Avec cette ico­no­gra­phie russe que je com­mence à bien connaître, j’a­vance pru­dem­ment, je décor­tique dou­ce­ment les codes de ce dix-neu­vième siècle incer­tain, écar­té entre Mos­cou et Saint-Péters­bourg, entre un peuple affa­mé confi­né dans un cam­pagne sou­mise la plu­part du temps sous des mètres de neige et une bour­geoi­sie et une aris­to­cra­tie qui n’ont pas hési­té à atti­rer à elles les plus grands écri­vains et artistes pour syn­thé­ti­ser le raf­fi­ne­ment de l’i­den­ti­té russe.

Ivan Kramskoi, portrait d'une inconnue

Ce por­trait (1883) peint par Ivan Kram­skoi (Иван Николаевич Крамской), un peintre très en vogue à la fin du dix-neu­vième siècle s’ap­pelle Por­trait d’une incon­nue et fait par­tie des pein­tures mys­té­rieuses qui ont eu un réel rôle dans la créa­tion à leur époque. En plus d’a­voir entre­te­nu le mythe de son abso­lu incon­nui­té, Kram­skoi a peint une incon­nue par­fai­te­ment sen­suelle ; joues rosées et pleines, fines lèvres rehaus­sées de rouge, sour­cils fins et regard las­cif. Son air à la fois hau­tain et déta­ché, sa pos­ture dans la voi­ture et ses habits riches (regar­dez le man­chon cou­su de rubans de velours bleu et les four­rures de son col) ont atti­ré sur elle les regards… et le scan­dale, car un visage sans nom et un air si pro­vo­cant ne peuvent être que celui d’une pros­ti­tuée. Peut-être, mais c’est en tout cas, selon cer­tains, ce tableau qui ins­pi­ra Tol­stoï dans la concep­tion d’Anna Kare­nine (Анна Каренина — 1887). Aujourd’­hui encore, on retrouve une repro­duc­tion de cette toile sur la plu­part des édi­tions du livre.

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