Voi­ci une nou­velle Maes­tà de Cima­bue, plus ancienne que la pré­cé­dente puisque celle-ci, nous savons qu’elle a été com­po­sée en 1280. Je suis par­ti­cu­liè­re­ment atta­ché à celle-ci car c’est grâce à elle qu’un dimanche, il y a quelques années de cela, j’ai réel­le­ment décou­vert Cima­bue. Flâ­nant béa­te­ment, l’oeil encore un peu ensom­meillé, je me suis arrê­té devant cette chose immense de 427 × 280 cm, ce qui est réel­le­ment consi­dé­rable pour un objet de cette richesse. Je rap­pelle les dimen­sions des deux der­nières Maes­tà étu­diées (nous sommes dans le même ordre de grandeur) :

Maestà du Louvre (La Vierge et l'Enfant en majesté entourés de six anges) - Cimabue - 1280 - Musée du Louvre

Évi­dem­ment, cette Maes­tà ne se trouve pas au Musée des Offices comme les deux pré­cé­dentes puisque son nom indique qu’elle est au Louvre. Ins­tal­lée à l’o­ri­gine dans l’é­glise San Fran­ces­co de Pise, elle fait par­tie de l’in­ven­taire des spo­lia­tions napo­léo­niennes, et de taille trop consi­dé­rable, elle fut esti­mée comme trop fra­gile pour faire le voyage retour sans dommages.

Il nous est per­mis ici de mettre cette Maes­tà en pers­pec­tive avec la pré­cé­dente (Maes­tà di San­ta Tri­ni­ta) puisque l’au­teur en est le même. Si l’on consi­dère que le pré­cé­dente est une pein­ture de richesse et de gloire, celle-ci est clai­re­ment la pein­ture de l’hu­mi­li­té. Si le trône de bois est un meuble ouvra­gé et de belle fac­ture, on est bien loin des fastes de l’autre, orné de pierres pré­cieuses et de brillants ; il en est même du coup beau­coup moins impo­sant. Com­ment inter­pré­ter cela ? On se rap­pelle que la Maes­tà de San­ta Tri­ni­ta est com­man­di­tée par l’ab­baye de Val­lom­bro­sa, abbaye sui­vant la règle béné­dic­tine qui n’est pas spé­cia­le­ment connue pour être une des moins dépen­sières. Celle-ci est ins­tal­lée dans l’é­glise San Fran­ces­co (Saint Fran­çois d’As­sise, né tout juste un siècle avant la com­po­si­tion de l’œuvre), dont l’ordre tuté­laire fran­cis­cain est au contraire un ordre pauvre et humble. Cela fait toute la dif­fé­rence dans la pein­ture. Si la Maes­tà di San­ta Tri­ni­ta a été com­po­sée entre 1280 et 1290, dix années ne suf­fisent pas à expli­quer une telle inéga­li­té de traitement.

Évi­dem­ment, la com­po­si­tion est plus rigide ici, moins gra­cieuse et l’a­li­gne­ment des anges empi­lés n’aide pas à y voir plus de légè­re­té, ce qui était le cas dans celle de San­ta Tri­ni­ta avec ses huit anges déca­lés, visage pen­ché, alter­nés, dis­tan­ciés, etc. Ici c’est éga­li­té, équi­dis­tance et symé­trie. On remarque tou­te­fois le début du trai­te­ment en dégra­dé des ailes des anges qu’on retrouve sur l’autre Maes­tà. Dans le détail, nous pou­vons voir à quel point le trai­te­ment de celle-ci est bien dif­fé­rent de celle de San­ta Tri­ni­ta et que même si Cima­bue est encore dans le canon byzan­tin, il amorce la nou­veau­té dans sa cap­ta­tion de la lumière. Je trouve que cela est plus fra­grant ici que dans la Maes­tà plus récente avec le trai­te­ment du man­teau de la Vierge, qui sans ses traits sou­li­gnés d’or mais cette fois-ci de bleu plus clair semble attra­per la lumière. Les dra­pés des autres per­son­nages est de la même veine et d’une beau­té plus char­nelle que lorsque c’est l’or qui des­sine les volumes et la lumière. Ici, c’est le règne de la cou­leur, plus que de la richesse.

Ce qui est d’au­tant plus clair ici, c’est que déjà nous avons bas­cu­lé dans une autre ère. De la lour­deur écra­sante des repré­sen­ta­tions byzan­tine, nous pas­sons avec Cima­bue du côté de la légè­re­té et des voiles presque dia­phanes (voir le détail de l’ange avec son voile léger).

Du côté de la com­po­si­tion, nous assis­tons à quelque chose d’as­sez clas­sique, beau­coup moins auda­cieux que celle de San­ta Tri­ni­ta, même si je trouve un élé­ment par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sant ; le lise­ré rouge du man­teau de la Vierge cor­res­pond par­fai­te­ment avec une ligne qui nous auto­rise à la tracer.

  1. Cette ligne rejoint à la fois le pouce droit et le pouce gauche de la Vierge.
  2. Les deux médianes encadrent une fois de plus le visage de la Vierge.
  3. Les lignes sui­vant les mon­tants du trône coupent les mains des anges et séparent à peu de chose près le tableau en quatre quarts avec l’axe de symétrie.
  4. L’in­ter­sec­tion de l’axe de symé­trie et des médianes se trouve au niveau du cœur de la Vierge et créé une ligne hori­zon­tale rejoi­gnant la bouche du Christ.
  5. L’œil droit de la Vierge est dans l’axe de symétrie.
  6. La créa­tion de ces lignes per­met de voir à quel point le tableau est com­po­sé avec une har­mo­nie parfaite.

Maestà du Louvre (La Vierge et l'Enfant en majesté entourés de six anges) - Cimabue - 1280 - Musée du Louvre - composition

Cette Maes­tà revêt à mes yeux un carac­tère par­ti­cu­lier car elle est expo­sée au Louvre. Si vous en avez un jour l’oc­ca­sion, ren­dez vous au dépar­te­ment des pein­tures ita­liennes, Aile Denon, 1er étage, dans la salle 3 du Salon Car­ré, et rece­vez toute l’é­cra­sante Majes­té de cette œuvre maî­tresse. Accro­chée en hau­teur comme elle pour­rait l’être sur l’au­tel d’une église, elle vous dira une par­tie des mys­tères dont la Vierge est gardienne.

Après coup, je me rends compte à quel point la Maes­tà de Duc­cio est une reprise de celle-ci, c’est assez flagrant.

Note de bas de page :  Je ne suis pas croyant…

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