Entre 1950 et 1958, Wilfred Thesiger se rend en Irak. A cette époque-là, Saddam Hussein n’a pas encore mené son coup d’état dans ce pays jeune dont l’indépendance est proclamée en 1932. Avant 1968, l’Irak est un pays rongé par les communautarisme et un fort sentiment antisémite qui conduira les 125000 juifs irakiens à affluer en Israël, ainsi que par des tensions entre la république instaurée et soutenue par le Troisième Reich et la monarchie promue par le Royaume-Uni. Loin de ces conflits d’intérêt, Thesiger passera quelques temps parmi les Yazidi (يزيدي), dans le nord du pays (région de Mossoul et de Ninive) puis au sud, dans la région des marais située dans le bassin du Tigre et de l’Euphrate (entre les tristement célèbres villes de Bassorah, Nasiriyah et le barrage de Kut), parmi les Arabes des Marais (عرب الأهوار), les Maadans ou Ma’dans (معدان).
Les Yazidi font partie de ces peuples trop souvent persécutés parce que minoritaires, confinés dans les arrière pays et parlant kurde. Les musulmans les appellent improprement « les adorateurs du Diable ». Le Yézidisme est un syncrétisme religieux dans lequel on adore aussi bien l’ange-paon Taous‑i Malek, oiseau qui représente Satan, que le cheikh Adi ibn Mustafa, fondateur de leur religion et observent également les fondements du zoroastrisme. Les Yazidi, malgré une volonté farouche de ne pas prendre part dans le conflit qui secoue l’Irak depuis 2003, ont payé un lourd tribut puisque leur communauté a été victime de l’attentat suicide le plus meurtrier depuis le 11 septembre 2001, dans la province de Ninive avec plus de 570 morts (cet attentat est en relation directe avec la lapidation de la jeune Yazidi Doaa Khalil Assouad).
Photo extraite de son livre Visions d’un nomade, chez Plon, 1987, coll. Terre humaine.
Dans le sud du pays, Thesiger arrive pour une période de quinze jours, histoire de passer un peu de temps à chasser le canard dans cette région foncièrement giboyeuse parmi les Ma’dans. Il y restera finalement sept ans. C’est dans cette région qu’est censée s’être trouvé le Jardin d’Éden et c’est également une région infestée de moustiques où l’on ne se déplace qu’à l’aide d’embarcations longues d’une dizaine de mètres sur un au plus de large. Lors des inondations qui ont eu lieu en 1954, le niveau de l’eau a monté de plus de deux mètres, réduisant considérablement les aires de vie des autochtones, mais ils se sont adaptés et ont bâti des îlots artificiels. Lorsque le Sheikh propose à Thesiger d’habiter une hutte confortable, une maison d’hôte appelé mudhif, une construction faite de roseaux géants en tunnel pouvant atteindre 26 mètres de longueur, il refuse, prétextant qu’après avoir vécu dans le désert avec les Rashid, il est habitué à l’inconfort et souhaite être logé à la même enseigne que n’importe quel Ma’dan.
Les Ma’dan ont subi les foudres de Saddam Hussein lorsqu’au lendemain de la guerre Iran-Irak, celui-ci se rendit compte qu’ils avaient aidé les déserteurs irakiens et qu’ils avaient également participé à l’insurrection de 91 ; il leur en tint une rancune mortelle. Il fit assécher les marais et la population des Ma’dans passa de 250.000 à quelques dizaines de milliers, ravageant à la fois un écosystème de terre humide unique au monde et décimant une population au mode de vie millénaire.
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c’est bien cette région qu’on appelle la Mésopotamie (littéralement “entre les deux fleuves”) ?
Absolument, étymologiquement, oui. Par extension, la civilisation Mésopotamienne s’est développée dans ce qu’on appelle aujourd’hui l’Irak et qui du fait de la présence des plaines alluviales de ces deux immenses fleuves était une terre incroyablement fertile et donc propice à l’élévation d’une grande civilisation.
Je rajoute également que la racine potamos se retrouve dans hippopotame, cheval du fleuve (bon OK, y’a pas beaucoup de ressemblance)…
oh que si: l’hippopotame est un ongulé et contrairement à ce que laisse supposer son poids, il court très vite s’il le faut 🙂
Oui mais est-ce qu’il hénit ?
hé non
(mouahahahaha)