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Istanbul - avril 2012 - jour 4 - 003 - Sokollu Sehit Mehmet Pasha Camii

Dans le quar­tier de Kadır­ga, à deux pas de l’hô­tel, je passe le soir venu devant un bâti­ment avec une grande porte verte flan­quée d’un pal­mier défrai­chi et encore ouverte alors qu’il est presque 21 heures. En venant du bas de la rue, rien n’in­dique qu’on est en face d’une des plus belles mos­quées d’Is­tan­bul. Construite sur le flanc d’une des col­lines de la ville, son com­plexe s’é­tend sur tout un pâté de mai­son qu’on peut à peu près appré­cier lors­qu’on des­cend Katip Sinan Camii Sokak, seule rue qui donne une belle pers­pec­tive sur l’en­semble, même si on voit plus les che­mi­nées de la medrese que la cour de la mos­quée elle-même. Son plan est tout à fait par­ti­cu­lier puisque, comme dans une autre mos­quée que je visi­te­rai plus tard du côté d’E­minönü, il faut mon­ter une grande volée de marches pour se retrou­ver dans la cour, face au şar­di­van. Face aux murs laté­raux de l’en­trée, sur le par­vis, sont age­nouillés de jeunes gar­çons qui se balancent en ânon­nant des textes dont je n’ar­rive pas à recon­naître la langue. Tan­tôt debout, tan­tôt assis, ils expriment par ce balan­ce­ment leur fer­veur. Trou­blé par leurs gestes, je finis par me deman­der s’ils ne sont pas juifs, alors j’é­mets des hypo­thèses hasar­deuses, me disant qu’ils viennent peut-être ici par qu’il y a peu de syna­gogues en ville, mais je me rai­sonne vite : nous sommes dans une medrese, une école cora­nique, et ils ne sont là que pour apprendre les ver­sets du Coran et les réci­ter. D’ailleurs, l’homme que j’a­vais vu la veille leur par­ler a un aspect sévère et le cha­risme d’un homme d’é­glise. Veste verte posée sur les épaules, cha­chia noire, barbe blanche taillée en pointe sur un visage angu­leux, il n’a rien de sym­pa­thique. C’est pour­tant lui qui sur­veille les allées et venues des quelques per­sonnes qui y entrent.

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Il me demande avec un air inté­res­sé d’où je viens et je crois per­ce­voir dans ses yeux un sou­rire de bien­ve­nue que je le croyais inca­pable de faire avec la bouche. Il m’ex­plique avec quelques mots d’un anglais très beau, légè­re­ment rou­lé, en me mon­trant le por­tail oppo­sé au mirhab, quelque chose que je n’ar­rive pas à sai­sir. Il me dit « lamek » plu­sieurs fois, mais je ne com­prends pas et j’ose à peine lui faire com­prendre, d’a­près ce que je sais, que si c’est bien de La Mecque dont il me parle, elle se trouve exac­te­ment de l’autre côté, vers le mirhab, mais ce serait inso­lent de ma part. Il voit bien que je ne sai­sis pas, alors il monte sur la pointe des pieds et pointe un petit rec­tangle noir enca­drée d’une sorte de soleil dorée qui se trouve juste au-des­sus de la porte et me redit lamek. Je finis par com­prendre, à par­tir de ce que j’a­vais lu, que c’est un des trois frag­ments de la pierre noire de la Ka’a­ba de La Mecque qui se trouve enchâs­sé ici. Un autre se trouve au-des­sus du mirhab, et le der­nier sur le fron­tis­pice du min­bar. Il me sou­rit en voyant que j’ai fini par comprendre.

La mos­quée a été construite entre 1570 et 1572 à l’emplacement d’une église byzan­tine, par celui dont on ne peut qu’en­tendre par­ler ici, Mimar Sinan, le grand archi­tecte de Soli­man. D’ex­té­rieur, le bâti­ment parait plu­tôt modeste mais son inté­rieur est d’une grande beau­té, sou­te­nue par des mil­liers de car­reaux de faïence bleue d’Iznik, notam­ment sur l’o­give du mih­rab. La salle de prière est très peu pro­fonde, un peu plus de 13 mètres et l’es­pace s’en­vole à plus de 25 mètres avec la cou­pole, ce qui donne un effet sai­sis­sant. Les espaces laté­raux reposent sur deux demi-cou­poles cha­cun, ce qui aère l’es­pace et lui confère une forme tout à fait par­ti­cu­lière. De même, la pré­sence de vitraux poly­chromes donne à l’en­semble une par­faite har­mo­nie de cou­leurs. Le béné­fi­ciaire de cette mos­quée était un cer­tain Sokol­lu Meh­met Paşa, éga­le­ment connu sous le nom de Meh­met pacha Soko­lo­vić. Grand vizir de Soli­man et de ses suc­ces­seurs, il fut enle­vé à sa famille encore ado­les­cent sur les terres de la Ser­bie ortho­doxe et conver­ti de force à l’is­lam (pra­tique du devşirme), et devint un des per­son­nages les plus impor­tants de la vie poli­tique de cette période de l’Em­pire Ottoman.

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Une visite vir­tuelle de la cour et de la mos­quée est dis­po­nible sur le site 360cities.net et per­met de bien se rendre compte de l’ex­cep­tion du lieu :

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Album Pho­to

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