La rose et la tulipe

Car­net de voyage à Istan­bul 3 : le bas Sul­ta­nah­met et Küçük Aya­so­fya Camii

(église des saints Serge et Bac­chus, ou petite Sainte-Sophie)

Tant qu’on n’en a pas fait l’ex­pé­rience, on ne sait pas. C’est un peu ce qui guide mes pas quand je suis dans un endroit que je ne connais pas et ça me pose d’au­tant plus ques­tion lorsque cer­tains lieux ne sont pas men­tion­nés sur les cartes, alors que géo­gra­phi­que­ment, on pour­rait pen­ser qu’il doit for­cé­ment y avoir quelque chose à y voir.

Pour reve­nir dans l’histoire, on pour­ra tou­jours retrou­ver trace de l’hippodrome, comme une évo­ca­tion, dans un qua­drige de che­vaux en bronze qui ornait autre­fois le Car­ceres, dans un lieu devant lequel on passe en se deman­dant ce qu’ils font là. Effec­ti­ve­ment, si vous êtes allés à Venise, vous les avez peut-être remar­qués au-des­sus de la porte prin­ci­pale de la Basi­lique Saint-Marc. Ce sont des copies, car la pol­lu­tion les aurait dété­rio­rées, les ori­gi­naux se trou­vant au musée de Saint-Marc. Si vous vous deman­dez pour­quoi ils sont là, c’est sim­ple­ment que les Croi­sés (menés par le Doge Enri­co Dan­do­lo qui est enter­ré quelque part dans Sainte-Sophie) les ont volés en 1204. Si vous vous deman­dez ce que font des che­vaux sur le fron­ton d’une basi­lique, je n’ai pas la réponse.

Le quar­tier que j’ai visi­té se trouve au sud de la Mos­quée Bleue, der­rière le Sphen­do­nè dont je par­lais pré­cé­dem­ment. Évi­dem­ment, il faut à un moment don­né se don­ner les moyens de sor­tir des che­mins tra­cés par les guides tou­ris­tiques. C’est ce que j’ai fait une fois que je suis sor­ti de la Mos­quée Bleue, du côté du grand por­tail à l’opposé de la grande place : on se retrouve pro­je­té dans un autre monde, le bazar Aras­ta. Ce bazar est en réa­li­té une rue bor­dée de com­mer­çants luxueux orga­ni­sés en guildes ven­dant à peu près les mêmes pro­duits qu’au grand bazar, mais avec l’œil atten­tion­né du pigeon­nier. Les prix (non affi­chés) y sont deux à trois fois supé­rieurs et si l’on en croit la répu­ta­tion faite sur les forums, mieux vaut ne pas y ache­ter de tapis. Dif­fi­cile de s’y pro­me­ner en pleine jour­née sans se faire tirer par la manche pour entrer dans les échoppes pro­prettes, où l’arnaque se fait sen­tir à des kilo­mètres sous cou­vert d’un sou­rire bien­veillant. Autant être hon­nête, on s’y sent quand même bien et le lieu ne manque pas de charme. Il faut savoir tout de même que lorsque vous vous pro­me­nez dans ce quar­tier, vous êtes exac­te­ment à l’endroit où se trou­vait le Grand Palais des Empe­reurs de Constan­ti­nople et que vous fou­lez, à quelques mètres au-des­sus, les lieux que tra­ver­saient Constan­tin, Théo­dose ou Justinien…

Der makam‑i Husey­ni Sema’i

by Hes­pe­rion XXI et Jor­di Savall | Can­te­mir Dimi­trie (1673–1723)

En des­cen­dant les petites rues qui se trouvent der­rière, on s’en­fonce dans un autre uni­vers, un dédale de mai­sons sombres et bran­lantes ; on y arrive en pas­sant sous la voie de che­min de fer et en conti­nuant en s’i­ma­gi­nant qu’on fini­ra par tom­ber sur le front de mer, mais on peut mar­cher long­temps sans la voir, si ce n’est au détour d’une façade, entre deux plaques de tôle. Une petite mos­quée (Akbıyık Cami) est enchâs­sée au milieu de ces rues étroites, où les gamins jouent au bal­lon au mépris des voi­tures qui rasent les murs. Un vieux mon­sieur sur le bord du trot­toir nous regarde pas­ser, l’air impas­sible. On joue au tav­la (back­gam­mon) au pied des fon­taines qui depuis long­temps ne donnent plus d’eau et on fume, assis sur de petits tabou­rets en osier tres­sé. La brou­ha­ha de la ville n’ar­rive pas jus­qu’i­ci et si l’on sent que les mai­sons sont plus modestes que près du centre tou­ris­tique, on y palpe un cer­tain art de vivre, une dou­ceur dans laquelle les Stam­bou­liotes semblent se com­plaire. On le com­prend, ce quar­tier a un charme fou, lié à la pré­sence de ces très belles mai­sons en bois de style pure­ment otto­man. Deux ou trois étages dont les supé­rieurs sont géné­ra­le­ment plus éten­dus grâce aux encor­bel­le­ments. Poutres ornées, peintes, fine­ment décou­pées ; on ima­gine à quel point les Turcs aiment que leurs petites mai­sons ait un aspect coquet. Jus­qu’au bout d’Oyun­cu Sokak, au moment où il faut retra­ver­ser le ligne de che­min de fer pour retour­ner dans la cir­cu­la­tion, les mai­sons sont en retrait et au vu des tra­vaux qui fleu­rissent un peu par­tout, on a vrai­ment l’im­pres­sion que la ten­dance est à l’embellissement. Je croise un homme aux che­veux blancs qui dis­tri­bue de la viande aux chats qui s’ag­glu­tinent autour de ses jambes, sans se sou­cier de ce qui se passe autour, puis je le croise à nou­veau dans l’autre sens, une fois arri­vé au bout de l’im­passe. Il parle aux chats, dans une langue que je connais bien : il est Fran­çais.
Le quar­tier est infes­té de chats, mais c’est plu­tôt bon signe. J’ai vu des rats tra­ver­ser les rues, furi­bards, cer­tai­ne­ment délo­gés de leur cache par des chats sur­ex­ci­tés. L’un deux, accu­lé contre une clô­ture sem­blait deman­der par­don à son bour­reau ; l’his­toire ne dit pas com­ment tout ça s’est terminé.

Dans une socié­té otto­mane qui a créé les « bains turcs », on ne s’é­ton­ne­ra pas de trou­ver des fon­taines par­tout. J’au­rais l’oc­ca­sion d’y reve­nir, mais vous ne ferez pas un pas dans une rue sans tom­ber sur un fon­taine, que ce soit un sabil, un şar­di­van ou une fon­taine de rue, l’eau est par­tout pré­sente ici et joue un véri­table rôle social ; il n’est pas rare de voir des femmes dis­cu­ter au pied de ces fon­taines. Beau­coup sont en marbre et cer­taines sont mani­fes­te­ment fabri­quées en rem­ploi d’autres maté­riaux. Je tombe en arrêt devant l’une d’elle qui m’intrigue ; les pan­neaux laté­raux pré­sentent des coupes de fruits pen­chées à 90°, du coup je me demande d’où peuvent pro­ve­nir ces plaques, de quel bâti­ment, de quel monu­ment. Il ne faut pas oublier non plus qu’Is­tan­bul est sur­nom­mée la ville des citernes. Dès sa fon­da­tion, pré­oc­cu­pée par le pro­blème de l’ab­duc­tion d’eau potable, Byzance se dote­ra d’un sys­tème com­plexe de citernes ali­men­tées par un aque­duc d’une ving­taine de kilo­mètres, pre­nant source dans la forêt de Bel­grad. Lorsque les Otto­mans prirent le contrôle de la ville, ils ne savaient pas que le sous-sol était lar­dé de ces cuves immenses et réin­ven­tèrent un sys­tème d’ab­duc­tion d’eau cou­rante d’é­tat, tou­jours en vigueur.

Tan­dis que je me rends compte que la mos­quée que je voyais depuis le bout de l’A­ras­ta Bazar était bien la petite Saint-Sophie, je com­prends que j’ai fait un immense détour. Tant pis, j’ai vu d’autres uni­vers, d’autres lieux, rafrai­chis par l’air de Mar­ma­ra. La petite Sainte-Sophie se trouve aujourd’­hui entou­rée d’un ilot de ver­dure, à quelques enca­blures de la mer alors qu’au­tre­fois elle se trou­vait qua­si­ment les pieds dans l’eau. Les rem­blais ont per­mis notam­ment de construire la voix de che­min de fer et l’a­ve­nue Ken­ne­dy qui enceint tout le sud de la pénin­sule et remonte jus­qu’à la gare de Sir­ke­ci. On peut aujourd’­hui voir (et sur­tout entendre) le train fri­ser les murs de l’an­tique église.

Cette curieuse petite église a por­té des noms dif­fé­rents. Ori­gi­nel­le­ment construite par Jus­ti­nien à la suite d’un rêve où lui appa­rurent les saints Serge et Bac­chus, elle est tout à fait contem­po­raine de Sainte-Sophie (527). Elle por­ta donc ori­gi­nel­le­ment le noms de deux saints, puis le sur­nom de petite Sainte-Sophie, en rai­son de sa forte res­sem­blance archi­tec­tu­rale, notam­ment à cause de ce très joli dôme sur pen­den­tifs sup­por­té par huit por­tions. Suite à la conquête otto­mane, elle a pris les atours d’une mos­quée et fut rebap­ti­sée en turc Küçuk Aya­so­fya Camıı, soit mos­quée petite Sainte-Sophie. A l’in­té­rieur, tout est beau­té et sim­pli­ci­té musul­mane ; les cha­pi­teaux des colonnes colo­rées ont été conser­vés, ain­si que toutes les gra­vures des lin­teaux, pré­sen­tant un texte en grec. La den­telle que repré­sente la pierre conserve encore des traces de poly­chro­mie. Sous le badi­geon blanc et propre recou­vrant le lieu, on essaie­ra d’i­ma­gi­ner un décor de mosaïques dorées repo­sant pai­si­ble­ment dans l’at­tente qu’on vienne le délivrer.

Le lieu est un véri­table havre de paix, encer­clé par les bâti­ments bas de la madra­sa au milieu duquel trône un şar­di­van. On y entend les oiseaux chan­ter et on peut s’as­seoir sur les marches de l’en­trée le temps de se lais­ser entê­ter par l’o­deur du tabac à Nar­gile pro­ve­nant de sous les arcades.

Album Pho­to

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 165 - Küçük Ayasofya Caddesi

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 173 - Quartier sud de Sultanahmet

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 178 - Quartier sud de Sultanahmet

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 179 - Quartier sud de Sultanahmet

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 179 - Quartier sud de Sultanahmet - Oyuncu Sokak

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 182 - Quartier sud de Sultanahmet - Oyuncu Sokak

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 183 - Quartier sud de Sultanahmet - Oyuncu Sokak

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 184 - Quartier sud de Sultanahmet - Oyuncu Sokak

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 186 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 188 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 189 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 190 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 192 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 194 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 196 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 198 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 200 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

Istanbul - avril 2012 - jour 2 - 202 - Küçük Ayasofya Camii (petite Sainte-Sophie)

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