Épi­sode pré­cé­dent : Lun­gar­no e Oltrar­no – Car­net de voyage à Flo­rence 4 – L’errance

Flo­rence est une ville qui per­met qu’on se perde sans avoir peur, sans craindre quoi que ce soit. Je ne sais pas ce qui pour­rait être le pire à Flo­rence. Ce midi là, en sor­tant du res­tau­rant, l’es­to­mac gon­flé de pro­duits du crû, l’air un peu per­du et absent, encore un peu absor­bé par les vapeurs du spu­mante, je passe par la Piaz­za del­la Signo­ria et je m’é­clipse dans les petites rues. Je n’ai aucun but pour cet après-midi, rien de spé­cial, quelques idées qui traînent ça et là.
Je me retrouve au pied de la Badia fio­ren­ti­na dans laquelle je suis entré la veille pour retrou­ver cette impres­sion de paix qui m’a sai­si. La lumière entre par des fenêtres hautes qui donne au lieu une touche irréelle, quelque chose du divin qui vien­drait s’in­ter­po­ser entre l’é­glise et moi. Je m’as­sois là quelques ins­tants pour goû­ter ce silence qui n’existe nulle part ailleurs sur terre.

Florence - jour 2 - 063 - Badia fiorentina

J’au­rais aimé visi­ter le cloître des oran­gers (Chios­tro degli Aran­ci) qui se trouve der­rière et qui parait-il vaut le coup avec ses fresques repré­sen­tant la vie de Saint-Benoit, mais c’est fer­mé pour je ne sais quelle rai­son fal­la­cieuse. Et d’ailleurs, la Badia est fer­mée elle aus­si et le jeune prêtre me prie gen­ti­ment de quit­ter les lieux pour qu’il puisse pas­ser l’as­pi­ra­teur. Je sors à contre­cœur et j’en­quille la via dei Lava­toi pour arri­ver sur une toute petite place où se trouve une église mas­sive et… fer­mée. En face, un gla­cier ouvre ses portes sur un éta­lage mons­trueux, plein de cou­leurs et de sen­teurs froides qui enchantent mes papilles que je pen­sais endor­mies après ce bon repas. Je res­sors de là avec une triple glace divine et c’est une fois sor­ti du maga­sin que je me rends compte que je viens de com­mettre un pêché de gour­man­dise dans la plus célèbre des ins­ti­tu­tions gla­cières de Flo­rence : Vivo­li. On ne pour­ra pas me taxer de suivre la mode, mais bien plu­tôt mes ins­tincts. Je remonte ensuite sur la via Giu­seppe Ver­di où je trouve un pho­to­ma­ton à l’an­cienne posé comme ça dans la rue et je tourne à droite sur la via Pie­tra­pia­na à l’angle où se trouve la poste prin­ci­pale. Le bâti­ment semble tout droit sor­ti de l’é­poque fas­ciste. Une longue ran­gée de banc à l’in­té­rieur laisse voir la misère flo­ren­tine, crasse, alcoo­li­sée, para­noïaque… Le spec­tacle qu’offre désor­mais toute ville de la modernité.

Florence - jour 2 - 065 - Photomaton

En conti­nuant cette rue, on trouve une log­gia, terme qui n’a pas vrai­ment d’é­qui­valent en fran­çais (loge, halle ?), un bâti­ment ou plu­tôt un édi­cule tout en lon­gueur consti­tuant une arcade tout en finesse qui a la par­ti­cu­la­ri­té de n’être ados­sée à rien. C’est la Log­gia del Pesce que Vasa­ri lui-même a construit, mais pas tout à fait à son empla­ce­ment actuel. Comme son nom l’in­dique, elle fut des­ti­né à accueillir les pois­son­niers qui avaient été virés des envi­rons du Ponte Vec­chio lorsque le peintre et archi­tecte y construi­sit le cor­ri­dor éponyme.

La rue débouche sur une pla­cette pleine de vie où se trouve la petite église Sant’Am­bro­gio, un bâti­ment aus­tère sur les marches duquel se vautrent trois misé­reux et une bande de punks à chien qui fait la manche. A l’in­té­rieur, des fresques abi­mées attri­buées à Masac­cio, Lip­pi ou Bot­ti­cel­li, mais dont les ori­gi­naux les plus sen­sibles sont enfer­més aux Offices. Encore une fois, je me fais virer du lieu comme un mal­propre parce que le prêtre va pro­non­cer une mes­sette pour trois pelés et une classe de col­lège qui est venue là faire amende honorable.

Florence - jour 2 - 068 - Magasin kascher

A deux pas d’i­ci se trouve le quar­tier juif de Flo­rence, avec son immense syna­gogue (Tem­pio Mag­giore Israe­li­ti­co) dont on voit l’im­mense cou­pole verte de loin, pareille à celle d’un duo­mo dans le pay­sage flo­ren­tin. Comme dans toutes les grandes villes euro­péennes, la com­mu­nau­té juive a été accueillie à bras ouverts lors­qu’il s’a­gis­sait de concur­ren­cer les usu­riers locaux, puis chas­sée avec vio­lence de manière géné­rale, que ce soit par bulle papale ou manu mili­ta­ri… A Flo­rence, les Juifs ont été can­ton­nés au ghet­to comme dans la plu­part des villes ita­liennes, lequel ghet­to fut détruit lors­qu’il s’est agi de construire la Place de la Répu­blique (Piaz­za del­la Repub­bli­ca). Hasard de la marche, j’ap­prends que c’est pré­ci­sé­ment sur cette place que se trou­vait ini­tia­le­ment pla­cée la Log­gia del Pesce que j’ai vu tout à l’heure. Je comp­tais visi­ter la syna­gogue, mais c’est sans comp­ter qu’on est ven­dre­di et qu’elle ferme à 14h00… Ben oui, ce soir c’est Chab­bat… Encore une fois, je me mau­dis de n’a­voir pas regar­dé les horaires. Je conti­nue d’er­rer dans le quar­tier juif où presque tous les maga­sins sont fer­més et où règne une atmo­sphère lourde. Je redes­cends ensuite vers l’Ar­no en emprun­tant la Via de’ Mac­ci qui débouche der­rière San­ta Croce, fer­mée elle aus­si à cette heure-ci… Sans commentaire.

Je tombe sur un scène d’hor­reur : une armée de Chi­nois est entraî­née au pas de course dans cette rue par un garde-chiourme por­tant un para­pluie fer­mé poin­té vers le haut. Ses sui­vants, la bouche par­fois recou­verte d’un masque de chi­rur­gien (je me suis deman­dé un moment si ce n’é­tait pas des Japo­nais tant le mimé­tisme était fort), trot­ti­naient der­rière lui, pre­nant des pho­tos de cette rue sans inté­rêt, ou mar­chant en fil­mant avec un camé­scope minia­ture. J’en reste sans voix. Mais le pire est à venir… On les engouffre dans une fran­chise, un maga­sin lumi­neux dans la devan­ture duquel se trouvent des sacs à main en cuir d’un goût abso­lu­ment dou­teux, des cein­tures, des vestes en cuir colo­rées. Comble de l’hor­reur, je constate que toutes les éti­quettes de la vitrine sont écrites en man­da­rin, pas un seul mot d’i­ta­lien, et les ven­deuses sont éga­le­ment chi­noises. Je dois avouer que je n’a­vais jamais vu ce genre de choses mais plus qu’ou­tré, je crois sur­tout que j’ai du mal à com­prendre ce qui se joue ici. Je me sens un peu révol­té, mais la colère retombe et je finis par m’a­mu­ser de voir ces idiots se faire plu­mer dans un maga­sin où le cuir a dû être trans­for­mé dans des ate­liers sombres des villes de moyenne impor­tance de la Chine profonde…

Florence - jour 2 - 077 - Dante Alighieri

Sur la place immense de San­ta Croce, j’ad­mire la sta­tue de Dante Ali­ghie­ri. Rela­ti­ve­ment récente (1865), elle repré­sente le poète dra­pé à l’an­tique dans sa cape et la tête ceinte de lau­rier, le regard grave, la mine péné­trée. C’est une très belle sta­tue taillée dans un marbre de Car­rare vei­né très pur. Je retourne vers la Piaz­za del­la Signo­ria où j’entre dans la cour pour voir les déco­ra­tions de la pre­mière cour (cour de Miche­loz­zo), les colonnes fine­ment ouvra­gées, les fresques de Vasa­ri et le Put­to con del­fi­no d’Andrea del Ver­roc­chio.

Florence - jour 2 - 084 - Pallazo Vecchio

Je me rends compte que l’in­té­rieur de cette cour est éga­le­ment déco­rée de ce sym­bole qu’on trouve par­tout dans la ville et plus loin dans le monde, qui consiste en un bla­son déco­ré de cinq boules rouges et une bleue, repré­sen­tant les pilules que confec­tion­naient les apo­thi­caires, d’où vient le nom Medi­ci… Je conti­nue mon che­min en pas­sant à nou­veau sur le Ponte Vec­chio en me ren­dant compte que figure en son milieu le buste d’un de mes per­son­nages pré­fé­rés qui reste atta­ché à la ville : Ben­ve­nu­to Cel­li­ni. Une fois pas­sé le pont, je suis Oltrar­no… de l’autre côté de l’Arno.

Florence - jour 2 - 089 - Buste de Benvenuto Cellini par Raffaello Romanelli sur le Ponte Vecchio

Les Ita­liens disent qu’Ol­trar­no est le quar­tier de la fio­ren­ti­ni­tà, l’es­prit Renais­sance de la ville, ce qui reste le plus tra­di­tion­nel, la dou­ceur de vivre dans des rues étroites et sur des pla­cettes dont les ter­rasses des res­tau­rants se rem­plissent le soir arri­vant. Je sais qu’à cette heure-ci je ne risque plus de trou­ver quoi que ce soit d’ou­vrir en terme d’é­glises ou de monu­ments, mais je m’en­fonce dans le cœur de cette autre ville, jus­qu’au Palaz­zo Pit­ti et sa place par­fai­te­ment imper­son­nelle. En fait, ce palais me met mal à l’aise, je n’aime pas son archi­tec­ture mas­sive au bos­sage rus­tique et aux fenêtres aveugles. Je sais qu’il ren­ferme des col­lec­tions de tableaux magni­fiques, mais ce sera dans une autre vie, le moment est au vaga­bon­dage dans les rues étroites où les volets fer­més sur les fenêtres s’ouvrent aus­si bien de l’in­té­rieur vers l’ex­té­rieur que de bas en haut. Les étages montrent des hau­teurs sous pla­fond impres­sion­nantes. Je marche jus­qu’à la place qui se trouve devant la basi­lique San­to Spi­ri­to que le soleil de la fin d’a­près-midi vient frap­per pour don­ner à la façade nue une cou­leur d’or. Je prends ici le temps de m’as­seoir sur les marches pour regar­der les gens vivre, boire bruyam­ment à la ter­rasse du res­tau­rant d’en face, souf­fler un peu, repo­ser mes pieds endo­lo­ris… Puis je repars dans le dédale des petites rues dans les­quelles le soleil a du mal à se fau­fi­ler, pour sor­tir d’Ol­trar­no par le Ponte San­ta Tri­ni­ta, l’autre grand pont de Flo­rence sous les arcades cen­trales duquel se trouvent deux têtes de bélier, ani­mal guer­rier qui d’un côté du pont pro­tège la ville des crues du fleuve, de l’autre côté des enva­his­seurs. On retrouve d’ailleurs ces têtes de bélier, si l’on prend le temps d’ob­ser­ver les détails d’une ville, sur le socle de la sta­tue de Cel­li­ni sur le Ponte Vecchio.

Florence - jour 2 - 097 - Basilica di Santa Maria del Santo Spirito

Le soir arri­vé, je trouve un petit res­tau­rant sarde au pied du Duo­mo, Via delle Oche, qui s’ap­pelle Ter­ra Ter­ra, où fleurent bon des noix de jam­bons sus­pen­dues au pla­fond et des gousses d’ail. Je me fais ser­vir une planche (impos­sible de me sou­ve­nir du nom que portent ces plats qu’on vous sert sur une planche…) de char­cu­te­rie et l’autre de fro­mage, le tout arro­sé (encore, j’a­voue) de Chian­ti. En des­sert, je ne passe pas à côté de ces spé­cia­li­tés sardes qui ne sont autres que des can­tuc­ci trem­pés dans du vin san­to. On ne se refuse rien, on n’est pas là pour rigoler.

Florence - jour 2 - 109 - Lungarno

Voir toutes les pho­tos de cet après-midi sur Fli­ckr.

Épi­sode sui­vant : Lun­gar­no e Oltrar­no – Car­net de voyage à Flo­rence 6 – Du bap­tême au che­min de croix

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