Mogao, et par­ti­cu­liè­re­ment la grotte 17

Mogao, et par­ti­cu­liè­re­ment la grotte 17

Mogao (莫高窟), grottes d’une hau­teur inéga­lée, Dun­huang (敦煌市) ou Touen-Houang, et tous les noms qui y sont asso­ciés, Niko­laï Mikhaï­lo­vitch Prje­vals­ki, celui qui don­na son nom au che­val des steppes, au rou­ge­queue et à la ligu­laire de Chine, Sir Aurel Stein, Paul Pel­liot, l’ab­bé Wáng Yuánlù, mais aus­si le lac et l’oa­sis du Crois­sant de Lune, Yueya­quan (月牙泉) voi­ci ce qui consti­tue un des uni­vers les plus fas­ci­nants dans l’his­toire de la Chine, ou plu­tôt de cette région du monde aujourd’­hui rat­ta­chée à la Chine, non seule­ment à cause de l’ob­jet lui-même de la décou­verte, mais éga­le­ment de ce qu’on peut appe­ler un pillage en bonne et due forme, du fan­tasme de décou­verte lié à cet endroit hors du com­mun et de l’é­trange silence qui est fait aujourd’­hui sur les manus­crits qui y ont été trouvés.

Oasis du Crois­sant de lune — Yueya­quan. Pho­to © Feel planet

A deux pas du désert de Gobi, dans une oasis aux falaises éle­vées, la pierre est creu­sée de 492 cha­pelles boud­dhistes dans les­quelles sont peintes des fresques somp­tueuses, où l’on trouve des sta­tues colos­sales du Boud­dha, mais bien au-delà de ces tré­sors ines­ti­mables dont l’é­mer­gence se situe entre le IVe et le XIVe siècles, que la séche­resse du désert a pu main­te­nir en très bon état, une des plus superbes décou­vertes de l’his­toire de l’hu­ma­ni­té y a été faite par un Anglais dont le nom résonne encore comme l’a­po­gée de la traî­trise aux oreilles des Chi­nois, Sir Aurel Stein. Dans une des grottes, il découvre en 1907 une biblio­thèque murée dont le mur de brique finit par être abat­tu ; la décou­verte y est colos­sale. Près de 50000 docu­ments, objets, sta­tues, ban­nières s’y trouvent dépo­sés depuis une date anté­rieure au XIe siècle. Stein, n’ayant que peu de temps devant lui, arrive à mar­chan­der quelques manus­crits, dont le célèbre Soû­tra du dia­mant. Fina­le­ment, entre ses deux expé­di­tions, il pré­lève près de 20000 docu­ments et objets. Après lui, en 1908, le Fran­çais Paul Pel­liot emporte 10000 objets, dont des textes nes­to­riens et des tra­duc­tions en chi­nois de textes d’ins­pi­ra­tion chré­tienne. C’est la décou­verte de cette grotte, com­mu­né­ment appe­lée grotte 17 que nous raconte Peter Hopkirk.

Wáng Yuánlù, gar­dien des grottes de Dunhuang

Stein écri­vit : « Je n’a­vais rien d’autre à faire qu’attendre. »
Pas pour long­temps, ain­si que la suite devait le prou­ver. Pus tard, au cours de cette nuit-là, Chiang entra silen­cieu­se­ment dans la tente de Stein et sor­tit avec exci­ta­tion plu­sieurs manus­crits cachés sous son man­teau. Stein vit du pre­mier coup d’œil que ces textes rou­lés étaient très anciens. Les dis­si­mu­lant à nou­veau sous ses vête­ments — car le prêtre avait insis­té pour que cela se passe dans le plus abso­lu secret — Chiang s’es­qui­va et rejoi­gnit dis­crè­te­ment sa petite cel­lule de moine située au pied d’un gigan­tesque Boud­dha assis taillé dans la paroi de la falaise. Il pas­sa le reste de la nuit absor­bé dans ces manus­crits, s’ef­for­çant d’i­den­ti­fier ces textes et de déter­mi­ner leurs dates. A l’aube, il revint sous la tente de Stein, « son visage expri­mant à la fois le triomphe et la stu­pé­fac­tion ». Trans­por­té de joie, il lui décla­ra que ces tra­duc­tions chi­noises de soû­tra boud­dhistes por­taient des colo­phons qui per­met­taient d’é­ta­blir que ces textes avaient été tra­duits par Hsuan-tsang lui-même d’a­près des manus­crits ori­gi­naux qu’il avait rap­por­té de l’Inde.
Il s’a­gis­sait d’un extra­or­di­naire pré­sage — « signe divin », comme le qua­li­fiait Stein — que même cet homme inquiet qu’é­tait Wang ne pour­rait man­quer de recon­naître. En effet, lorsque le petit prêtre avait pré­le­vé de sa chambre secrète ces manus­crits-là, il ne pou­vait abso­lu­ment pas savoir que ces docu­ments étaient direc­te­ment liés à Hsuan-tsang. Chiang s’empressa de lui annon­cer la nou­velle. Il assu­ra à Wang qu’il ne pou­vait y avoir qu’une expli­ca­tion : au-delà de sa tombe, Hsuan-tsang avait lui-même choi­si ce moment pour révé­ler ces textes boud­dhistes sacrés à Stein, « afin que son admi­ra­teur et dis­ciple de l’Inde loin­taine », puisse les rap­por­ter d’où ils étaient venus. Chiang n’eut pas besoin d’in­sis­ter davan­tage. Le dévot prêtre n’é­tait pas près d’ou­blier ce pré­sage. En quelques heures, le mur qui blo­quait la niche où se trou­vaient les manus­crits était abat­tu, et avant la tom­bée du jour, Stein scru­tait la chambre secrète à la lumière de la rudi­men­taire lampe à huile de Wang. Cette scène en rap­pelle une autre qui s’é­tait dérou­lée quinze ans aupa­ra­vant, lorsque Howard Car­ter contem­pla la tombe de Tou­tân­kha­mon à la lueur vacillante d’une bougie.
En tant qu’ar­chéo­logue, Stein ne pou­vait qu’être bou­le­ver­sé par ce qu’il voyait. « Ce que me révé­la cette petite pièce avait de quoi me faire écar­quiller les yeux, racon­ta-t-il ». Amon­ce­lés en plu­sieurs couches, sans aucun ordre, appa­rurent à la faible lueur de la petite lampe que tenait le prêtre la masse com­pacte que for­maient ces énormes paquets de manus­crits qui s’é­le­vaient jus­qu’à trois mètres de haut et rem­plis­saient, ain­si que des mesures ulté­rieures le prou­vèrent, un espace de près de cent cin­quante mètres cubes. C’é­tait selon les mots de Leo­nard Wool­ley, l’homme qui avait décou­vert Ur, « une pre­mière archéo­lo­gique sans pré­cé­dent ». Le Times Lite­ra­ry Sup­ple­ment décla­ra que « seuls quelques rares archéo­logues ont fait une aus­si extra­or­di­naire découverte ».

Au fur et à mesure que leur tra­vail quo­ti­dien se pour­sui­vait, étaient extraits de la chambre secrète non seule­ment d’in­nom­brables manus­crits en chi­nois, sans­krit, sog­dien, tibé­tain, turc orien­tal, runique, oui­ghour, révé­lant aus­si des langues incon­nues, mais encore une riche mois­son de pein­tures boud­dhiques. A leur extré­mi­té tri­an­gu­laire et à leurs ban­de­roles flot­tantes, Stein recon­nut tout de suite que quelques-unes étaient des ban­nières de temples, et d’autres des pein­tures votives des­ti­nées à être accro­chées au mur. Toutes étaient peintes sur une soie extrê­me­ment fine ou sur du papier. Beau­coup étaient très frois­sés, leur plis sem­blaient « repas­sés » à cer­tains endroits, parce qu’elles étaient res­tées pen­dant neuf siècles sous le tas de manus­crits. Plu­tôt que dans leur qua­li­té, l’im­por­tance de ces pein­tures rési­dait dans leur ancien­ne­té —  et donc dans leur rare­té. Les pein­tures de la dynas­tie T’ang, aux­quelles toutes celles-ci appar­te­naient, sont extrê­me­ment rares, de même que celles pro­ve­nant d’a­te­liers locaux comme ceux des oasis. La plu­part des pein­tures furent détruites au milieu du IXe siècle lors d’une vague d’an­ti­clé­ri­ca­lisme qui eut pour consé­quence la fer­me­ture ou la des­truc­tion de quelque qua­rante mille temples et sanc­tuaires boud­dhiques dans toute la Chine. Par chance, Touen-houang tom­ba aux mains des Tibé­tains en 781 apr. J.-C. et en res­ta en leur pos­ses­sion pen­dant les soixante-sept années sui­vantes. Ses temples et ses sanc­tuaires échap­pèrent ain­si à la des­truc­tion per­pé­trée dans toute la Chine à cette époque.
Cer­taines ban­nières trou­vées par­mi les manus­crits étaient si longues, lors­qu’elles furent dépliées, que des spé­cia­listes pen­sèrent qu’elles avaient été spé­cia­le­ment conçues pour être sus­pen­dues en haut des falaises de Touen-houang. Stein ne put dérou­ler la plu­part des pein­tures sur soie qu’il trou­va, tant le poids écra­sant des manus­crits sous les­quels elles avaient été ense­ve­lies durant des siècles les avaient com­pri­mées et trans­for­mées en petits paquets fra­giles et durs. Plus tard, avec une dex­té­ri­té de chi­rur­giens neu­ro­logues, des spé­cia­listes réus­sirent à les déplier dans les labo­ra­toires du Bri­tish Museum, après les avoir trai­tés chi­mi­que­ment. Cette opé­ra­tion dura sept ans.

Peter Hop­kirk, Boud­dhas et rôdeurs sur la route de la soie
Pic­quier poche

Paul Pel­liot dans la grotte 17 à Mogao

Si les décou­vertes de Pel­liot sont aujourd’­hui conser­vées au Louvre et au Musée Gui­met, celles de Stein sont dis­sé­mi­nées entre Londres et New Del­hi. Le Bri­tish Museum, loin de faire hon­neur à un de ses plus extra­or­di­naires décou­vreur n’ex­pose, à part le soû­tra du dia­mant, que quelques manus­crits trou­vés dans la grotte 17. La qua­si inté­gra­li­té de ces docu­ments est actuel­le­ment conser­vées dans des caisses, à l’a­bri de la lumière… et des regards. Etrange hom­mage à une des plus sen­sa­tion­nelles décou­vertes de l’ar­chéo­lo­gie de la Route de la soie.

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Le sūtra du dia­mant de Dunhuang

Le sūtra du dia­mant de Dunhuang

Au cœur de la mahā­pra­jñāpā­ra­mitā (प्रज्ञापारमिता), le cor­pus des œuvres lit­té­raires du grand véhi­cule, mahāyā­na (महायान), se trouve un des sūtras les plus connus du boud­dhisme, à l’o­ri­gine des grandes idées du cou­rant chan et zen.

Après avoir enten­du le Sūtra du Dia­mant, Huì­néng (惠能) se rend au monas­tère du mont de la prune jaune (黄梅山) et est assi­gné dans la cui­sine, où il demeure six mois.

Un jour, Shén­xiù (神秀), moine éru­dit et assis­tant du patriarche, écrit un poème sur un mur :

身是菩提樹, Le corps est l’arbre de l’Éveil,
心如明鏡臺。 L’es­prit est comme un brillant miroir dressé.
時時勤拂拭, À chaque ins­tant je l’époussette,
勿使惹塵埃。 Et n’y laisse aucune poussière.

Illet­tré, Hui­neng se fait lire le poème, et puis il y répond par ces vers qu’il demande à quel­qu’un d’é­crire à côté du précédent :

菩提本無樹, Il n’y a aucun arbre dans l’Éveil,
明鏡亦非臺。 Le miroir n’est pas dressé.
本來無一物, Puisque fon­da­men­ta­le­ment rien n’a d’existence,
何處惹塵埃。 Où de la pous­sière pour­rait-elle se déposer ?

(source Wiki­pe­dia)

L’im­por­tance du Vaj­rac­che­dikā­pra­jñāpā­ra­mitāsū­tra réside dans la sym­bo­lique du dia­mant, la pierre la plus dure mais aus­si la plus tran­chante qui soit, capable de cou­per toutes les autres pierres, qui, lors­qu’elle est pure peut avoir la trans­pa­rence de l’eau, et fait réfé­rence à la doc­trine de la vacui­té qui elle, trans­perce toutes les autres doc­trines sub­stan­tielles, repré­sente l’ab­sence de carac­tère fixe et inchan­geant de toute chose. Boud­dha y converse avec son dis­ciple Sub­hu­ti de la vacui­té, de la pré­cio­si­té du dia­mant qui mal­gré sa pure­té empêche le sage d’at­teindre l’éveil.

Res­pec­tueu­se­ment impri­mé par Wang Jie pour être dis­tri­bué gra­tui­te­ment à tous, au béné­fice de ses parents, le 15e jour du 4e mois, 9e année de l’ère Xian­tong. Cli­quez sur l’i­mage pour la voir en grand.

L’exé­gèse du sūtra demeure com­pli­quée du fait que les tra­duc­tions du sans­krit se sont dif­fu­sées dans le monde boud­dhiste, jus­qu’au Gand­ha­ra et au Kho­tan, et notam­ment en chi­nois sim­pli­fié. C’est une de ces ver­sions que Sir Aurel Stein a décou­vert nichée au cœur des magni­fiques grottes de Dun­huang. Si le manus­crit trou­vé n’a­vait été qu’un simple manus­crit, il n’au­rait pas été si célèbre. C’est aujourd’­hui le seul manus­crit rap­por­té par Aurel Stein qui soit expo­sé au public dans les salles de la Bri­tish Libra­ry, et pour cause, il est daté de 868 et se trouve être le pre­mier docu­ment retrou­vé impri­mé de l’hu­ma­ni­té, six cents ans avant les pre­mières impres­sions de Guten­berg, ce qui ne ren­seigne abso­lu­ment en rien sur les pro­cé­dés uti­li­sés à l’é­poque, mais peu importe, la réa­li­té est là, il a bien été impri­mé et porte aujourd’­hui la cote Or. 8210/p.

Le plus célèbre manus­crit issu de la masse encom­brant la pièce est sans aucun doute le Soû­tra du Dia­mant. Sa renom­mée n’a rien à voir avec le texte lui-même, dont il existe d’in­nom­brables exem­plaires (il y en avait plus de cinq cents, com­plets ou non, qui fai­saient par­tie du seul butin de Stein à Touen-Houang). Celui-ci semble être le plus ancien livre impri­mé que l’on connaisse, fabri­qué il y a plus de mille ans à par­tir de blocs d’im­pres­sion en bois. Dans un ouvrage chi­nois contem­po­rain ayant pour thème l’his­toire de l’im­pri­me­rie et publié en 1961 par la Biblio­thèque Natio­nale de Pékin, ce texte est ain­si décrit : « Le Soû­tra du Dia­mant, impri­mé en l’an­née 868 […], est le plus ancien livre impri­mé qui existe au monde ; il est fait de sept bandes de papier jointes les unes aux autres, com­pre­nant sur la pre­mière page une gra­vure d’un grand talent. » L’au­teur ajoute : « Ce célèbre rou­leau fut volé il y a plus de cin­quante ans par l’An­glais Ssu T’an-yin [Stein] ; cet acte fait encore grin­cer les dents des Chi­nois, qui lui vouent une haine achar­née. » Ce livre est main­te­nant expo­sé au Bri­tish Museum, à quelques pas du célèbre ouvrage occi­den­tal : la Bible de Guten­berg. Le rou­leau de Touen-houang, qui mesure quatre mètres et huit cen­ti­mètres de long, porte la date exacte du 11 mai 868 ain­si que le nom de l’homme qui le com­man­da et le dif­fu­sa. Cela fait de lui non pas le plus ancien impri­meur connu, ain­si qu’on le pré­tend par­fois, mais le plus ancien éditeur.

Peter Hop­kirk, Boud­dhas et rôdeurs sur la route de la soie
Pic­quier poche

L’his­toire détaillé du manus­crit sur le site du Inter­na­tio­nal Dun­huang Pro­ject.

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Moka au bar aux portes du Tak­la­ma­kan, dans l’oa­sis dévas­tée de Tourfan

Moka au bar aux portes du Tak­la­ma­kan, dans l’oa­sis dévas­tée de Tourfan

Sale habi­tude chez ces car­to­graphes que de des­si­ner les plans de pays qui n’existent que dans leurs rêves… On aurait pu les croire sur parole, leur attri­buer le mérite de l’in­ven­tion de nou­velles terres, on aurait même pu les suivre les yeux fer­més en se disant que de nou­veaux mondes étaient à por­tée de vue… mais voi­là qu’ils nous servent des cartes des­si­nant le contour des déserts, à la lisière d’é­ten­dues de sables dont l’é­chelle nous laisse sup­po­ser qu’il n’y a que la mort au bout de la route. Le sable, la pous­sière, les ves­tiges des âmes per­dues sur les routes com­mer­çantes, les oasis dévas­tées, les mai­sons de tor­chis pro­té­geant encore à demi-mots les der­niers usten­siles de la vie quotidienne.

Tour­fan fait par­tie de ces ves­tiges du pas­sé, dont il ne reste plus rien aujourd’­hui. L’âme de Tour­fan, en tout cas, a dis­pa­ru. Tour­fan, un nom qui sonne bien peu chi­nois (Tur­pan, تۇرپان en ouï­ghour), et qui pour­tant est une des prin­ci­pales pré­fec­tures de l’im­mense région auto­nome du Xin­jiang, coin­cée entre la Mon­go­lie et le Kaza­khs­tan. En réa­li­té, Tour­fan n’a jamais eu un grand  inté­rêt en soi. En revanche, les alen­tours sont truf­fés de ves­tiges encore visibles aujourd’­hui, comme la grotte des mille boud­dhas de Bezek­lik, ou les ves­tiges de la culture gushi à Gao­chang (قاراغوجا, Qara-Hoja), à deux pas des Monts Flam­boyants, ces immenses falaises de grès rouges qui réflé­chissent une cha­leur incroyable. Voi­là. Nous sommes au cœur de la Chine que l’on nom­mait autre­fois Tur­kes­tan Chi­nois, où les tem­pé­ra­tures dans ces plaines et ces mon­tagnes déser­tiques peuvent faci­le­ment mon­ter à plus de 40°C.

Albert von Le Coq, archéo­logue un peu replet et por­tant fiè­re­ment son nom fran­çais qui tra­hit des ori­gines hugue­notes, par­court les anciennes routes com­mer­ciales. Avec son adjoint Bar­tus, ils pré­lè­ve­ront des fresques à la scie direc­te­ment dans les grottes de Bezek­lik, rem­plis­sant ain­si près de 300 caisses de bois rem­plies de bourre de coton et de feutre d’an­ti­qui­tés et de fresques fra­giles, qui ren­tre­ront en Alle­magne et qui seront allè­gre­ment détruites pen­dant les bom­bar­de­ments de la Seconde Guerre Mon­diale… Tra­gique his­toire que ce pillage sys­té­ma­tique jus­ti­fié par une soi-disant insta­bi­li­té poli­tique de la région à cette période. C’est lui qui ramè­ne­ra notam­ment cette superbe fresque repré­sen­tant Boud­dha ain­si qu’un moine aux che­veux roux et aux yeux bleus, cer­tai­ne­ment un tokha­rien, le tout peint dans un style aux dra­pés qui ne sont pas sans rap­pe­ler les influences de la sta­tuaire grecque, et les cou­leurs de l’art byzan­tin. Curieux syn­cré­tisme témoin d’une époque où l’art voya­geait plus vite que les hommes…

Fresque de la grotte des mille boud­dhas de Bezek­lik repré­sen­tant un moine tokharien

La ville de Tour­fan se trouve à deux cent qua­rante kilo­mètres au nord du point ultra-secret, situé près de Lou-lan, où la Chine a tes­té ses pre­mières armes nucléaires. Cette verte et fer­tile oasis consiste en une très vaste dépres­sion natu­relle d’en­vi­ron sept cent soixante dix mille kilo­mètres car­rés, que les géo­graphes consi­dèrent comme l’une des plus pro­fondes à la sur­face du globe. Autour de la ville s’é­lèvent des col­lines por­tant des traces de trem­ble­ments de terre, et dépour­vues de toute vie, ain­si que d’autres déserts tout aus­si sté­riles. Au nord se dresse la cime ennei­gée du Bog­do-Ola (la « mon­tagne de Dieu »), plus hautes que tous les som­mets d’Eu­rope, et qui forme l’é­pe­ron orien­tal du grand T’ien Shan. Le pay­sage gran­diose et aus­tère de cette région rap­pe­lait au voya­geur bri­tan­nique Sir Eric Teich­man, qui tra­ver­sa cette par­tie du Tur­kes­tan au cours de l’hi­ver 1935, le Grand Canyon du Colo­ra­do. Il fai­sait si froid que les membres de son groupe devaient chaque matin allu­mer des feux sous les moteurs pour les faire démar­rer, « pro­cé­dé très dan­ge­reux », sou­li­gna-t-il, mais consi­dé­ré comme très cou­rant dans cette par­tie du monde. Au contraire, en été, la cha­leur était si intense que le mer­cure mon­tait en flèche jus­qu’à cin­quante-cinq degrés, contrai­gnant même les habi­tants de la région à se réfu­gier dans des caves spé­cia­le­ment creu­sées à cet effet. Cepen­dant, quelques uns des vil­lages-oasis les plus fer­tiles du Tur­kes­tan chi­nois y vivent, dis­sé­mi­nés à tra­vers ce pay­sage aride et des­sé­ché. Au moment de l’a­po­gée de la Route de la Soie, les vins, les melons et les rai­sins frais de ces oasis appro­vi­sion­naient la cour impé­riale de C’hang-an. Le secret de cette éton­nante luxu­riance réside dans un ingé­nieux sys­tème d’ir­ri­ga­tion ori­gi­nai­re­ment emprun­té à la Perse, et qui, grâce à de pro­fonds canaux sou­ter­rains, apporte l’eau des neiges, pro­ve­nant des mon­tagnes du Nord, à ces com­mu­nau­tés, qui, sans cela, n’au­rait pu survivre.

Les deux Alle­mands pour­sui­virent leur voyage vers Tour­fan, située à deux cents soixante kilo­mètres à l’in­té­rieur du Tur­kes­tan chi­nois, où ils firent très vite connais­sance avec la vie répu­gnante des insectes. Outre les mous­tiques, les mouches, les simu­lies, les scor­pions et les poux, il exis­tait deux types d’a­rai­gnées par­ti­cu­liè­re­ment déplai­santes. La pre­mière appar­te­nait à une espèce capable de sau­ter ; son corps avait la taille d’un œuf de pigeon, ses mâchoires émet­taient une sorte de cris­se­ment de dents, et elle avait la répu­ta­tion d’être veni­meuse. La seconde était plus petite, noire et poi­lue, et vivait dans les trous creu­sés dans le sol. Sa piqûre était par­ti­cu­liè­re­ment redou­tée, car si elle n’é­tait pas mor­telle elle pou­vait être très dan­ge­reuse. C’é­tait cepen­dant les cafards de Tour­fan qui dégoû­taient le plus les Alle­mands. A. von Le Coq, écri­vait « Un homme qui se réveillait le matin avec une telle créa­ture assise sur son nez, ses grands yeux en train de le fixer et ses antennes qui ten­taient d’at­ta­quer les yeux de sa vic­time, tom­bait irré­mé­dia­ble­ment malade. On avait l’ha­bi­tude de sai­sir l’in­secte, non sans éprou­ver un hor­rible dégoût, et de l’é­cra­ser ; il se déga­geait alors une odeur extrê­me­ment désagréable. »

Peter Hop­kirk, Boud­dhas et rôdeurs sur la route de la soie
Pic­quier poche

Paul Pel­liot à Dun­huang (Touen Hang)

Carte dis­po­nible sur Gal­li­ca.

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Du Camp et Flau­bert en Orient

Du Camp et Flau­bert en Orient

Voi­ci de quoi illus­trer la désin­vol­ture de ce drôle de bon­homme une peu dan­dy qu’é­tait Maxime du Camp, par­ti sur les routes orien­tales pour flam­ber ses deniers entre Le Caire et Bey­routh. On disait l’homme fan­tasque, for­tu­né, un peu léger, et c’est avec lui que Gus­tave Flau­bert est par­ti sur les routes. Cen­sé en rap­por­ter des pho­to­gra­phies pour une mis­sion confiée par le Minis­tère de l’Ins­truc­tion Publique, voi­ci ce que nous apprend Flau­bert dans une lettre écrite à sa mère en octobre 1850 :

“Maxime a lâché la pho­to­gra­phie à Bey­routh. Il l’a cédée à un ama­teur fré­né­tique : en échange des appa­reils, nous avons acquis de quoi nous faire à cha­cun un divan comme les rois n’en ont pas : dix pieds de laine et soie bro­dée d’or. Je crois que ce sera chic !”

Flau­bert et Du Camp en orient, c’est une conjonc­tion à l’o­ri­gine de la pro­duc­tion de trois grandes œuvres. Tout d’a­bord le Voyage en Orient de Flau­bert lui-même, le ras­sem­ble­ment de plu­sieurs textes qui ne sont que ses cor­res­pon­dances et ses car­nets lors de ce long voyage et qu’on trouve aujourd’­hui sous ce titre aux édi­tions Folio Gal­li­mard. En fait de voyage en orient, c’est une excur­sion avec plus de 600 kg de maté­riel en Égypte, au Liban et en Pales­tine, en Tur­quie et en Grèce.

Du côté de Maxime Du Camp, on trouve plu­sieurs choses comme par exemple ses Mémoires d’un sui­ci­dé dans lequel il raconte son expé­rience éprou­vante du voyage en Égypte, mais éga­le­ment Le Nil : Égypte et Nubie, son jour­nal de voyage, à par­tir duquel on peut croi­ser les infor­ma­tions déli­vrées par Flau­bert dans ses cor­res­pon­dances. Et enfin, on en arrive à l’œuvre magis­trale : 2 albums et 168 pho­to­gra­phies du voyage en Égypte, en Nubie et en Syrie, l’ou­vrage qui recense la plu­part des pho­to­gra­phies prises par Du Camp lors de cette expédition.

On pour­ra éga­le­ment lire ce très bel article sur Flau­bert et les arts visuels, ain­si que le livre dont on sait qu’il ins­pi­ra Flau­bert pour ce voyage : Nou­veau manuel com­plet d’ar­chéo­lo­gie, ou Trai­té sur les anti­qui­tés grecques, étrusques, romaines, égyp­tiennes, indiennes, etc. par Karl Otfried Mül­ler.

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Les petits papiers chi­nois d’Au­rel Stein

Les petits papiers chi­nois d’Au­rel Stein

Je tiens Aurel Stein en très haute estime dans le pan­théon de mes idoles. Décou­vreur des Manus­crits de Dun­huang dans la grotte de Mogao, des momies de Lou­lan et de sanc­tuaires oubliés dans le désert de Lop Nor et du Tak­la­ma­kan, il a res­sus­ci­té l’i­mage du pas­sé des anciens royaumes d’A­sie Cen­trale et de Chine. Auteur de plu­sieurs livres, dont aucun n’est tra­duit en fran­çais, c’est un des explo­ra­teurs les plus sym­pa­thiques qu’il m’ait été don­né de croi­ser au fil de mes lec­tures. C’est prin­ci­pa­le­ment grâce à Colin Thu­bron et son livre L’ombre de la route de la soie, que j’ai pu faire connais­sance avec ce mon­sieur né en Hon­grie et mort en Afgha­nis­tan en 1943. Au cœur de son ouvrage, il nous raconte com­ment Aurel Stein a fait une décou­verte archéo­lo­gique majeure, la décou­verte des pre­miers écrits sur papier :

Momie, Loulan, Sir Marc Aurel Stein, 1914. Photo © The British Library Board

Momie, Lou­lan, Sir Marc Aurel Stein, 1914. Pho­to © The Bri­tish Libra­ry Board

Ce n’est qu’en 751 après Jésus-Christ, quand les Arabes écra­sèrent les Chi­nois à la bataille de Talas, que l’art — jalou­se­ment gar­dé — de la fabri­ca­tion du papier par­tit pour Samar­cande, à l’ouest, en même temps que des arti­sans chi­nois cap­tu­rés. Il ne devait pas atteindre l’Eu­rope avant trois autres siècles. Dans le musée feu­tré, cette page, la pre­mière de toutes, semble trop gros­sière pour por­ter des ins­crip­tions. Cepen­dant, des lettres écrites sur de l’é­corce de mûrier voya­geaient déjà sur la route de la Soie, cent ans après Jésus-Christ. L’ar­chéo­logue Aurel Stein, qui tra­vaillait sur une tour de guet dans le désert du Lop, tom­ba sur une cache de cour­rier non dis­tri­bué, qui ren­fer­mait des mes­sages en sog­dien datant de 313 après Jésus-Christ. Ce sont les pre­miers écrits sur papier que l’on connaisse. Les mots sont tra­cés au noir de fumée. L’un des mes­sages livre l’é­clat de colère d’une épouse négli­gée: « Je pré­fé­re­rais être mariée à un chien ou à un porc, qu’à toi ! ». Un autre évoque la défaillance de l’E­tat chi­nois — sac des villes, fuite de l’empereur — et ses consé­quences sur le com­merce. Quant au reste, les écrits qui couvrent les frag­ments ont la net­te­té d’un bilan de socié­té : « A Gun­zand, il y a 2500 mesures de poivre à envoyer… Khars­tang vous devait 20 sta­tères d’argent… Il m’a don­né l’argent, je l’ai pesé et n’ai trou­vé que 4,4 sta­tères en tout. J’ai demandé… »

Dunhuang - Grottes de Mogao - Photo Aurel Stein - 1921

Dun­huang — Grottes de Mogao — Pho­to © Aurel Stein — 1921

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