans l’his­toire des sièges pour les assaillants. Patau­geant dans la boue froide et la neige, les Sar­ra­zins affa­més furent obli­gés de dévo­rer leurs che­vaux pour sur­vivre, jus­qu’au dérou­le­ment des combats.

Léon III l’I­sau­rien et son fils Constan­tin V Copronyme

La bataille fait rage et sous les coups de bou­toir de l’ar­mée des Sar­ra­zins, les Chré­tiens sortent les grands moyens : une icône… Selon la légende, c’est en par­tie le point de départ de la guerre décla­rée aux images dans l’empire byzantin…

A chaque ins­tant il fal­lait s’at­tendre à une ruée géné­rale sur les pre­miers murs de défense que, plu­sieurs fois sub­mer­gés sous le nombre, nous finîmes par leur aban­don­ner. Il fal­lait dès lors veiller à tenir leurs béliers loin des portes et sur­tout empê­cher leurs machines de siège d’être his­sées sur le gla­cis. En l’un des points de la muraille, insuf­fi­sam­ment for­ti­fiée et sur lequel les Arabes sem­blaient vou­loir concen­trer leurs coups, la popu­la­tion du quar­tier voi­sin vint en pro­ces­sion faire don d’un por­trait du Christ trô­nant. Les fidèles étaient per­sua­dés que cela seul suf­fi­rait à déjouer les entre­prises des Sar­ra­zins et ren­drait la porte invul­né­rable. Et cha­cun de citer des cas où les assaillants avaient été repous­sés ou jetés au sol comme sous l’ef­fet d’une puis­sance invin­cible. A peine eut-on le temps de dis­po­ser l’i­cône, bien en évi­dence à l’emplacement conve­nu, qu’une pluie de traits s’a­bat­tit sur le rem­part. Cela n’a­vait fait au contraire qu’ex­ci­ter la fureur des Musul­mans ; et des quar­tiers de roche, pro­pul­sés par la détente brève et sèche des cata­pultes, vinrent mordre la sur­face lisse de la pierre qui grin­çait affreu­se­ment sous le choc, se fen­dait en deux au point d’im­pact, étoi­lant sa sur­face en une mul­ti­tude d’é­clats tran­chants. Aucun n’at­tei­gnait son but. Mais les secousses bru­tales, impri­mées tou­jours au même endroit de la muraille, et qui la fai­sait vaciller, eurent pour résul­tat que l’i­cône se décro­cha et, à la stu­peur géné­rale, tom­ba au pied du mur d’en­ceinte. De plus la maçon­ne­rie ayant été ébré­chée, la terre et les pierres qui y avaient été bour­rées à la hâte se répan­dirent au-dehors, comme d’une outre cre­vée. Cette accu­mu­la­tion de débris for­mait pour l’as­saillant une rampe d’ac­cès par où il lui deve­nait plus facile de s’é­lan­cer. Et au lieu de répa­rer au plus vite, d’é­va­cuer cette terre et de remettre le contre­fort d’a­plomb, la gar­ni­son n’eut plus qu’une idée : entrou­vrir un ins­tant la porte pour sor­tir récu­pé­rer à tout prix l’i­cône qui gisait en contre­bas, par­mi les pierres et les gra­vats. […] L’i­cône fut per­due dans la bataille, brû­la peut-être quand s’ef­fon­dra la tour, ne put jamais être récu­pé­rée. Voi­là en tout cas à quels périls la fureur ido­lâ­trique de cer­tains avaient expo­sé la ville et jus­qu’à l’exis­tence même de l’empereur. Léon III retint la leçon et sans doute ce jour-là se jura-t-il d’y por­ter remède à la pre­mière occasion.

Extrait de la « Vie de Léon III », rédi­gée par Hila­rion, his­to­rio­graphe à la cour, pour ser­vir à l’é­di­fi­ca­tion de l’empereur Léon V l’Arménien.

Quelques temps après, la flotte pour­tant robuste du calife fut lit­té­ra­le­ment broyée par l’u­ti­li­sa­tion d’une tech­nique abso­lu­ment nou­velle et par­fai­te­ment maî­tri­sée: le feu gré­geois. La sub­stance pro­je­tée contre les navires pre­nait feu ins­tan­ta­né­ment et conti­nuait de brû­ler sur l’eau, inter­di­sant tout espoir de sur­vie pour ceux qui se jetaient à l’eau pour ten­ter d’é­chap­per au feu qui dévo­rait leur embar­ca­tion. De l’é­vé­ne­ment appa­rem­ment sans consé­quence de l’i­cône per­due décou­la une averse de haine sur un Empire qui com­men­çait déjà à se déliter.

Texte extrait de l’Iconoclaste, d’Alain Nadaud
Edi­tions Quai Vol­taire, 1989

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Empe­reurs infor­tu­nés de Byzance (4) : le Copronyme

Reve­nons un peu en arrière. Constan­tin V fut l’un des empe­reurs les plus craints de la période byzan­tine. Réso­lu­ment ico­no­claste, il per­sé­cu­ta moines et moniales de la pire façon qui soit, mis­sion­nant des expé­di­tions puni­tives au sein même des monas­tères, obli­geant les gens d’é­glise à toutes sortes d’exac­tions qui font froid dans le dos. Nous sommes dans une époque sombre. Léon III l’I­sau­rien, son père, fut celui qui ame­na en terre de Constan­ti­nople l’i­déo­lo­gie ico­no­claste et en fit une nou­velle poli­tique théo­lo­gique, au terme du siège qui oppo­sa le Cali­fat Omeyyade à la Nou­velle Rome et qui se ter­mi­na dans un bain de sang. Son esprit radi­cal le por­tant à sou­te­nir les idées de son père, il se fit très rapi­de­ment des enne­mis dans le camp des chré­tiens, géné­rant de nom­breuses réac­tions et des sobri­quets lui tom­bèrent vite sur le dos. La légende reste tenace, mais on ne sait réel­le­ment si les évé­ne­ments qui lui valurent le sur­nom de « Copro­nyme » (Κοπρώνυμος), ce qui veut dire lit­té­ra­le­ment « nom de merde », ont réel­le­ment eu lieu. Voi­ci la rela­tion des faits inter­ve­nus le jour de son bap­tême par le Min­sou­ra­tor Léontios.

Constan­tin V Copro­nyme et son père Léon III l’Isaurien

[…] Enfin, on m’ap­por­ta un encen­soir tout fumant. Le prince impé­rial fut alors plon­gé dans l’eau gla­cée de son bap­tême, conti­nuant comme un for­ce­né à se convul­ser et à écla­bous­ser de par­tout, au risque d’é­chap­per aux mains qui le tenaient. L’hymne sacré s’é­le­va d’une seule voix du Baptistère :

Tu es bap­ti­sé au nom du Seigneur,
Sois notre frère en Jésus-Christ…

A peine ces pre­mières paroles eurent-elles été pro­non­cées, et alors qu’elles nous reve­naient, reprises comme en écho, par toute la Grande-Église, qu’on vit le patriarche se recu­ler, ses traits défi­gu­rés par l’é­pou­vante. Aus­si­tôt après avoir sor­ti l’en­fant de l’eau, il ne le por­tait plus à bout de bras qu’a­vec dégoût. On aurait dit que d’un ins­tant à l’autre il allait le lâcher. Il se tour­na d’a­bord vers l’empereur sans ces­ser sa gri­mace, puis vers l’as­sis­tance dans le but d’en récla­mer une aide ou de la prendre à témoin, sup­pliant qu’on l’en débar­ras­sât. Seuls quelques-uns l’en­ten­dirent mur­mu­rer, pour lui-même : « Mon Dieu, quelle hor­reur ! Satan a fait son œuvre. Voi­là qui pré­sage les plus grands maux pour les chré­tiens ! Cet enfant souille­ra l’Église ! »
Intri­gué, et sans qu’on eût com­pris sur-le-champ les rai­sons de ce désar­roi, cha­cun à son tour se pen­cha, incli­nant sa lampe au-des­sus de la conque de marbre. A la sur­face de l’eau noire flot­taient de minus­cules étrons. L’en­fant venait de défé­quer dans les fonts bap­tis­maux. Qui put ima­gi­ner une chose pareille ? […]

Réfu­ta­tion par le Min­sou­ra­tor Léon­tios, chef des thu­ri­fé­raires, des accu­sa­tions diverses dont il fut l’ob­jet à la suite des inci­dents qui mar­quèrent le bap­tême de Constan­tin, dit « le Copronyme ».

Le règne de l’empereur, pour­tant fin stra­tège et chef mili­taire hors pair au point que l’on prê­ta à son fan­tôme cer­taines vic­toires contre les Bul­gares, fut pas­sa­ble­ment tour­men­té. La per­sonne de l’empereur fut elle-même sou­mise à l’at­tri­bu­tion d’un autre sur­nom ; « Cabal­li­nos », c’est-à-dire à peu de choses près, le che­val­lin. Ama­teur de courses de che­vaux dans l’Hip­po­drome, il aimait éga­le­ment s’a­don­ner à divers plai­sirs dans les écu­ries… Un de ses passe-temps, dit-on, était de s’as­per­ger le corps de l’u­rine de ses juments et de s’en­duire de leurs excré­ments… Res­pec­tant peu les pré­ceptes de la reli­gion, il conver­tit l’é­glise Sainte-Euphé­mie en dépôt de fumier et y ins­tal­la cer­tains de ses che­vaux, et il était de noto­rié­té publique que s’en­ga­geait fré­quem­ment des courses pour­suites entre les stalles, qui se ter­mi­naient dans la litière souillée et puante des ani­maux, le corps maigre de l’empereur enfour­chant celui du pre­mier pale­fre­nier qu’il trouvait…

Atteint du char­bon, une plaie béante lui dévo­rant la cuisse, il finit sa vie tour­men­tée en cam­pagne et dans un état de déla­bre­ment et de folie terrible.

Le simple contact d’une jam­bière de métal ou d’une étoffe lui était comme un fer rouge appli­qué sur sa plaie. Il allait donc à demi nu, ce qui n’é­tait pas, disait-on, tout à fait pour lui déplaire. […] La pous­sière noire qui tom­bait de ses pus­tules emplis­sait à la fois d’hor­reur et de com­pas­sion les sol­dats que ses faits d’arme conti­nuaient à lui gar­der fidèles et qui le véné­raient à l’é­gal d’un dieu. […] Consu­mé par une fièvre ardente, Constan­tin de temps à autre se pre­nait à hur­ler : « Je suis brû­lé vivant par un feu inextinguible. »

Frag­ment de « vie, mort et légendes de Constan­tin V » par un ano­nyme du XIIème siècle.

Constan­tin mou­rut dans d’a­troces souf­frances le 14 sep­tembre 775, soit disant en ser­rant contre son cœur l’i­cône de la Vierge Théo­to­kos qu’il avait pas­sé sa vie à persécuter.

Tous les textes sont extraits de l’Ico­no­claste, d’Alain Nadaud
Edi­tions Quai Vol­taire, 1989

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