Epi­sode pré­cé­dent : Lun­gar­no e Oltrar­no – Car­net de voyage à Flo­rence 2 – Lumière sur le Duomo

Quit­tant la place du Duo­mo dont les cloches se mettent à val­ser dans tous les sens, je des­cends la Via de Cal­zaio­li qui mène vers l’autre cœur de la ville, la Piaz­za del­la Signo­ria avec son Palaz­zo Vec­chio, majes­teux édi­fice de pierre moyen­âgeux bar­dé d’é­cus­sons. Dans cette rue donc, je vois un visage dont je n’a­vais pas sou­ve­nir, une Flo­rence de façade, semi-vitrine de luxe des quar­tiers riches, mais je me rabroue un peu vite en me disant que depuis le Moyen-Âge, cette ville a tou­jours été riche, sinon la créa­tion artis­tique n’y aurait pas été si foi­son­nante. Dans cette rue donc, je tombe sur un bâti­ment somp­tueux, une sorte d’o­ra­toire car­ré aux façades rem­plies de sta­tues enchâs­sées dans leur niche fine­ment cise­lée. C’est Orsan­mi­chele. Orsan­mi­chele doit son nom étrange au fait qu’il est construit sur l’emplacement de l’an­cien Saint-Michel-au-jar­din (San Michele in orto ou Orto San Michele et donc par éli­sion, Or’ San Michele) et ce n’est pas vrai­ment une église, mais plu­tôt un ora­toire qui a ser­vi éga­le­ment d’en­tre­pôt et donc de mar­ché au grain. L’in­té­rieur contient un taber­nacle assez riche que l’on doit à Orca­gna, mais ce qui est sur­tout remar­quable, ce sont toutes ces sta­tues de saints qui ornent sa façade qui sont en réa­li­té les saints pro­tec­teurs des cor­po­ra­tions de mar­chands de la ville (on en revient à ce que je disais tout à l’heure). Cer­taines d’entre elles ont été réa­li­sées par Dona­tel­lo, Ghi­ber­ti et Giam­bo­lo­gna. Le bâti­ment lui-même, mal­gré son aspect mono­li­thique, semble d’une légè­re­té impres­sion­nante au regard des den­telles de sculp­tures qui ornent les niches et les arcades.

Florence - jour 1 - 086 - Via de Calzaioli - Orsanmichele

J’ar­rive ensuite sur le place de la Sei­gneu­rie où le Palaz­zio Vec­chio semble brû­ler sous la lumière du soir. Sa façade gros­sière sur­mon­tée de la tour car­rée qui n’est autre qu’un bef­froi, ornée des bla­sons plu­sieurs fois répé­tés autour du bâti­ment qui font état de la situa­tion poli­tique de la ville (par­ti des Guelfes, Mai­son d’An­jou, Louis Ier de Hon­grie, etc.) est un lieu magique. L’im­pres­sion mas­sive qu’elle ren­voit ne laisse en rien pré­sa­ger de la beau­té de ce qu’on y trouve à l’in­té­rieur. S’il y a vingt je ne l’ai pas visi­té car notre prof de des­sin esti­mait que ce qui s’y trou­vait ne concer­nait pas notre sujet, il était hors de ques­tion que je reparte d’i­ci sans avoir visi­té ses salles.

Florence - jour 1 - 088 - Piazza della Signoria - Palazzo Vecchio

Je m’at­tarde un peu sur la place, ten­tant de faire abs­trac­tion de la foule qui se masse ici et pro­fite de la lumière du soleil pour admi­rer la fon­taine de Nep­tune de Bar­to­lo­meo Amman­na­ti, le maître de Giam­bo­lo­gna, dont le per­son­nage de Nep­tune porte les traits de Cosme Ier de Médi­cis. La sta­tue est par­ti­cu­liè­re­ment connue pour la blan­cheur étin­ce­lante du marbre avec lequel elle a été exé­cu­tée, plus que pour la beau­té du monu­ment. La réplique du David de Michel-Ange fait tou­jours autant son effet, même si l’on est désor­mais habi­tué à cette sil­houette, dont on peut voir l’o­ri­gi­nal (enfin quand je dis qu’on peut, ça dépend, si on se lève tôt et qu’on a envie de faire deux heures de queue devant les murs) à la Gal­le­ria dell’Ac­ca­de­mia qu’on retrouve dans une rue der­rière le Duo­mo, à deux pas de San Mar­co. Je pense tou­jours et encore que la plus belle par­tie de ce corps de marbre blanc est la main droite, recro­que­villée sur la cuisse du roi biblique, dans laquelle il tient la pierre avec laquelle il tua Goliath. Pour moi, la plus belle pièce de cette place est la sta­tue de Per­sée tenant la tête de Méduse, de Ben­ve­nu­to Cel­li­ni, sta­tue de bronze ô com­bien célèbre et énig­ma­tique. Je me suis inté­res­sé de près à la vie de Cel­li­ni, sculp­teur de génie, orfèvre recon­nu, bron­zier cha­ris­ma­tique, et par ailleurs homme aux mœurs dis­so­lues, au tem­pé­ra­ment bagar­reur, à la vie com­pli­quée, émaillée par des dépres­sions comme seul un grand créa­teur peut en connaître. Il mour­ra tout de même à 71 ans et l’on peut dire que ce qui lui sau­va maintes fois la vie, c’est son génie, car on le sol­li­ci­tait sans cesse, le fai­sant par­fois sor­tir de pri­son pour qu’il puisse expri­mer à nou­veau son art. Cette sta­tue est une des plus belles qu’il ait réa­li­sé et c’est cer­tai­ne­ment la rai­son pour laquelle elle figure en bonne place sous la Log­gia dei Lan­zi. Les étapes de la créa­tion de l’œuvre montrent à quel point le sculp­teur était exi­geant et maî­tri­sait son art et les visions qu’il don­na à voir dans le corps de Méduse ren­ver­sé, le cou tran­ché dont sort un flot de sang, et la tête pro­je­tée en l’air, d’un réa­lisme sai­sis­sant, frap­pèrent les Flo­ren­tins qui jugèrent que l’ar­tiste déjà répu­té pour ses mœurs légères avait dû être ins­pi­ré là par le diable. Si cette sil­houette est bien connue, ce qui l’est beau­coup moins, c’est que der­rière la tête à l’air serein de Per­sée se trouve des­si­né sur le casque du héros… les traits du sculp­teur… Cel­li­ni aura lais­sé une de ses plus grandes audaces.

Florence - jour 1 - 102 - Piazza della Signoria - Loggia dei Lanzi - Persée par Benvenuto Cellini

Florence - jour 1 - 103 - Piazza della Signoria - Loggia dei Lanzi - Persée par Benvenuto Cellini

On pour­ra admi­rer dans cette loge les superbes œuvres de Giam­bo­lo­gna, l’Enlè­ve­ment des Sabines et Her­cule en lutte contre le Cen­taure Nes­sus. Je m’en­fonce ensuite dans la cour de la Gale­rie des Offices, sombre et étroite, presque oppres­sante, en tout cas noir­cie de crasse et en cours de res­tau­ra­tion. Je n’ai pas envie de gar­der en moi cette image et je ne m’in­té­resse qu’aux sta­tues des grands flo­ren­tins qui en ornent les colonnades.

En arri­vant face à l’Ar­no, immé­dia­te­ment, c’est le soleil qui illu­mine encore sur les hau­teurs, la petite Basi­lique San Minia­to al Monte, un bâti­ment ancien dont l’ar­chi­tec­ture et l’in­té­rieur sont en rela­tion directe avec l’art byzan­tin. Je m’a­vance vers le Ponte Vec­chio et j’es­saie de repé­rer au-des­sus de ma tête le par­cours du Cor­ri­dor de Vasa­ri dont je viens d’ap­prendre l’exis­tence et qui relie le Palaz­zo Vec­chio au Palaz­zo Pit­ti en pas­sant au-des­sus de la tête des pas­sants du Ponte Vecchio.

Florence - jour 1 - 107 - Basilica di San Miniato al Monte

Comme le soleil décroît vite et que la tem­pé­ra­ture com­mence à bais­ser, j’ac­cé­lère un peu le pas et je rejoins la place de San­ta Croce, la grande basi­lique envi­ron­née d’une belle lumière bleu­té et au pied de la sta­tue de Dante, je trouve un res­tau­rant dont la ter­rasse s’é­tend au pied de la basi­lique, Finis­ter­rae. Je choi­sis de man­ger en ter­rasse, une bonne piz­za Chia­ra­monte avec un verre de Chian­ti cher, ponc­tué d’un tira­mi­su mai­son à se dam­ner et un expres­so sim­ple­ment déli­cieux. Je n’ai empor­té avec moi qu’un petit pull qui me laisse tran­si de froid alors que le soleil a dis­pa­ru depuis longtemps.

Florence - jour 1 - 114 - Piazza Santa Croce

Au retour, je passe au pied du Bar­gel­lo en reve­nant par la Via del Pron­con­so­lo. Dans mon sou­ve­nir, ce bâti­ment était vrai­ment mas­sif, à mille lieues de l’i­dée qu’on peut se faire d’un palais ita­lien, et ce n’est pas sans rai­son car ce musée qui ras­semble aujourd’­hui les plus belles sculp­tures gothiques et renais­sance du pays fut en son temps une pri­son et Cosme l’An­cien y fit peindre le por­trait de ceux qu’il fit exé­cu­ter parce qu’ils avaient eu le mal­heur de s’op­po­ser à lui. C’est éga­le­ment ici que fut enfer­mé et tor­tu­ré le tris­te­ment célèbre moine domi­ni­cain Jérôme Savo­na­role. Il est tard et mal­gré l’heure tar­dive, j’a­vise un porche ouvert, menant à une volée de larges esca­liers qui donne sur une porte vitrée. Je la pousse et je me retrouve à l’in­té­rieur d’une église très curieuse. Mas­sive, peu éclai­rée, courte et sur­tout, mal­gré quelques per­sonnes pré­sentes en prière, tenaillée par un silence comme je n’en ai jamais enten­du. Cette petite église est en réa­li­té une des plus anciennes de la ville et peut-être une des moins visi­tées aus­si. La Badia fio­ren­ti­na (abbaye flo­ren­tine) a été fon­dée en 978 et porte en réa­li­té le nom de San­ta Maria Assun­ta­nel­la (Sainte Marie de l’As­somp­tion). C’est une église bâtie sur un plan car­ré et si son pla­fond est cais­son­né de bois fine­ment sculp­té, sa déco­ra­tion reste sim­plis­sime et ses murs ornés de quelques pein­tures dont une très belle toile, sur le côté nord de l’é­glise, de Filip­pi­no Lip­pi, l’Appa­ri­tion de la Vierge à Saint Ber­nard de Clair­vaux, datant de 1486.

Florence - jour 1 - 120 - Via del Proconsolo - Badia fiorentina

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L’am­biance qui règne ici est incom­pa­rable, je n’ai jamais res­sen­ti cela ailleurs. Une dizaine de per­sonnes assises sur les bancs de la petite église prient dans une fer­veur qui me rend presque admi­ra­tif. Je suis lit­té­ra­le­ment hap­pé par le silence qui en devient assour­dis­sant, bour­don­nant, et pen­dant un temps qui me semble infi­ni, je finis par me recueillir moi aus­si, en fer­mant les yeux et en res­sen­tant une sorte de féli­ci­té qu’on pour­rait me repro­cher en d’autres lieux ou en d’autres temps. Il est tard et j’ai un peu de mal à com­prendre pour­quoi le lieu est ouvert tan­dis que le reste de la ville dort. Je suis arri­vé dans une autre tem­po­ra­li­té, je ne vois que cela comme explication.

La fatigue se fait res­sen­tir. Il est temps pour moi de rega­gner l’hô­tel. Évi­dem­ment, en remon­tant la Via del Pro­con­so­lo, on finit par retour­ner sur le Duo­mo que je contourne par le côté sud. La lumière crue qui illu­mine le monu­ment me le fait voir sous un autre angle. Cathé­drale de glace, monu­ment aux cou­leurs froides dans la nuit flo­ren­tine, elle brille et semble plus impres­sion­nante encore. Je m’ar­rête alors devant le por­tail ouest qui à cette heure-ci finit par être déser­té, alors j’en pro­fite pour admi­rer dans le détail les sculp­tures qui ornent sa façade, les cen­taines de per­son­nages foi­son­nant dans cette enche­vê­tre­ment et cette débauche de pierre cise­lée. Je cherche par­tout du regard l’ange scan­da­leux qui a été sculp­té sur la façade. En effet, à hau­teur d’homme se trouve cet ange gar­dien qui fait un bras d’hon­neur, simu­lant ain­si une érec­tion sur le por­tail d’une des plus grandes cathé­drales du monde ! J’ai en face de moi l’ange gar­dien des sodo­mites, le pro­tec­teur de ceux qui furent brû­lés en place publique, accu­sés d’actes contre nature…

Florence - jour 1 - 128 - Cattedrale di Santa Maria del Fiore - Duomo

Florence - jour 1 - 131 - Cattedrale di Santa Maria del Fiore - Duomo

Pour reve­nir à l’hô­tel, je décide de ne pas prendre direc­te­ment la Via Faen­za mais de pas­ser par la Basi­lique San Loren­zo. C’est une immense église sans déco­ra­tion. On peut se dou­ter qu’il eut été ques­tion à un moment don­né de la recou­vrir du même pare­ment que les autres (qui aurait dû être exé­cu­té par un cer­tain Michel-Ange), comme San­ta Croce ou le Duo­mo, mais son mur ouest est déli­bé­ré­ment nu. Le mur sud, le plus large visible est d’une aus­té­ri­té redou­table et laisse pen­ser que le bâti­ment a été construit en pen­sant aux pre­mières basi­liques chré­tiennes, même si c’est Filip­po Bru­nel­les­chi, encore lui, qui en fut le prin­ci­pal architecte.

Florence - jour 1 - 136 - San Lorenzo

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Épi­sode sui­vant : Lun­gar­no e Oltrar­no – Car­net de voyage à Flo­rence 4 – L’errance

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