Pen­dant les heures per­dues, je lis quelques poèmes de Dja­lâl ad-Dîn Rûmî, plus connu sous le simple nom de Rûmî. Ce sont des poèmes joyeux, célé­brant l’a­mour le plus haut qui soit, même si l’au­teur ne cesse de pleu­rer la perte de son ami et maître Shams ed Dîn Tabrîzî. Dans ce très beau poème nom­mé Stu­peur, on voit à quel point l’a­mour le porte à voir des images sur­réelles, que les mots expriment dans une sorte d’é­ther hal­lu­ci­né, un monde idéal intense. Je repro­duis ici la mise en page res­pec­tée par la tra­duc­trice, ce qui en conserve le mys­tère et les images très subtiles.

Jalal al-Din Rumi, Maulana

Mon idole à la main me don­na un balai.

Et dit :
« De la sur­face de la mer, sou­lève de la poussière. »

Puis il brû­la ce balai par le feu

Et dit :
« De ce feu, fais appa­raître un balai. »

De stu­peur, je me suis prosterné

Il dit :
« Fais une belle pros­ter­na­tion sans te prosterner. »

« Oh ! Com­ment se pros­ter­ner sans se prosterner ? »

Il dit :
« Sois sans com­ment et sans épines, malheureux ! »

J’ai ten­du mon petit cou

Et dis :
« Avec Zol­fag­hâr(1), tranche ma tête prosternée »

Plus il don­nait de coups d’é­pée, plus il y avait de têtes

Du coup
de mon cou cent mille têtes ont poussé

Moi telle une lampe et chaque tête telle une mèche

De toutes parts
les flammes étincelaient

Les bou­gies suc­ces­sives par mes têtes enivrées

Par­tout
De l’O­rient à l’Oc­ci­dent s’é­taient allumées

Dans le non-espace l’O­rient et l’Occident

Que sont-ils ?
Une chauf­fe­rie sombre, un bain en activité

Ton humeur est trop froide, n’as-tu point la nausée ?

Dis
Dans ce bain chaud public vas-tu long­temps rester ?

Quit­tez le bain mais non pour la chaufferie

Va
Dans le ves­tiaire admi­rer les pein­tures, images de l’Aimé

Tu ver­ras alors des visages adorables

Oui
Tu ver­ras des tulipes les cou­leurs chamarrées

Puis, après cela, regarde vers la lucarne

Et vois
Car du reflet de la lucarne ces pein­tures sont l’effet

Les six direc­tions sont le bain et la lucarne le non-espace

Regarde
Au-des­sus de la lucarne, du Roi, la face de beauté

La terre et l’eau tiennent leurs cou­leurs de son reflet

Eau-lumière
Sur le blanc et le noir, l’âme vive en pluie est tombée

Le jour s’est écou­lé et mon his­toire n’est pas écourtée

Ô Lui
Que le jour et la nuit auraient honte d’évoquer

Shams de Tabriz, soleil de la foi

Le Roi
Il me main­tient ivre, assoif­fé de vin, assoiffé.

(1) Épée à double lame de Ali.

LAR, n°1095 in Rûmi, la reli­gion de l’amour
Textes choi­sis par Lei­li Anvar
Edi­tions Points, 2011

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