Mini­ma­liste du same­di matin : Conver­sa­tion avec Goethe

Mini­ma­liste du same­di matin : Conver­sa­tion avec Goethe

Mini­ma­liste du same­di matin

Conver­sa­tion avec Goethe

Il est 8h44, same­di matin. Une pre­mière semaine de tra­vail exci­tante, une semaine qui une fois ter­mi­née me fait me sen­tir comme après une bonne douche, délas­sé, déten­du. Il me fal­lait ça pour retour­ner à la vie, effa­cer le sou­ve­nir de ces der­niers mois minables. Mis sous la tapis, le vent balaie tout et la vie reprend ses droits.

Ma jour­née a com­men­cé tôt dans la lec­ture des pages d’un énième polar de Peter May, The run­ner, ridi­cu­le­ment tra­duit en fran­çais par Jeux mor­tels à Pékin

Ma vie est une course, rem­plie comme une outre en peau de mou­ton, tra­ver­sée par des signes que j’at­trape au pas­sage, ici le sino­gramme du feu (), ici celui du vent (), là une conver­sa­tion avec Goethe sur les Chi­nois, qui sont pareils à nous, ici la pho­to d’une mos­quée à Lahore, une page sur le Chi­na­town de Bang­kok, la musique envoû­tante de Kawai Ken­ji (川井 憲次) … Une mul­ti­tude de signes, l’oc­cu­pa­tion invo­lon­taire de l’es­prit, l’ex­ci­ta­tion intel­lec­tuelle d’une absence totale de filtre per­cep­tif, le monde qui me tra­verse en ins­cri­vant dans ma chair son empreinte, lais­sant à l’in­té­rieur comme des mil­liers de tatouages enche­vê­trés, l’in­tri­ca­tion sub­tile de pein­tures d’ocre, d’a­ni­maux cou­rant sur les parois d’une grotte et se mar­chant des­sus comme dans la transe d’une céré­mo­nie sacrée… Le temps de prendre une douche, un espace comme une paren­thèse, et je suis repar­ti sur la route, la vie comme une drogue intense qui brûle mon esprit par coup de flash, pas le temps de res­pi­rer, des hoquets, l’al­ter­nance subie et incom­pa­tible de sur­sauts et de nappes repo­santes, comme si j’é­cou­tais Equi­nox de John Coltrane.…

“ Durant ces jours où je ne vous ai pas vu, dit-il, j’ai beau­coup lu, notam­ment un roman chi­nois qui m’oc­cupe encore et qui me paraît très remar­quable.
- Un roman chi­nois ? fis-je, ce  doit être bien sin­gu­lier.
- Pas autant qu’on serait ten­té de le croire, répli­qua Goethe. Ces hommes pensent et sentent à peu près comme nous, et l’on s’a­per­çoit très vite qu’on est pareil à eux…
… — Mais, dis-je, peut-être ce roman chi­nois est-il un des plus excep­tion­nels ?
- Pas du tout, dit Goethe, les Chi­nois en ont des mil­liers de ce genre, et même ils en avaient déjà quand nos ancêtres vivaient encore dans les bois. ”

Conver­sa­tions de Goethe avec Ecker­mann, mer­cre­di 31 jan­vier 1827

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Le temps très lent des toutes petites choses #7

Le temps très lent des toutes petites choses #7

Le temps très lent

des toutes choses #7

Un mar­di matin comme toutes les semaines, un matin frais et doux sous un ciel de prin­temps. La nature crie son bon­heur de pou­voir exhi­ber à nou­veau ses charmes aux yeux de qui sait prendre le temps de l’ad­mi­rer, elle se pavane dans des poses lan­gou­reuses telle une femme lisant une lettre d’a­mour dans un tableau de Fra­go­nard. Il flotte dans l’air quelque chose de sen­suel que le prin­temps rend encore plus pré­gnant, comme si la nou­veau­té d’une année qui se dévoile avec ses plus beaux ori­peaux n’é­tait que le signe avant-cou­reur d’une belle aventure.

Pour­tant, le ciel gris n’est autre chose que le signe d’un soleil radieux et tendre qui hurle sa lumière au-des­sus des nuages. C’est tou­jours la manière de voir les choses qui pré­vaut sur leur réa­li­té. De toute façon, la réa­li­té n’existe pas. Voi­ci la réponse à tout. Quoi qu’il se passe, quoi qu’il arrive, la réa­li­té n’existe pas, on ne peut pas comp­ter sur elle car elle n’est pas fiable.

Je passe mes jour­nées à faire des allers et retours sur mes car­nets, en notant scru­pu­leu­se­ment tout ce qui se dit, ce qu’il y a à faire, ce qui a été fait, je place tout dans une sorte de conti­nuum qui n’a d’autre rai­son d’être que sa propre exis­tence. Il n’en­voie aucun signe, ni dit rien, ne répond à aucune ques­tion et ne résout aucun mys­tère. Il faut se faire à cette manière d’être car c’est celle qui m’a­nime. Quant à la réa­li­té de l’être, elle n’existe pas.

Tous les soirs, depuis des mois, je m’en­dors avec la même douce musique, le même mor­ceau, Autumn medi­ta­tion at Dong­ting lake. Inva­ria­ble­ment, tous les soirs et tous les soirs je m’en­dors alors que le mor­ceau n’est pas ter­mi­né. Comme je l’é­coute très peu fort et que je dors la tête sous la couette, je n’en entends pas tous les sons, toutes les notes. Quand je l’é­coute dans d’autres cir­cons­tances, j’en­tends tout (enfin tout ce que je veux bien en entendre), ce qui me per­met, le soir venu d’en devi­ner les sons que je n’en­tends pas, comme un exer­cice de créa­tion à par­tir de ce qui existe. La réa­li­té n’existe qu’à par­tir de ce qu’on veut bien en percevoir.

 

三十輻,共一轂,當其無,有車之用

Trente rais se réunissent autour d’un moyeu. C’est de son vide que dépend l’u­sage du char.

埏埴以為器,當其無,有器之用

On pétrit de la terre glaise pour faire des vases. C’est de son vide que dépend l’u­sage des vases.

鑿戶牖以為室,當其無,有室之用

故有之以為利,無之以為用

On perce des portes et des fenêtres pour faire une mai­son. C’est de leur vide que dépend l’u­sage de la mai­son.
C’est pour­quoi l’u­ti­li­té vient de l’être, l’u­sage naît du non-être. 

Lao Tseu, Tao te king, ch.XI

Autumn medi­ta­tion at Dong­ting Lake

by Chi­nese ancient music

Pho­to d’en-tête © REVOLT on Uns­plash

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Fan­tasmes de Kai Tak, l’an­cien aéro­port de Hong Kong

Fan­tasmes de Kai Tak, l’an­cien aéro­port de Hong Kong

Fan­tasmes de Kai Tak

L’aé­ro­port de Hong Kong

Un aéro­port hors du commun

Kai Tak (HKG), ce n’est pas un nom qui évoque grand-chose, mais lors­qu’on pense à Hong Kong, la pre­mière image qui nous vient, ce sont ces avions qui sur­volent à très basse alti­tude les immeubles des quar­tiers sur­peu­plés de l’an­cienne colo­nie britannique.

Alors déjà, Hong Kong a été rétro­cé­dée à la Chine, pour lever toute ambi­guï­té et cela depuis 1996, mais en plus cet aéro­port qui fai­sait pas­ser les avions au-des­sus de la ville n’existe plus, lui, depuis 1998. Je sais ; deux mythes s’effondrent…

L’i­mage d’Épinal a la peau dure et il faut se rési­gner à se dire qu’au­cun avion n’at­ter­rit plus en pas­sant au-des­sus des immeubles de Kow­loon, et qu’on ne ver­ra plus ces immenses navires volants frô­ler de leurs ailes la cime des bâtiments.

Kai Tak, mal­gré son appa­rente dan­ge­ro­si­té, n’a connu que très peu d’ac­ci­dent, cer­tai­ne­ment en rai­son du fait que seuls les plus expé­ri­men­tés des pilotes de ligne étaient auto­ri­sés à faire la manoeuvre. La piste appe­lée 13/31, car orien­tée 135°/315°, était construite sur un terre-plein posé sur la mer, dans la baie de Kow­loon, presque à flanc de mon­tagnes, dis­tantes d’à peine 500 mètres au nord-ouest de la piste, ce qui impli­quait de devoir tenir un sacré virage juste avant de des­cendre brutalement.

Lorsque l’a­vion attei­gnait la col­line sur laquelle était pla­cé un damier rouge et blanc, ser­vant de balise d’o­rien­ta­tion lors de l’ap­proche finale, les pilotes devaient effec­tuer un virage à vue de 47° pour l’a­li­gne­ment final avec la piste. L’a­vion n’est alors qu’à deux milles marins de l’at­ter­ris­sage, à une alti­tude de moins de 330 m lors de ce virage: géné­ra­le­ment, l’a­vion enta­mait le virage final à une alti­tude d’en­vi­ron 200 m et en sor­tait à une hau­teur d’en­vi­ron 40 m. L’ap­proche était déjà déli­cate pour l’at­ter­ris­sage sur la 13 avec les vents laté­raux nor­maux, car même si la direc­tion du vent reste constante, elle change rela­ti­ve­ment à l’a­vion lors du virage de 47°. L’at­ter­ris­sage deve­nait un défi plus grand encore quand les vents laté­raux du nord-est étaient forts et de haute varia­bi­li­té, notam­ment pen­dant les typhons, fré­quents dans cette région. La chaîne de mon­tagnes au nord-est de l’aé­ro­port fait éga­le­ment chan­ger consi­dé­ra­ble­ment la vitesse et la direc­tion du vent, chan­geant par là-même la dérive de l’a­vion. (Wiki­pe­dia)

Ce qui mit fin à l’ex­tra­or­di­naire aven­ture de cet aéro­port qui fit la renom­mé mon­diale de Hong Kong, au moins dans l’i­ma­gi­naire, ce ne fut pré­ci­sé­ment pas le fait que la piste était dan­ge­reuse, mais bien plu­tôt que l’aé­ro­port n’é­tait plus dimen­sion­né pour faire face au flux gros­sis­sant des pas­sa­gers arri­vant de plus en plus nom­breux dans cet appen­dice bis­cor­nu de la Mer de Chine. Le nou­vel aéro­port, Chep Lap Kok, construit à l’ouest de la ville, est un immense terre-plein posé sur la mer, réunis­sant deux îles et relié au conti­nent par une simple route.

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