Voi­ci un petit livre pour faire du bien à l’âme en ce temps trou­blés. Même s’il date de 1922, il garde la fraî­cheur intem­po­relle des beaux chefs‑d’œuvre, sur lequel le temps imprime sa patine douce. Sid­dhar­tha n’est pas une his­toire du Boud­dha his­to­rique, mais une simple évo­ca­tion de celui qui fon­da le boud­dhisme, en repre­nant des élé­ments de sa vie pour le por­ter un peu plus loin. C’est un beau conte phi­lo­so­phique, une once de sublime au creux des vies tourmentées.

Prayer wheels

Pho­to © Eric Mont­fort

Chaque jour, à l’heure qu’elle lui indi­quait, il allait voir la belle Kama­la. Il met­tait de beaux habits, de fines chaus­sures et bien­tôt il lui appor­ta aus­si des cadeaux. Et sa petite bouche rouge et intel­li­gente lui ensei­gna beau­coup de choses, et sa main douce et souple aus­si. En amour il était igno­rant comme un enfant et enclin à se pré­ci­pi­ter aveu­glé­ment dans les plai­sirs des sens comme dans une eau sans fond. Elle lui apprit à ne point prendre un plai­sir sans en don­ner un lui-même en retour ; elle lui ensei­gna que chaque geste, chaque caresse, chaque attou­che­ment, chaque regard devait avoir une rai­son, et que les plus petites par­ties du corps avaient leurs secrets, dont la décou­verte était une joie pour celui qui savait la faire. Elle lui apprit qu’a­près chaque fête d’amour les amants ne devaient point se sépa­rer sans s’être admi­rés l’un l’autre ; cha­cun devait empor­ter l’im­pres­sion d’a­voir été vain­cu dans la même mesure qu’il avait vain­cu lui-même ; l’un ne devait pas faire naître chez l’autre ce désa­gréable sen­ti­ment de satié­té dépas­sée et d’a­ban­don, qui pût faire croire à un abus d’une part ou d’une autre.

Her­mann Hesse, Sid­dhar­tha
Édi­tions Ber­nard Gras­set, 1925
Tra­duit de l’allemand par Joseph Delage

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