Voi­ci déjà trois jours que je suis en congés et que je suis comme vidé de tout, au repos com­plet. Trois jours pen­dant les­quels il ne s’est pas pas­sé grand-chose si ce n’est que j’ai pas­sé toute une jour­née à embras­ser la pelouse un peu sèche au bord d’un étang que quelques libel­lules d’un bleu de métal s’a­mu­saient à sur­vo­ler en rase-motte, où des branches de saules pleu­reur s’é­ver­tuaient à pour­rir tran­quille­ment, embras­sés de pin­ceaux sombres dan­sant dans un cou­rant léger, une odeur fraîche et végé­tale exha­lant des pro­fon­deurs d’une terre vaseuse, de remugles bouillon­nant au pas­sage de pois­sons gros comme la moi­tié d’un orteil. Pas encore par­ti, mais plus vrai­ment là. Je sais que ces vacances ne seront pas faites pour le voyage, mais sim­ple­ment pour des moments où l’es­prit sera vidé de sa sub­stance, des ins­tants sans grands éclats, sans la lumière vive qu’on recherche lorsque l’in­con­nu fait sur­face et se dis­sout dans la chair. Autre chose m’at­tend. Autre chose que je me suis déci­dé à réa­li­ser et qui néces­site du temps, de la dis­po­ni­bi­li­té, du silence et de la fureur.

Desert Skies Motel, Gallup, New Mexico

Desert Skies Motel, Gal­lup, New Mexi­co — Pho­to © Peter Bar­wick

J’emporte avec moi quelques livres, les James Lee Burke ache­tés récem­ment et celui que j’ai com­men­cé avant-hier, La pluie de néon, et puis cer­tai­ne­ment le très recom­man­dé livre de John Kee­gan, La guerre de Séces­sion. J’emporte aus­si les Voyages de William Bar­tram, mais sans convic­tion, je ne me sens pas l’âme natu­ra­liste en ce moment. Peut-être aus­si le livre de Red­mond O’Han­lon, Au cœur de Bor­néo, pour me rap­pe­ler qu’un jour j’é­tais en Indo­né­sie. Quelques car­nets, mon ordi­na­teur pour écrire, des sty­los qui fonc­tionnent, un petit car­net vert dans lequel j’ai ras­sem­blé quelques idées du moment, mon appa­reil pho­to LX7, mon enre­gis­treur et pas grand-chose d’autre à vrai dire. Je suis dans l’in­té­rieur en ce moment, ren­tré comme un chaus­sette à l’en­vers, lavée en boule et déjà séchée. J’emporte avec moi mes rêves futurs et je délaisse les rêves pas­sés, sans rien renier, sans rien rejeter.

A Day in the Life of a Sign 3-5 - Omaha's Satellite Motel - Photo © Brian Butko

A Day in the Life of a Sign 3–5 — Oma­ha’s Satel­lite Motel — Pho­to © Brian But­ko

Le plus drôle, c’est que je ne sais même pas où je vais. Je vais sim­ple­ment là où le vent souffle, là où j’au­rais du temps, là où j’au­rais de l’es­pace et de la volon­té. Je pars sur les routes de France, et peut-être de Navarre, on connaît trop peu la Navarre même si on la cite sou­vent. En réa­li­té qui se pré­oc­cupe de la Navarre ? Cet été, je désarme, je n’at­tends rien, je ne veux rien, je me laisse por­ter. Je man­ge­rai de grosses pêches blanches sucrées et recou­vertes de duvet pelu­cheux, je boi­rai des vins blancs fins, secs et ner­veux comme un cueilleur de vignes, des tomates par­se­mées de par­me­san râpé, un filet d’huile d’o­live jeté par-des­sus… Ce sera l’é­té, linéaire, sans rugo­si­té, sans éclat et sans flamme. Juste un été sans pas­sion, irrai­son­né, plat comme l’é­tang de Thau un jour de grand calme.

Pho­to d’en-tête © Ross Griff

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