Au cœur de l’A­na­to­lie, un peu à l’é­cart de cette fabu­leuse région qu’on appelle la Cap­pa­doce, se trouve une ville qui se nomme Hacı­bek­taş et dans laquelle Jacques Lacar­rière situe l’in­trigue de son très beau roman, La pous­sière du monde. Le tekke dont il est ques­tion est une mai­son sou­fie de prière pour les der­viches, à l’in­té­rieur de laquelle se pra­tique la sema, la céré­mo­nie exta­tique au cours de laquelle ils tournent pour atteindre l’a­mour spirituel.

Cyprus - Hala Sultan Tekke

Chypre — Lar­na­ca — Hala Sul­tan Tekke — Pho­to © BrOw­ser

Mûrier, roses et colombes. Jar­din, fon­taine et mau­so­lée. Le tek­ké d’Ha­ci Bek­tas donne le sen­ti­ment d’un uni­vers en réduc­tion. Dans la salle où se dérou­laient prières et céré­mo­nies rôdent encore le par­fum du cuir — fra­grance du ber­ceau kho­ras­sien —, celui des fleurs et — l’ai-je ima­gi­né ? celui des femmes qui étaient accep­tées dans cette confré­rie à l’é­gal des hommes, chose unique en pays d’Is­lam. Deux grands arcs ouvra­gés d’a­ra­besques divisent la pièce en une aire de musique et, peut-être, de danse, et l’en­droit où se tenaient, assis, les der­viches et les audi­teurs. Ordre. Lumière. Séré­ni­té. Blan­cheur du Temps arrê­té en son tour­noie­ment. Dénue­ment du lieu. Aucun esprit sec­taire ne put se déployer ici où régna un dieu sans atours ni osten­ta­tion, n’ayant d’autre vêture que la bure des étoiles, d’autre lan­gage que les mélo­dies de ce monde. Sur les deux côtés de la cour prin­ci­pale se suc­cèdent les cel­lules où médi­taient les der­viches après les séances com­munes. Venir en ce tek­ké pour y res­ter des heures, y écou­ter les bruits fami­liers de l’eau, du vent, des visi­teurs. Y réflé­chir et se sen­tir deve­nir trans­pa­rent à soi-même.
Mûrier, roses et colombes.

Jacques Lacar­rièreLa pous­sière du monde
NiL Edi­tions, 1997