Les Cahiers Dogons, d’Anto­nin Potos­ki, est un livre que j’ai décou­vert par hasard au détour d’un rayon de biblio­thèque, comme un objet per­du ou inten­tion­nel­le­ment éga­ré par un biblio­thé­caire mali­cieux. C’est un petit livre, une cen­taine de pages, aux édi­tions P.O.L, un objet lit­té­raire éton­nant, sans pré­ten­tion, une simple his­toire d’un homme qui aime aller au Mali et s’immerge dans l’écrasante cha­leur de l’Afrique.

1999. J’ai dor­mi sur le toit, sans drap ni mous­ti­quaire, tout habillé, pieds nus, sur un petit mate­las posé sur une natte. J’ai la tête qui tourne à cause de la cha­leur et du soleil que j’ai déjà trop pris. Il est là, à tra­vers le feuillage du nim à l’ombre duquel j’écris, par petites taches brûlantes.

Ici tout res­pire la cha­leur, ou plu­tôt ne res­pire pas. Les hommes dorment sous le toit épais de la togou­na et notre nar­ra­teur lui, passe ses nuits sur le toit, ten­tant de se rafraî­chir, bai­gné dans une tor­peur assom­mante dont il a du mal à se dépê­trer, mais son ami­tié pour les gens de ce vil­lage au pied de la falaise du Ban­dia­ga­ra le fait res­ter, dans cette zone qui devient tel­le­ment touristique.

J’étais nu sur le toit, le vent souf­flait un air plus chaud que mon corps, comme d’une sèche-che­veux. C’étaient d’énormes masses de cha­leur qui pas­saient sur moi comme des vagues, comme à l’océan lorsqu’on joue à se caler le dos contre le sable pour se sen­tir léché, écra­sé par les rou­leaux et regar­der, d’en-dessous, leur grand bouillon vert. Ici, je me cale face au grand bouillon étoi­lé de la nuit.

Dogon Village

Pho­to © John Spoo­ner

Dans ce pays qui devient célèbre pour la diver­si­té de ses peuples et attire les nou­veaux tou­ristes, des nou­veaux explo­ra­teurs en polo Lacoste qui n’admettent que dif­fi­ci­le­ment trou­ver un blanc (un peu sale et puant) au beau milieu des dogons qu’ils espé­raient sau­vages, le nar­ra­teur ne jus­ti­fie pas sa pré­sence, il s’est sim­ple­ment ins­tal­lé comme un cèpe au pied d’un frêne, admis, adop­té, au point qu’on se demande où on voit un blanc chez eux, il n’y a qu’Antonin ici…

L’impression des Peuls qui arrivent de la plaine, de leur vie nomade, dans un vil­lage de la falaise doit être encore plus forte que la nôtre : ce doit être étrange, mys­té­rieux, un peu effrayant, cette orga­ni­sa­tion, ce peuple qui parle autant de langues qu’il a de vil­lages, qui consent à les embau­cher pour qu’ils s’occupent de ses trou­peaux, qui construit des cités bruis­santes dans les ébou­lis alors qu’eux vivent dans le silence, le dépouille­ment, la pure­té des plaines, de leur dieu musulman.

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