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Dès mon arri­vée, j’ai l’im­pres­sion d’ar­ri­ver dans un autre monde. Un per­son­nage campe fer­me­ment sur le quai de la gare, le regard sévère, les pieds soli­de­ment ancrés sur le sol, les bras croi­sés. C’est comme un rap­pel qu’i­ci encore, la vie est ryth­mée par la religion…

Florence - jour 1 - 014 - Gare de Firenze - Santa Maria Novella

Je jette un coup d’œil à l’ar­chi­tec­ture un rien futu­riste de l’é­di­fice qui date de 1934 et je me vois pro­je­té des années en arrière, lorsque nous sommes arri­vés avec notre petit groupe dans cette même gare, au même endroit. J’a­vais sim­ple­ment 20 ans de moins.

En sor­tant du bâti­ment, on se trouve nez à nez avec la très majes­tueuse église San­ta Maria Novel­la dans laquelle se trouvent de petits tré­sors de la pein­ture renais­sante. Pour l’ins­tant, l’heure est à la prise de pou­voir, je veux aller dépo­ser ma valise à l’hô­tel. Il se trouve à deux pas de la gare dans une ruelle inter­dite à la cir­cu­la­tion, la via Faenza.

Sur un mur, quel­qu’un me demande si je vis bien. Oui, tout se passe bien pour l’ins­tant, merci.

Florence - jour 1 - 017 - Via Faenza

C’est un petit hôtel tenu par une famille dans une de ces mai­sons nobles à la déco­ra­tion à la fois somp­tueuse et aus­tère, avec des pla­fonds très hauts, cais­son­nés, et des boi­se­ries cirées ou peintes de cou­leurs sombres. Je prends pos­ses­sion de la chambre, sim­plis­sime, au bout du cou­loir. Haute de pla­fond elle aus­si, on dirait une cel­lule de moine don­nant sur une cou­rette enso­leillée. J’en tombe amou­reux, mais je me dis que je vais pas­ser tel­le­ment peu de temps ici que je n’au­rais même pas le temps de m’y ins­tal­ler. L’hô­tel­le­rie est tel­le­ment chère et sur­tout tel­le­ment inégale en qua­li­té que je suis content d’être arri­vé ici et d’a­voir une belle chambre. Le type de la récep­tion est ado­rable, il s’ap­pelle Sil­vio, porte une veste en velours rouge et un gilet bleu en-des­sous, porte éga­le­ment une barbe peu épaisse et adresse un sou­rire plein de belles dents. Mal­gré son jeune âge, il com­mence à se dégar­nir, ce qui lui confère un cer­tain charme. Il s’ex­cuse de ne pas par­ler fran­çais (on croit rêver) et veut par­ler anglais, mais il cherche ses mots, alors je lui dit d’ar­rê­ter et qu’il parle en ita­lien, len­te­ment et ce sera par­fait. Gen­ti­ment, il entoure sur un plan de la ville ce qu’il y a à voir, mais il ne sait pas que je suis têtu et que je n’i­rai que là où me portent mes jambes. Les ronds qu’il trace m’é­voquent de bons sou­ve­nirs… San Mar­co, San­ta Croce, Uffi­zi… Cela m’é­voque des images de mes cama­rades de l’é­poque, le par­fum Cha­nel n°5 de ma prof d’an­glais, la mous­tache mal taillée de mon prof de des­sin s’ex­ta­siant devant la Nais­sance de Vénus de Bot­ti­cel­li, les bou­clettes de Faus­tine, les grands yeux clairs de Julie, les beaux che­veux blonds de Véronique…

Dans la via Faen­za, on est tout de suite plon­gé dans l’am­biance de cette Ita­lie riche et vivante. On y voit des scoo­ters garés n’im­porte com­ment, de grandes bâtisses aux fenêtres hors de por­tée, des boîtes aux lettres hors d’âge en marbre per­cées dans le bâti, des plaques indi­quant le niveau de l’eau atteint par la crue de l’Ar­no en 1966 un peu par­tout dans la ville… Un peu plus loin on trouve la toute petite Chie­sa di San Jaco­po in Cam­po Cor­bo­li­ni que je n’au­rais pas l’oc­ca­sion de voire ouverte, et presque en face une échoppe qui n’est autre qu’un kebap. Moi qui revient d’Is­tan­bul, je ne me sens pas dépay­sé. Un kebap hal­lal en plus… On ne sait plus à par­tir de quand com­mence le dépaysement.

Florence - jour 1 - 023 - Via Faenza - Kebap

Dans toute la ville aus­si, je trou­ve­rai des tuyaux de gout­tières qui entrent dans les murs en se tor­tillant dans une sorte de ser­pen­tin qui doit avoir pour fonc­tion de frei­ner l’eau qui peut tom­ber d’une hau­teur assez impres­sion­nante. Enfin j’i­ma­gine, je ne sais pas. Je ne fais qu’imaginer.

Florence - jour 1 - 025 - Via Faenza

A un croi­se­ment de rues, je tombe sur un grand bâti­ment de forme hexa­go­nale sur­plom­bé par un dôme et sur la façade duquel sont creu­sées des ouver­tures aveugles et cadrées de marbres. Je ne me rap­pelle abso­lu­ment pas avoir déjà vu ça. Je suis en fait der­rière la basi­lique San Loren­zo, au pied de la Cha­pelle des Princes que je visi­te­rai un peu plus tard. On y trouve là de véri­tables tré­sors dont je n’a­vais même pas idée. La via Faen­za donne dans une artère plus grande qui s’ap­pelle Via de’ Cer­re­ta­ni et depuis laquelle on peut admi­rer une par­tie de la façade du très célèbre Duo­mo (qui n’est que l’é­glise de cette ensemble tri­par­tite qu’on appelle San­ta Maria del Fiore, soit Sainte Marie de la fleur). A l’heure à laquelle je suis arri­vé, la lumière du soleil déjà décli­nant frap­pait la façade ouest avec une telle inten­si­té qu’on pour­rait presque com­prendre le sen­ti­ment reli­gieux. L’im­men­si­té de cette église, la qua­trième plus grand église du monde, toute parée de ses atours de marbres blancs, verts et roses est tel­le­ment impo­sante qu’on peut se sen­tir sub­mer­gé par cette expres­sion du sacré. La posi­tion de l’é­glise sur une place qui semble presque être trop étroite pour ses murs mas­sifs, la vie grouillante au pied de la façade, le bap­tis­tère déjà immense en soi et le cam­pa­nile de Giot­to, immense tour décol­lée de l’en­semble, la pro­fu­sion de sculp­ture, la hau­teur incroyable de cette croix per­chée sur une boule dorée, elle-même per­chée en haut de ce dôme recou­vert de tuiles en terre cuite… tout ceci est étour­dis­sant… Les portes du bap­tis­tère déco­rées de plaques de bronze, pour par­tie exé­cu­tées par Filip­po Bru­nel­les­chi, pour par­tie par Loren­zo Ghi­ber­ti (les plus belles, ma foi) dont on peut voir l’au­to­por­trait (audace suprême) éclatent dans la lumière du soir par­mi les épi­sodes de l’An­cien Tes­ta­ment. Par­tout, ce n’est que débauche de mosaïques dorées entou­rant les nimbes des saints, mosaïques de bleus évo­quant le ciel étoi­lé, mosaïques de marbre imbri­quées don­nant la sen­sa­tion que par­tout fleu­rissent des fleurs dédiées à la Vierge.. Rien n’y fait, des années après, la sen­sa­tion d’é­tour­dis­se­ment est tou­jours là et m’emporte jus­qu’à l’épuisement.

Florence - jour 1 - 041 - Cattedrale di Santa Maria del Fiore - Duomo

Florence - jour 1 - 058 - Cattedrale di Santa Maria del Fiore - Duomo

Florence - jour 1 - 052 - Cattedrale di Santa Maria del Fiore - Duomo

Florence - jour 1 - 072 - Cattedrale di Santa Maria del Fiore - Duomo

Je fais le tour de la cathé­drale par der­rière, par l’est, par là où la lumière du soleil n’ar­rive plus à péné­trer, il y fait presque froid dans les cou­rants d’air des arrière-cours. En levant le nez, on peut voir des log­gias sur les toits, dont une notam­ment, ornée d’un lion assis sur le bord d’un pilier. Sur le côté sud de la place, on peut voir une sta­tue colos­sale de l’ar­chi­tecte de génie Bru­nel­les­chi qui fit de ce temple l’œuvre de sa vie. Dans les yeux de cet homme, le regard levé vers la pointe du dôme, on peut res­sen­tir toute la pas­sion, l’é­mo­tion d’un tra­vail qui a dû éprou­ver ses nerfs pen­dant toute la construc­tion. Un tel ouvrage n’est pas si évident à faire tenir. Lui-même semble ne pas en revenir…

Florence - jour 1 - 076 - Piazza del Duomo - Statue de Brunelleschi

Dans l’a­gi­ta­tion de la fin de jour­née, on ren­contre des reli­gieuses voû­tées, des prêtres tout droit sor­tis d’un film en tech­ni­co­lor por­tant le col blanc, qu’on appelle col romain, des cara­bi­nie­ri mal fago­tés, des femmes en uni­forme mili­taire, por­tant dague au flanc et aux fesses opu­lentes… la vie flo­ren­tine d’une fin de jour­née tran­quille, sous le feu d’un soleil doré.

Florence - jour 1 - 081 - Cattedrale di Santa Maria del Fiore - Duomo

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Épi­sode sui­vant : Lun­gar­no e Oltrar­no – Car­net de voyage à Flo­rence 3 – Le feu et la glace

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