Maes­tà #3 : La Maes­tà du Louvre par Cima­bue (Gio­van­ni Cen­ni di Pepe)

Maes­tà #3 : La Maes­tà du Louvre par Cima­bue (Gio­van­ni Cen­ni di Pepe)

Voi­ci une nou­velle Maes­tà de Cima­bue, plus ancienne que la pré­cé­dente puisque celle-ci, nous savons qu’elle a été com­po­sée en 1280. Je suis par­ti­cu­liè­re­ment atta­ché à celle-ci car c’est grâce à elle qu’un dimanche, il y a quelques années de cela, j’ai réel­le­ment décou­vert Cima­bue. Flâ­nant béa­te­ment, l’oeil encore un peu ensom­meillé, je me suis arrê­té devant cette chose immense de 427 × 280 cm, ce qui est réel­le­ment consi­dé­rable pour un objet de cette richesse. Je rap­pelle les dimen­sions des deux der­nières Maes­tà étu­diées (nous sommes dans le même ordre de grandeur) :

Maestà du Louvre (La Vierge et l'Enfant en majesté entourés de six anges) - Cimabue - 1280 - Musée du Louvre

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Maes­tà #2 : La Maes­tà di San­ta Tri­ni­ta par Cima­bue (Gio­van­ni Cen­ni di Pepe)

Maes­tà #2 : La Maes­tà di San­ta Tri­ni­ta par Cima­bue (Gio­van­ni Cen­ni di Pepe)

Cette très belle Maes­tà de Gio­van­ni Cen­ni di Pepe, plus connu sous le nom de Cima­bue (dont nous ne connais­sons d’ailleurs pas le visage puisque l’illus­tra­tion de son entrée — la pre­mière — des Vite de Gior­gio Vasa­ri n’a été com­po­sée que d’a­près une gra­vure d’é­poque) est conser­vée dans la même salle (la n°2) du Musée des Offices que la Maes­tà de Duc­cio, pré­cé­dem­ment étu­diée. La pré­sence des deux tableaux (plus un autre que nous étu­die­rons plus tard) n’est pas for­tuite puisque ce sont des “tableaux de réfé­rence”. Réfé­rence car à la fois modèle issu des canons de la pein­ture byzan­tine et paran­gon de pein­ture pré-Renais­sance ; elles sont révé­la­trices d’une vision momen­ta­née de l’art, aus­si bien que la réfé­rence de ce qui vien­dra après et qui le permettra.
Je reste per­sua­dé qu’a­fin d’a­voir une bonne vision des œuvres qu’on étu­die, il faut avoir un mini­mum de connais­sances sur plu­sieurs envi­ron­ne­ments ; d’a­bord la vie des artistes, ensuite l’his­toire de la reli­gion et l’his­toire tout court, puis éga­le­ment s’in­té­res­ser aux com­man­di­taires, et nous entrons ain­si dans une sys­tème éco­no­mique dont la sur­face du bois peint n’est plus que l’ex­pres­sion ultime. Dres­sons le décor. Trois hommes nés à quelques années d’é­cart vont créer une dyna­mique pic­tu­rale qui va faire bas­cu­ler l’his­toire de l’art du conser­va­tisme byzan­tin à la moder­ni­té de la Renaissance.

  1. Cima­bue (1240–1305)
  2. Duc­cio di Buo­nin­se­gna (1255–1319)
  3. Giot­to di Bon­done (1267–1337)

On le voit à leurs dates de nais­sance et mort, ils naissent tous les trois à plus ou moins dix ans d’é­cart et ce n’est pas un hasard qu’ils aient joué sur une telle scène et soient aus­si déter­mi­nants car les trois hommes se connais­saient très bien ; en effet, les deux der­niers ont été les élèves du pre­mier. Cima­bue occupe donc une place cen­trale qu’on a sou­vent du mal à lui res­ti­tuer. Sur les trois, c’est Giot­to qui rem­porte tou­jours les faveurs du plus grands nombres, mais j’ai tou­jours un peu de tris­tesse lorsque je constate à quel point on ne prend pas en compte l’in­fluence des ainés, même si l’é­lève dépasse le maître. On devrait tou­jours dire Giot­to, élève de Cima­bue, comme un épi­thète indis­so­ciable. Donc après avoir par­lé de Duc­cio et avant d’en venir à Giot­to, il me semble nor­mal, dans cette fresque sur les plus belles Maes­tà de l’his­toire de la pein­ture, de faire un grand détour par Cima­bue, que nous étu­die­rons d’ailleurs à deux reprises au moins. Fai­sons fi de la chro­no­lo­gie pour aller où bon nous semble.

Maestà di Santa Trinita - Cimabue - 1280-90 - Galleria degli Uffizi - Florence

Voi­ci donc une Maes­tà peinte aux alen­tours de 1280, mesu­rant 385 × 223 cm, légè­re­ment plus petite donc, que celle de Duc­cio, mais immense tout de même. Lorsque l’on songe que ces tableaux étaient peints en tem­pe­ra (c’est-à-dire avec cette tech­nique immé­mo­riale qui ser­vait à peindre les icônes byzan­tines) sur des pan­neaux de bois, c’est-à-dire un maté­riau cher (le pas­sage à la toile est impli­ci­te­ment un sou­ci d’é­co­no­mie), et dont les par­ties les plus nobles étaient recou­vertes de feuilles d’or, on a peine à ima­gi­ner à quel point ces œuvres sont avant tout œuvres de richesse avant d’être œuvres de reli­gion. La tableau est donc peint, sur la com­mande de l’ab­baye de Val­lom­bro­sa, pour l’é­glise dont elle porte le nom, la petite basi­lique San­ta Tri­ni­ta de Flo­rence (à deux pas du pont San­ta Tri­ni­ta et face à la Colon­na del­la Gius­ti­zia, colonne mono­li­thique en gra­nit pro­ve­nant des termes de Cara­cal­la). Après une par­cours dégra­dant, elle finit dans la salle n°2 de la Gale­rie des Offices. (more…)

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Maes­tà #1 : La Madone Rucel­lai par Duc­cio di Buoninsegna

Maes­tà #1 : La Madone Rucel­lai par Duc­cio di Buoninsegna

Nous voi­ci face à une œuvre d’une force consi­dé­rable. La Maes­tà (Vierge en majes­té) por­tant le nom de la cha­pelle de San­ta Maria Novel­la de Flo­rence dans laquelle elle a long­temps été expo­sée, jus­qu’en 1937, est en tout point conforme aux canons de la pein­ture byzan­tine. Le grand Sien­nois Duc­cio di Buo­nin­se­gna, Duc­cio pour les intimes, a réa­li­sé là ce que la reli­gion d’a­lors exi­geait d’un peintre en matière d’art, ni plus, ni moins. C’est en tout cas ce qu’on cer­tai­ne­ment crû les com­man­di­taires de ce tableau aux dimen­sions colos­sales (290x450 cm) puisque le tableau est long­temps res­té accro­ché dans l’église.

Duccio di Buoninsegna -  Madonne Rucellai - 1285 -  Galleria degli Uffizi - Florence

Fond doré, taille et posi­tion des deux per­son­nages prin­ci­paux, prin­cipe iso­mé­trique de la pers­pec­tive du trône, tout y est ; c’est une œuvre qui a voix au cha­pitre. Mais Duc­cio avait du génie et si l’on regarde ce tableau d’un peu plus près, on voit que le peintre n’a pas fait l’é­co­no­mie du par­ti pris esthé­tique. Évi­dem­ment, la Vierge est la plus belle des femmes, rien à redire là-des­sus, mais la Vierge de Duc­cio a le regard de biais, le regard tendre et atten­dri, elle n’a en aucun cas ce regard froid de bour­geoise qui toise le monde, et ses joues sont légè­re­ment rosies, son teint n’a rien à voir avec le teint cada­vé­rique des pein­tures d’an­tan… Voi­là enfin une Vierge à échelle humaine, même si ses dimen­sions la placent bien au-des­sus du com­mun des mor­tels. La Vierge est donc une femme, une vraie, avec des émo­tions, de la ten­dresse, sur­tout, elle est capable d’é­mo­tion, ce n’est pas qu’une pleu­reuse qui s’ef­fondre au pied de son fils cru­ci­fié. En voi­là une sacrée nou­velle ! Pour faire bonne mesure et ne pas trop en dire, Duc­cio a éga­le­ment légè­re­ment rosi les joues du pote­lé bam­bin futur Roi du Monde ain­si que celles des anges. Après tout, ce sont aus­si des per­son­nages d’es­sence divine… (more…)

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La Ciste de Pré­neste (Pales­tri­na — au juge­ment de Pâris) — Etrusques au Musée Maillol

Objet phare des cultes à mys­tères, cette ciste des­ti­née à rece­voir des objets que les pro­fanes n’a­vaient pas à voir dans la civi­li­sa­tion grecque, pro­vient de la civi­li­sa­tion étrusque et avait cer­tai­ne­ment un usage plus fémi­nin. On estime que son usage était de conser­ver les ins­tru­ments de toi­lette des femmes de haut-rang. Décou­verte à Pré­neste (Pales­tri­na), c’est un objet tout à fait unique par sa taille (575 mm dans sa hau­teur totale) ain­si que par sa fac­ture. Conser­vée actuel­le­ment à Rome, au Museo Nazio­nale Etrus­co di Vil­la Giu­lia, ce bronze lami­né datant de la fin du IVè siècle av. J.-C. fait par­tie de l’ex­po­si­tion actuelle que l’on peut voir au Musée Maillol et ce, jus­qu’au 9 février 2014.
Posée sur trois pieds repo­sant eux-mêmes sur des gre­nouilles, c’est un objet assez mas­sif, dont les pieds sont sou­te­nues par trois génies fémi­nins ailés. La poi­gnée, impo­sante, repré­sente une ama­zone nue, décé­dée, por­tée par deux ama­zones en armes. Les trois scènes repré­sen­tées sur le corps de la ciste se décom­posent ain­si : l’en­lè­ve­ment de Cry­sippe, la consul­ta­tion de l’o­racle d’Apollon et le juge­ment de Pâris.

Ciste de Préneste (Palestrina - au jugement de Pâris) - fin IVè siècle av.J.-C. - Bronze laminé - Rome, Museo Nazionale Etrusco di Villa Giulia - Etrusques au Musée Maillol

De taille moins impo­sante que la Ciste Fico­ro­ni et moins connue, son ori­gi­na­li­té réside dans le des­sin du corps de cet objet tar­dif. En regar­dant de près, on voit que les scènes cen­trales ont été gra­vées dans le métal et la scène de l’en­lè­ve­ment qu’on peut voir en détail ci-des­sous est des­si­née de trois-quarts face, enrou­lée autour du corps de la ciste, avec un réa­lisme assez incroyable compte-tenu de l’é­poque où elle a été réa­li­sée, puisque la plu­part des scènes des­si­nées à l’é­poque l’é­taient géné­ra­le­ment de pro­fil. Une œuvre d’art hau­te­ment sym­bo­lique de l’é­tat d’a­van­ce­ment de la civi­li­sa­tion étrusque, que ce soit en matière de réa­li­sa­tion, ou en matière d’é­la­bo­ra­tion du dessin.

Ciste de Préneste - détail - (Palestrina - au jugement de Pâris) - fin IVè siècle av.J.-C. - Bronze laminé - Rome, Museo Nazionale Etrusco di Villa Giulia - Etrusques au Musée Maillol

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L’art cré­tois comme natu­ra­lisme triomphant

L’art cré­tois comme natu­ra­lisme triomphant

Ver­tige de la liste minoen par Fer­nand Brau­del.

A la grande époque de l’art cré­tois — celle des seconds palais —, avant la période mycé­nienne qui fige­ra toute cette liber­té, le natu­ra­lisme est triom­phant : bêtes et plantes sont par­tout sur les murs ou au flanc des vases de céra­mique ; un brin d’herbe, une touffe de cro­cus ou d’i­ris, un jet de lys blancs sur l’ocre d’un vase ou sur le rouge pom­péien d’un stuc mural, des roseaux qui se marient et un motif conti­nu, presque abs­trait, un rameau d’o­li­vier fleu­ri, les bras tor­dus d’un poulpe, des dau­phins, une étoile de mer, un pois­son bleu ailé, une ronde d’é­normes libel­lules, autant de thèmes en soi, mais jamais trai­tés avec la minu­tie bota­nique des herbes ou des vio­lettes de Dürer. Ils sont le décor irréel d’un monde irréel ou un singe bleu cueille des cro­cus, un oiseau bleu se perche sur des rochers rouges, jaunes, bleus, jas­pés de blanc, où fleu­rissent des églan­tiers ; un chat sau­vage guette à tra­vers des branches de lierre aériennes un oiseau inno­cent qui lui tourne le dos, un che­val traîne le char de deux jeunes déesses sou­riantes… La céra­mique se prête comme la fresque à cette fan­tai­sie inven­tive. Il est curieux de voir le même thème végé­tal ou marin trai­té de mille façons dif­fé­rentes, sur tant de vases mul­ti­pliés par le tour du potier et expor­tés par cen­taines. Comme si le peintre, chaque fois, exi­geait le plai­sir de la création.

Fer­nand Brau­del : Les Mémoires de la Médi­ter­ra­née (pré­his­toire et antiquité)
Livre de poche, col­lec­tion Réfé­rences
Édi­tions de Fal­lois, 1998

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