Frag­ments de pein­tures véni­tiennes (1) : Cathé­drale San­ta Maria Assun­ta de Torcello

Frag­ments de pein­tures véni­tiennes (1) : Cathé­drale San­ta Maria Assun­ta de Torcello

Annonciation, Vierge Odigitria  (theotokos) et Apôtres, Torcello, basilique Santa Maria Assunta - XIIè siècle

Sur la lagune de Venise se trouve une petite île que per­sonne ne va visi­ter parce que ce n’est qu’un endroit péri­phé­rique des grands par­cours tou­ris­tiques. Pour­tant, on connait son nom, ou tout au moins on en a déjà enten­du par­ler : Tor­cel­lo. La par­ti­cu­la­ri­té des îles qui com­posent l’ar­chi­pel de Venise c’est de n’être pas tel­le­ment plus haut que le niveau de la mer qui vient lui lécher les pieds et c’est alors ce qu’on voit tous les ans (ou deux fois par an, puisque cela arrive au moment des équi­noxes) aux jour­naux télé­vi­sés comme une ritour­nelle, l’acqua alta. Les Ita­liens ont un don pour nom­mer les choses de la manière la plus simple qui soit. Quand l’eau monte, l’eau devient haute… C’est tout.

De cette petite île, Tor­cel­lo, dépasse un cam­pa­nile car­ré sur­plom­bant une cathé­drale dont on se demande fina­le­ment ce qu’elle fait là puisque l’île n’a­brite plus que quelques habi­tants, tan­dis qu’au Xème siècle elle voyait sa popu­la­tion s’é­le­ver à plus de 10 000 habi­tants. La façade de ce bâti­ment révèle qu’il date de la période romane, et même, puisque nous sommes en Ita­lie, de la période byzan­tine si l’on en croit l’inscription qui fait remon­ter son ori­gine à 639. A l’in­té­rieur se trouve le cul-de-four de l’ab­side, une demi-couple déco­rée d’une mosaïque abso­lu­ment somp­tueuse datant du XIIè-XIIè siècle, parée d’or, repré­sen­tant dans un espace assez grand la Vierge à l’en­fant (Theo­to­kos, mère de Dieu, et Odi­gi­tria, qui montre la direc­tion) entou­rée du mono­gramme qui est le sien (MP ΘY). La figure de la Vierge est sur­plom­bé par une Annon­cia­tion au-des­sus du cul-de-four, l’Ange Gabriel à gauche, la Vierge à droite. Sous les pieds de la Vierge, les douze apôtres mar­chant sur un par­terre de coque­li­cots. Comme toutes les fleurs rouges, celle-ci en par­ti­cu­lier est sym­bole du sang du Christ ver­sé pour les hommes.

Dans la cathé­drale se trouvent d’autres mosaïques très belles, fine­ment exé­cu­tées, notam­ment celle du Juge­ment Der­nier, mais celle-ci a la charme de sa taille, impres­sion­nante et tend à nous faire savoir si on l’a­vait oublié que l’his­toire de Venise a de tout temps été tour­née vers l’O­rient et se place sur le même plan que de l’art de Byzance. Pro­me­nez-vous dans Venise et vous ver­rez que nous sommes aux portes de Constantinople…

Pour en savoir plus : Les peintres de Venise, Enri­co Maria dal Poz­zo­lo, Actes Sud.

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Expo­si­tion au Louvre: Chypre, entre Byzance et l’Occident

Saint Mammès chevauchant le lion. Icône, Paphos, Musée byzantin © Paphos, Musée byzantin Une autre expo­si­tion pour laquelle il ne reste plus beau­coup de temps et qui exhibe quelques objets signi­fi­ca­tifs d’une longue période allant du IVème au XVIème siècle, d’une his­toire reli­gieuse de l’île qui a long­temps vécu sous influence, notam­ment sous le règne des Lusignan.
Construite chro­no­lo­gi­que­ment à par­tir des pre­miers temps de la chré­tien­té, lorsque l’Em­pire Romain d’O­rient est encore aux rênes de ce qu’on appelle l’Em­pire Byzan­tin jus­qu’à la conquête de l’île par la marine otto­mane, on per­çoit au tra­vers de cette expo­si­tion les dif­fé­rents mou­ve­ments d’une his­toire poli­tique tour­men­tée, suc­ces­si­ve­ment colo­ni­sée par toutes les puis­sances en pré­sence sur le pour­tour médi­ter­ra­néen (Arabes, Croi­sés, Véni­tiens, Turcs…), mais sur­tout que Chypre a été le foyer, et cela aus­si en rai­son de son sta­tut insu­laire, d’une grande spi­ri­tua­li­té, tiraillée entre ses ori­gines ortho­doxes et catho­liques tout au long des trois siècles pen­dant les­quels les Lusi­gnan feront de Chypre leur jar­din pri­vé. Cette spi­ri­tua­li­té s’ac­com­pagne d’une longue tra­di­tion archi­tec­tu­rale et de créa­tion artis­tique influen­cée par les habi­tants suc­ces­sifs de l’île.
De très belles icônes res­ca­pées de l’é­poque ico­no­claste conservent encore des cou­leurs d’une puis­sance sans égale. On pour­ra ain­si s’ex­ta­sier devant une icône haute de plus d’un mètre rela­tant les épi­sodes de la vie de Saint-Nico­las (pro­ve­nant de Saint-Nico­las-du-Toit, expo­sée d’or­di­naire au musée byzan­tin de Nicosie)

 

Ce sera éga­le­ment l’oc­ca­sion de voir un très beau livre qui ne sort que rare­ment de la BNF, le Thea­trum orbis ter­ra­rum d’Abra­ham Orte­lius, ain­si que le très énig­ma­tique Codex Magius. (more…)

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Le livre contre le musée, du tre­mem­dum au canapé…

Lorsque j’é­tais à l’in­té­rieur du bap­tis­tère San Gio­van­ni de Flo­rence avec ses mosaïques de style byzan­tin repré­sen­tant le Christ du Juge­ment der­nier entou­ré des neuf repré­sen­tants de la hié­rar­chie céleste(1), je me suis posé une ques­tion. Mais d’a­bord, je me suis lais­sé enva­hir par la beau­té du lieu. Je pense que ce bap­tis­tère est un des lieux les plus magiques de l’his­toire de la chré­tien­té, et mal­gré ses dimen­sions beau­coup plus modestes que le Duo­mo(2) voi­sin, il n’en reste pas moins un lieu magni­fique. Ses mosaïques dorées sont bai­gnées d’une lumière irréelle et donnent au visi­teur une sen­sa­tion de majes­té écra­sante, ce qui est le lieu com­mun des œuvres sacrées. On doit s’y sen­tir petit, un tre­men­dum(3) tout puis­sant vous étrillant les entrailles… Ensuite je me suis posé une ques­tion. Je me suis dit que si je vou­lais prendre le temps de com­prendre cette his­toire, de la déchif­frer, d’en décou­vrir les sub­ti­li­tés et les sym­boles, il serait peut-être pré­fé­rable que je regarde les repro­duc­tions d’un livre, parce que ce sont deux temps dif­fé­rents chez moi. Je ne viens pas sur place pour com­prendre les mys­tères d’une fresque ou d’un tableau. Je suis là pour en res­sen­tir l’im­mé­diate pré­sence, pour me sen­tir hap­pé par l’œuvre telle que l’a conçu son auteur, l’acte intel­lec­tuel est pour plus tard, dans le second acte. Ce second acte est un acte de décom­po­si­tion de l’ins­tinct, un acte éla­bo­ré dans lequel on se ques­tionne et on ques­tionne l’œuvre dans sa rela­tion de dépen­dance à notre perception.


Flo­rence — Bap­tis­te­ry San Gio­van­ni (inter­ior) in Flo­rence

Donc, pour moi, le livre est un sup­port qui vient aider la com­pré­hen­sion. Et puis soyons hon­nête, il y a tou­jours quelque chose qui nous per­turbe quand on est sur place. Trop de monde, trop de bruit, et puis la plu­part du temps on doit cir­cu­ler, ne pas res­ter là sur place, sur­tout pas, il faut qu’il y en ait pour tout le monde. La barbe.
Cha­cune des deux actions est donc décor­ré­lée et se suf­fit à elle-même. Et jus­qu’à il y a peu, je pen­sais qu’on pou­vait faci­le­ment se pas­ser de l’un ou de l’autre. Jus­qu’à ce que j’aille voir les deux expo­si­tions Cana­let­to(4). En réa­li­té, je m’en suis sur­tout ren­du compte lorsque j’ai ouvert les deux cata­logues que j’ai ache­tés (oui, je sais, c’est cher les livres) et que je me suis aper­çu que les repro­duc­tions, mal­gré leur indé­niable qua­li­té et défi­ni­tion, n’é­taient que les reflets assez pâles de ce que je venais de voir. Et là, rien ne pou­vait venir contre­dire cela. Sur les tableaux de Cana­let­to, on peut voir les petites gouttes de pein­ture qui font les visages, les volutes flo­rales des décors des immeubles enrou­lées avec grâce, les caches que le peintre a uti­li­sé pour déli­mi­ter les à‑plats de cou­leurs, bref, tout ce qu’on ne voit pas sur la repro­duc­tion du livre.
Après, il y avait tel­le­ment de monde, notam­ment à Jac­que­mart-André, que j’ai cru que j’al­lais cra­quer et finir par écra­ser quelques pieds. Impos­sible de se plan­ter devant un tableau et d’at­tendre qu’il se révèle. Car c’est comme ça que ça fonc­tionne. Dif­fi­cile sur un livre de se lais­ser édi­fier par une œuvre monu­men­tale ou sim­ple­ment un por­trait gran­deur nature. De temps en temps, l’o­pé­ra­tion intel­lec­tuelle se fait sur place et prend l’al­lure d’une épi­pha­nie, d’une qua­si révé­la­tion. C’est ce qui m’est arri­vé devant L’es­ca­lier des Géants du Palaz­zo Ducale, un pur moment de grâce. A un moment don­né, le tableau s’est éri­gé devant moi comme s’il sor­tait de terre. Étran­ge­ment, même les plus grands tableaux de Cana­let­to peuvent être regar­dés de près, c’est ce qui fait la puis­sance de ces vedute.

L’es­ca­lier des Géants du Palaz­zo Ducale
(La Sca­la dei Gigan­ti in Palaz­zo Ducale)
1755–1756 — 174 x 136 cm

Alors je me suis deman­dé si quelque chose pou­vait rem­pla­cer l’ex­po­si­tion, l’ex­hi­bi­tion de ces œuvres réunies en un seul endroit pour extraire l’es­sence d’un style, d’un peintre, d’une époque. Je serais ten­té de dire que ça dépend. Ima­gi­nez vous face au fron­ton de l’ab­ba­tiale de Conques (déjà, il faut y aller en Avey­ron…) et pour un œil non exer­cé, ten­ter d’en décou­vrir tous les sym­boles cachés peut mettre du temps, alors que si vous êtes dans votre salon armé d’une belle repro­duc­tion, les choses peuvent vous appa­raître plus sim­ple­ment. Évi­dem­ment, se dire aus­si qu’on ne ver­ra pas tous les jours tel ou tel tableau est un encou­ra­ge­ment pour se dépla­cer aux expo­si­tions. Untel vient du musée de l’Er­mi­tage, untel des col­lec­tions pri­vées du Duc de Nor­thum­ber­land, untel des col­lec­tions du Prince de Liech­ten­stein, un car­net de note du peintre qui ne sort que pour la deuxième fois dans une expo­si­tion publique… Rien que ça invite à faire le déplacement.

Alors j’en prends mon par­ti à pré­sent. Si le temps me le per­met et si les condi­tions in situ ne sont pas trop désa­gréables, je me laisse sai­sir par l’œuvre. Sinon, je repère ce que je sou­haite appro­fon­dir et je me dis que je m’en sor­ti­rai avec la repro­duc­tion, quitte à trans­for­mer mes appar­te­ments pri­vés en biblio­thèque d’art…

Notes :
(1) Séra­phins, Ché­ru­bins, Trônes, Domi­na­tions, Auto­ri­tés, Puis­sances, Prin­ci­pau­tés, Archanges et Anges, selon la Hié­rar­chie Céleste du Pseu­do-Denys l’A­réo­pa­gite (490)
(2) San­ta Marie del Fiore (Sainte-Marie de la fleur)
(3) Sen­sa­tion du redou­table intro­duite dans la reli­gion par le pro­tes­tan­tisme, numi­neux de la psy­cha­na­lyse, notion déve­lop­pée chez Mir­céa Eliade, Le sacré et le pro­fane, Paris, Gal­li­mard, 1957.
(4) Cana­let­to à Venise, Musée Maillol, 59, rue de Gre­nelle (VIIe). Jus­qu’au 10 février 2013. 
Cana­let­to-Guar­di, Musée Jac­que­mart-André 158, bou­le­vard Hauss­mann (VIIIe). Jus­qu’au 14 jan­vier 2013.

Note de bas de page : ceci est mon 500ème billet sur ce blog

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Le phal­lus de l’a­bri Blanchard

Au tra­vers des dif­fé­rentes lec­tures, compte-ren­dus de fouilles ou articles de revues décor­ti­quées ces der­niers temps, je me suis ren­du compte que la pré­sence de phal­lus dans les abris notam­ment de la Dor­dogne était beau­coup plus réduite que celle des vulves.

Bien évi­dem­ment, il existe cer­tai­ne­ment des sources fiables per­met­tant d’en faire le des­crip­tif et d’en décrire l’u­ti­li­té ou la fonc­tion, mais dans le domaine des repré­sen­ta­tions sexuelles, on trouve des choses très diverses qui para­sitent les interprétations.
Alors on peut se deman­der, pour­quoi plus de vulves que de phal­lus ? (more…)

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Les vulves de l’a­bri de la Ferrassie

Par­mi les pre­mières repré­sen­ta­tions gra­phiques qu’on peut trou­ver datant de l’Auri­gna­cien, on assiste à la nais­sance d’un art de repré­sen­ta­tion avec la pré­sence de vulves gra­vées dans des blocs ou direc­te­ment sur la parois. Par­fois asso­ciées à la pré­sence d’un phal­lus, quelque fois à un ani­mal comme dans l’abri de la Fer­ras­sie en Dor­dogne. On ver­ra dans ces gra­vures des repré­sen­ta­tions de la fer­ti­li­té ou plus sim­ple­ment de la conscience de la dif­fé­ren­cia­tion sexuelle. Jusque là, rien d’ex­cep­tion­nel dira-t-on. (more…)

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