Voi­ci un per­son­nage hors du com­mun. Auguste Fran­çois, né à Luné­ville en 1857, est deve­nu consul un peu par hasard après avoir été résident de France au Ton­kin. Son expé­rience la plus signi­fi­ca­tive, il l’a vécue en Chine sous la dynas­tie Qing, dans les xian de Guangxi et du Yun­nan. Il en rap­por­te­ra un maté­riel volu­mi­neux, entre pho­to­gra­phies et écrits, il tour­ne­ra même quelques petits films qu’on consi­dère comme étant les pre­miers témoi­gnages fil­més en Chine.
Il existe une asso­cia­tion (AAF) chez qui on peut trou­ver quelques ren­sei­gne­ments mais la qua­si-tota­li­té de ses pho­tos et de ses car­nets sont aujourd’­hui conser­vés au Musée Gui­met ou au Musée du Quai Bran­ly, donc inac­ces­sibles au profane.

Auguste François

Auguste Fran­çois en 1900 au Tonkin

Ce qui m’a tout de suite inter­pel­lé chez cet homme, c’est ces yeux clairs, per­çants, ce regard, à la fois froid et espiègle, un tan­ti­net fron­deur, et une désin­vol­ture raf­fi­née, fusil à peine rete­nu dans un main, l’autre dans la poche. Et il sou­rit alors qu’il vient de sau­ver ses cama­rades du mas­sacre. A cette appa­rence, on ne peut se dire que l’homme est un drôle, qu’il va nous entraî­ner sur les pentes sca­breuses du calem­bour et du bon mot. Les lettres qu’il écrit à son ami Jean-Bap­tiste Beau en sont un bel exemple.

Lettre d’Au­guste Fran­çois à Jean-Bap­tiste Beau, Wou-Tchéou-Fou, 2 jan­vier 1899

Mon cher ami,
En consul­tant mon calen­drier ce matin, j’ai appris que nous étions au 9e jour de la 12e lune; j’ai vu ensuite que le jour était pro­pice pour se raser la tête et coudre des habits, mais déplo­rable pour se cou­per les ongles des mains et des pieds, qu’on pou­vait sans crainte construire sa mai­son et même y dis­po­ser la poutre maî­tresse de sa toi­ture, mais qu’il ne fal­lait pas ce jour-là remon­ter sa pen­dule, ni consul­ter les esprits, ni man­ger du chien. Par contre, c’est un jour fameux pour prendre un bain et pour écrire à ses amis. Ain­si ins­truit de ce que je peux entre­prendre dans cette 9e jour­née de la 12e lune, je me suis dit : « Tu vas prendre un tube sérieux et puis tu écri­ras à cet ani­mal de Beau, sans crainte de l’in­dis­po­ser ou de l’en­nuyer. » Si j’a­vais tou­jours consul­té mon calen­drier, j’au­rais choi­si les jours pro­pices et j’au­rais connu les moments oppor­tuns pour dire que Gérard est une canaille, car bien évi­dem­ment c’est indi­qué dans mon alma­nach. Or voyez comme cela se trouve, que ce 9e jour de la 12e lune coïn­ci­dait avec le 1er jan­vier et en même temps, en sui­vant ma route sur ma carte, j’ar­ri­vais au der­nier trait de car­min, c’est-à-dire le pre­mier que je tra­çais l’an der­nier en quit­tant Wou-Tchéou-Fou ; et en effet, le sif­fle­ment des vapeurs me confir­mait que j’é­tais ren­du dans ce port ouvert où je vou­drais voir éle­ver une sta­tue à Gérard. La matière pour la cou­ler ne manque pas ici et il aurait là une sta­tue odo­rante et bien appropriée.
Donc, mon cher ami, puisque nous renou­ve­lons l’an­née, « Kong-Chi, Kong-Chi ». C’est du chi­nois. N’al­lez pas vous méprendre sur le sens de ces deux vocables. Ce n’est pas une injonc­tion que je vous adresse, mais des com­pli­ments et des sou­haits que je  forme pour votre san­té. Il en est donc qui s’ap­pliquent au bon fonc­tion­ne­ment de vos intes­tins mais enfin, vous me connais­sez trop pour pen­ser que je les for­mu­le­rai d’une manière aus­si crue.

in Aven­tu­riers du monde,
édi­tions L’iconoclaste, 2013

Tags de cet article: , , , ,